Texte de Fantomette44 – « On the road again »

Le 10 septembre
Bonjour Maurice,
Désolé de mon long silence mais figure-toi que j’ai fait un stage en méditation pleine conscience. Tu vas dire le vieux débloque, bientôt, il va m’annoncer qu’il fait du crochet ou du macramé, mais non, je ne suis pas complètement à la masse, je continue ma route vers la sagesse ou plutôt ma sagesse.
Je ne vais pas te mentir et te raconter que c’est tous les jours Noël. Tu le sais aussi bien que moi, goûter au braquage est une drogue dure. Le projet qui se construit, les réunions qui durent, le repérage, le rush d’adrénaline pendant l’action, le kiff de caresser du regard les biftons ou la mallette à bijoux.
Difficile d’oublier et de ne pas vouloir replonger.
Bon, je ne suis pas là pour remettre la sauce sur ce sujet, au contraire, je veux t’envoyer un peu d’air frais, une balade dans mon coin de banlieue, histoire de te sortir de tes quatre murs.
Figure-toi que j’ai de nouveaux voisins.

Une famille un peu lambda. Le père, la mère, et le fiston. La femme a une sale trogne, du genre qui ne s’éclate pas tous les jours. Le père doit être un petit chef d’entreprise qui fait la misère à ses employés, il se la joue maître du monde avec sa Renault Mégane et ses deux smartphones à la main. Quant au gamin, il me semble un peu faiblard, craintif, toujours les yeux baissés. Quand ils sont arrivés dans leur bagnole, suivis du camion de déménagement, le gosse est resté dans la caisse jusqu’à la nuit tombée. Je vérifiais de temps en temps par la fenêtre, ça m’intriguait un peu, et finalement sa daronne est venue le récupérer. Comme s’ils l’avaient oublié.
Tu as jeté un coup d’œil sur le livre que je t’ai envoyé ?

Le 13 novembre,
Salut mon vieux,

J’espère que tu te tiens tranquille et que tu ne persécutes pas les infirmières girondes qui viennent s’occuper de toi. Je te connais, tu dois les faire tourner en bourrique. Je viendrais bien te voir, histoire de se remémorer nos bons coups, mais depuis que je suis en liberté conditionnelle, je n’ai pas une minute à moi. C’est dingue, non ? Mais, comme tu sais, il faut que mon juge d’application des peines soit convaincu que je me réinsère à la vitesse grand V. Alors je bosse chez Emmaüs, tu te souviens que j’ai toujours été habile de mes dix doigts, pas toujours pour un bricolage positif, j’admets, plutôt pour percer ou défoncer, mais voilà tout change. Alors je forme des jeunes à faire de la menuiserie, et en échange on m’a filé cette petite baraque pas folichonne mais dans laquelle je suis peinard.

En fait, je n’aurais jamais imaginé ce que cela m’apporterait de tendre la main aux autres. C’est carrément grandiose. Oui, j’utilise les grands mots car j’ai passé ma vie à me venger de mon enfance cassée, de la société qui m’a toujours fiché comme un raté, un danger public alors que je vidais juste les caisses de ces escrocs de banquier. Mais maintenant, j’aide mon prochain, et, tiens-toi bien à ton matelas, je me suis inscrit à des cours de philosophie à distance.

Franchement, ça calme. Quand j’ai des bouffées de nostalgie qui remontent comme une brûlure d’estomac, des envies de tirer des plans sur la comète, retrouver les vieilles canailles qui ne sont pas à l’ombre, je me replonge dans Spinoza.

Tu t’étrangles de rire ? Tu te dis mon collègue de cavale a fumé la moquette ! Il se la joue intello ! Et bien non, mais j’ai été marqué par cette phrase de Hanna Arendt que j’ai découvert dans mon cours : « c’est dans le vide de la pensée que s’inscrit le mal. » Puissant, non ? Alors, je m’occupe, je fais travailler mes méninges, je lis des bouquins, des journaux, et je regarde par la fenêtre. J’enregistre la vie normale qui passe. Et je me dis que si je n’avais pas été happé par le virus du braquage, je ne serais pas aujourd’hui tout seul sur ma chaise en paille à mater les voisins comme un chien qui attend son maître. Parce qu’au bout du compte, qu’est-ce qu’il me reste? Mes femmes m’ont quitté, le fils que j’ai eu avec une d’elles, Sylvia, la reine de l’arnaque au casino, est venu me voir un jour et m’a dit « « mais bordel pourquoi vous m’avez fait ? Vous étiez toujours en cavale, je n’ai même jamais eu le même nom de l’un de vous puisque vous le changiez tout le temps. » Et puis, il a disparu dans la nature, alors que j’étais enfin prêt à être là pour lui.

