Texte de Eevlys – « Le bal des cendres » *

Je n’ai pas besoin de musique pour danser. Pas ce soir. Pas cette nuit. 
Les battements de mon cœur créeront le rythme de ma danse, et les étoiles se changeront en notes dans des mélodies auxquelles mon corps obéira.
La piste de danse sera mon simple jardin, à l’herbe douce et fraîche, gorgée de rosée nocturne.
Je prends mon élan, pieds nus, et rebondis sur le sol pour recommencer encore et encore. J’enchaîne des pas imaginaires qui me transportent dans un ailleurs au parfum d’abandon.
À l’heure bleue, lorsque les animaux se sont tus et que le monde s’est endormi dans un songe irisé, j’ai construit mon feu. Je l’ai allumé au centre de mon jardin, au centre de ma vie, au centre de mon cœur. Et aux yeux de tous.
J’ai allumé le feu d’une sorcière, celui d’un démon aux pratiques secrètes. Les flammes sont entrées en moi, si brûlantes qu’elles ont réveillé en mon âme des danses oubliées, anciennes et sacrées. J’ai dansé, j’ai frappé la terre, j’ai frôlé les astres et la lune, et j’ai chuchoté des incantations prophétiques et vénéneuses tandis que je tournoyais sans fin au bord de la folie.
Pareils à des vagues rugissantes, ses serments et ses promesses explosent dans ma tête me brisant à chaque nouvel assaut.
Alors j’ai inventé un ballet d’arabesques et de cabrioles désespérées. J’ai épuisé mon chagrin, l’inclinant, le renversant, le bousculant afin de l’anéantir dans une pluie d’étincelles.
J’étais devenue fille-oiseau, si légère et éthérée que j’aurais pu m’envoler comme un esprit de la nuit.
À l’aube, les braises rougeoyaient encore. Je m’étais étendue là où j’avais dansé et la terre avait le goût de ma souffrance.
La robe que j’avais jetée dans le feu avait brûlé mais sa traîne subsistait. Cette traîne jadis immaculée, bordée de tulle et de dentelle gisait dans la poussière et les cendres.
L’ultime symbole de notre amour ne voulait pas mourir.
Pourtant, hier, il était parti et ne reviendrait pas.
Mon amour n’est plus.


Photo : Jonathan Borba – Unsplash
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Très intimiste. Je prends tout et serait bien incapable d’ergoter!
Merci pour ce texte.

Une proposition aérienne, connectée à la nature, au monde, à soi, très joli jeu des rythmes de phrases et des mots, merci.

C’est rapide, violent, puissant… cette danse dans laquelle elle met tout… c’est rudement bien écrit…

Danse lugubre d’un cœur en perte d’amour. Exorcisme pour faire son deuil ou l’oublier, crier sa peine ou sa rancœur, ou pour le faire revenir ? Le feu, le sol, les étoiles, ça tourbillonne joliment.

Très beau texte. Ce sabbat, cette danse exorcisme, chamanique, connectée à la nature ou on ne sait à quel esprit primitif, à je ne sais quelle dimension est bien du style d’Eevlys qui a un talent particulier je trouve pour le fantastique, le baroque, l’étrange… Rien à dire, chapeau. Cela ferait de belles images, un beau film… J’ai eu d’ailleurs un mal fou à trouver une illustration adaptée, – et d’ailleurs je n’ai pas vraiment réussi à illustrer ce texte à la hauteur des images qu’il convoque.

très beau texte, quelle belle danse! Je me suis sentie transportée. Ce moment extrêmement douloureux devient beau. La nature, l’authenticité, l’écoute de soi, le sacré, les rites païens anciens. Magnifique.

Que pourrai je ajouter aux précédents commentaires élogieux… ? Je suis tout à fait d’accord avec ce qui a été dit. C’est un texte magnifique. Bravo

Bon, tout a déjà été dit. Magnifique, j’ai adoré ce texte. Merci Eevlys, bravo.