INTÉRIEUR, JOUR, CHAMBRE D’HÔPITAL / JEUNE FEMME, CHEVEUX COURT, BRUNE / VISAGE FATIGUE, NEUTRE / YEUX HUMIDES

« Au moins, on a un peu le temps de discuter cette fois. Enfin, je peux enfin te parler sans être interrompue … Je sais, je devrais avoir honte de penser ça, là, maintenant. Le truc c’est que je me suis sentie coupable beaucoup trop longtemps, tu vois ? Je n’arrivais pas à comprendre, pourquoi ? Pourquoi est-ce que… j’avais autant peur d’exister ? Pourquoi j’étais en permanence en lutte ; contre moi-même, pour éviter de prendre de la place ? Tout en espérant que quelqu’un me donne une place … Cette place que je n’ai pas pu avoir avec toi. Je ne comprenais pas non plus pourquoi j’avais autant besoin d’être aimée, par tous ces gens dehors. Je ne réalisais pas encore. J’avais besoin de rien ; je m’étais convaincue de ça ! Je n’avais pas besoin de toi, de toute manière je ne vois pas comment j’aurais pu ressentir ton manque puisque tu n’avais jamais été là ! Ah, tu ne peux pas me faire taire là, hein ? En temps normal, tu m’aurais déjà coupé la parole et aurais changé de pièce pour ne pas m’entendre. Dès qu’on parle de ton absence, c’est comme si tu étais rappelé à fuir. Ça m’aurait arrangé aussi, que tu me coupes la parole, en vérité. Couper court à nos affrontements arrangeait les deux lâches que nous sommes. Ça me permettait à moi d’en dire trop, de m’ouvrir peut-être sur ce qui me touchait. Et puis, tu sais, je prenais même un malin plaisir, à te voir comme ça, perdre la voix, à ne pas savoir quoi dire et à chercher à fuir. Ça me donnait l’impression de t’avoir coincée, d’enfin te faire un peu payer. Tu étais coupable, je le savais, et ça me satisfaisait de te voir culpabiliser un peu. C’était normal ; tout était ta faute ! Tout est ta faute.

(SE TAIT UN INSTANT, QUELQUES LARMES COULENT SUR SES JOUES)

Alors pourquoi je n’arrive pas à t’en vouloir ? Pourquoi est-ce que je m’en veux plus que quiconque  ?

(SE CALME UN PEU, SÈCHE SES LARMES)

Tu t’en rappelles de la fois où, tu m’avais dit que tu ne voulais pas t’habituer à ma présence chez toi  ? Parce que ça rendait mon départ plus compliqué. Moi, je n’oublie jamais cette phrase. Ça m’a tellement touchée … mais en même temps tellement blessée ! C’était bien la première fois que j’ai eu l’impression que, finalement, tu m’aimais bien. Je t’en veux encore de m’avoir donné cet espoir-là. Je t’en veux aussi, pour avoir créé cette situation où encore une fois, je m’en suis voulue de ne pas pouvoir rester. Jusque-là je m’en voulais surtout de revenir à chaque fois et d’entretenir notre relation, parce que, tu comprends, tu ne le méritais pas ! Tu ne méritais pas que je t’accorde mon temps.
En bref, tu sais, j’aimerais te fuir. Je m’en veux de vouloir te garder dans ma vie, mais quand tu t’éloignes, je m’en veux de te laisser partir. Je me demande si j’ai vraiment besoin de toi autour de moi. Je me perds entre toutes mes interrogations. Un jour je dis blanc, le lendemain noir … Voilà ce que toute cette histoire a fait de moi ; quelqu’un de complètement instable. Un peu comme toi. J’ai peut-être cherché à te ressembler en espérant que tu me voies enfin… Qu’en penses-tu ? C’est peut-être parce que je n’arrive pas à être certaine. C’est vrai que je ne sais même pas. Je ne sais pas si tu m’aimes au moins. Est-ce que tu aimes ton enfant ?
Est-ce que tu m’aimes, papa ? »


Photo de Anna Shvets –  Pexels