C’est peut-être pour çà que je mate la petite famille dont je t’ai parlé dans ma dernière bafouille. Je me projette, comme dise les psys. Sauf que cette famille, elle me turlupine, je ne sais pas trop pourquoi. La femme est souvent absente, je l’ai croisée une fois à la boulangerie, je l’ai entendu dire qu’elle s’occupait de vieux parents qui vivaient loin, mais quand j’ai croisé son regard, je n’ai vu que du vide. Comme s’il n’y avait personne à l’intérieur de ce corps laissé à l’abandon, mal fringué, un peu boursoufflé. Je pense qu’elle a lâché prise. Je t’ai déjà dit que le père ne me revenait pas, et je persiste et signe. Il me dérange ce mec. Tiens, par exemple, le matin, le petit quitte la maison pour attendre au coin de la rue le bus du ramassage scolaire. Il marche en trainant les pieds, tête basse, comme s’il comptait les taches de chewing-gum sur le macadam. Hé bien, le père reste sur le seuil de la porte, les jambes écartées comme un soldat en faction, et le surveille jusqu’à l’arrivée du car scolaire. Mais ce n’est pas l’expression un peu anxieuse d’un papa aimant qui couve sa progéniture. Non, c’est un regard de propriétaire.
Bon, j’arrête mon analyse à deux balles. Le temps est long quand on est sage. Bouffe tes médocs et reprend des forces.

16 novembre.
Salut Maurice,
Comment ça va, mon vieux ?

Bon, pour te distraire, je te lance une vérité première. Tu es prêt ? La voici : « On ne se méfiera jamais assez de la province. »

Ça te parle? Je t’explique : la voisine d’en face de chez moi, une vieille sournoise à qui je n’ai jamais parlé, à dû éplucher la presse dans les bibliothèque de la région pour retrouver de vieux articles sur ton serviteur, car je l’ai vu tenir un vrai conciliabule sur le pas de sa porte, tout en jetant des regards féroces dans ma direction. Ses vieilles copines s’agrippaient avec terreur à la anse de leur panier et j’ai compris tout de suite qu’elle les avait mises au parfum sur ma carrière de Docteur-es-effraction. (Pas mal, non ? Tu vois les études, ça raffine son homme). J’ai laissé la vieille baver à son aise, elle était si fière de ses informations croustillantes. Mais hier, en fin d’après-midi, j’ai vu ma nouvelle voisine qui remontait la rue, le garçon sur ses talons, un vrai petit fantôme. La vipère les a harponnés et a craché son venin sur mon compte. La mère a hoché la tête, elle a regardé dans la direction de ma baraque, avec une expression de surprise paresseuse, au grand dam de la vieille, qui espérait de l’horreur, de l’effroi. Quant au petit, il a eu l’air de sortir de son coma habituel, il s’est redressé d’un coup, l’œil et l’oreille aux aguets, comme un chien de chasse. Il a tourné le nez vers ma fenêtre, les yeux un peu plissés pour essayer de m’apercevoir derrière le voilage crade récupéré chez Emmaüs. Là, je n’ai pas résisté, j’ai ouvert la porte et je suis sorti sur mon perron, les bras sur les hanches. Et puis, j’ai traversé la rue, en regardant la vieille sorcière fixement, comme si j’allais lui faire ravaler son certificat de naissance. La ragoteuse s’est pétrifiée d’horreur, je te jure, comme une vieille branche d’arbre prêtre à casser net.

Je me suis rapproché du petit groupe, puis je me suis penché sur la vieille ratatinée et j’ai crié, comme si je pensais qu’elle était sourde : « belle soirée, non ? ». J’ai cru qu’elle allait faire une crise cardiaque, tellement son visage s’est déformé de peur. Après, je me suis accroupi, style je relace mes baskets, afin d’être plus au niveau du gamin qui ne m’avait pas quitté des yeux. « Et toi, tu t’appelles comment ?», je lui ai fait.

Il s’est approché de moi, sans aucune peur, et il m’a dit « Billy. Et toi, c’est vrai que tu es un criminel ? » J’ai souri et j’ai répondu, « ça dépend ce qu’on considère comme un criminel. J’ai fait des choses interdites par la loi, c’est vrai, des choses qu’il ne faut pas faire, mais j’ai été puni et maintenant j’ai changé. »

Le gamin a dit « et alors, tu fais quoi maintenant ? ». Je lui répondu : « j’aide ceux qui ne se sentent pas bien dans leur vie, qui ont des problèmes. Tu sais, on a souvent besoin des autres et si on cherche, on n’est jamais seul. »

12 décembre
Mon vieux pote,

Pourquoi est-ce qu’on ne peut pas s’empêcher de se foutre dans le pétrin? Toi en chopant cette saleté de crabe qui t’a permis de sortir de ta cellule pour découvrir les joies de l’hosto, moi en repartant à nouveau en cavale. Ha, ha, je sens que Môssieur lit ma lettre avec plus d’intérêt… Tu pensais que j’allais encore te raconter des salades de voisines revêches, hein, l’ennui total, alors que non, mon vieux, la nouvelle c’est que je me suis tiré, une nouvelle fois. Oui, j’ai décampé, adieu la maisonnette,

« On the road again », comme chante Lavilliers. Mon juge va péter les plombs, mais que veux-tu, je n’ai pas résisté. Je sens que tu râles, tu t’agites et tu penses, quoi, il replonge et il n’en a même pas parlé à Momo ? Son complice de 30 ans ? Allez Maurice, je te taquine, même si la situation n’est pas si drôle. Il ne s’agit pas de ce que tu penses. Si je repars en vadrouille, ce n’est parce que je traque une bonne odeur de pognon. Non, c’est à cause du petit. Billy. Trois jours après notre discussion sur le bien et le mal, il est venu toquer à ma porte. Tout seul. Plus blafard que jamais. Et il m’a dit : « Tu peux m’aider ? »

Bien sûr, j’étais étonné, je pensais qu’il allait me taper de cinq euros ou plus, qu’il voulait s’acheter un jeu, à la rigueur des clopes, parce qu’ils commencent de plus en plus tôt les mômes.
Mais non, il m’a dit, tranquille, « je veux fuguer ».

Il m’a expliqué pourquoi et même si cela m’a donné envie d’arracher les couilles de son connard de père, cela ne m’a pas surpris. Qu’est-ce que tu voulais que je fasse ? Appeler une assistance sociale. « Bonjour, je suis un repris de justice et je voudrais signaler de la maltraitance, de l’inceste ? ». On m’aurait foutu tout çà sur le dos. Alors en regardant ce gamin qui croyait en moi, qui m’avait dit plus de choses en cinq minutes que mon propre gars ne m’avait jamais dit, j’ai répondu, je prépare mon sac et on y va.
Alors tu vois, dans ce petit hôtel où je t’écris, avec ce gosse qui dort dans la chambre d’à côté, les lèvres encore un peu barbouillées de tout le ketchup dont il a recouvert ses frites au diner, je suis dans le pétrin.
Oui, mais je suis heureux.


0 0 votes
Évaluation de l'article
7 Commentaires
le plus ancien
le plus récent le plus populaire
Fil de retours
Voir tous les commentaires

Un grand merci pour ce commentaire bienveillant. Je note les détails de mise en scène superflus, c’est vraiment utile d’être confrontée à ce genre d’erreurs… Je pense qu’en passant un peu plus de temps sur le texte, j’aurais peut-être fini par gommer ces scories. De même, j’aurais bien voulu peaufiner davantage le langage du narrateur avec des expressions qui conviendraient parfaitement à son âge. J’ai quand même réussi à éviter de gros anachronismes grâce à mon fiston (comme quoi, les enfants, parfois ça sert). j’avais noté un « rageux », qu’il a immédiatement contesté, cet adjective appartenant à sa génération. J’ai trouvé cet exercice très stimulant, avec un sujet qui ne m’a pas inspiré du premier coup, mais, en mixant souvenirs personnels et une pièce de théâtre vue récemment au Grand T sur l’univers carcéral, un vague plan s’est échafaudé à mon esprit. Le temps d’écriture était très restreint mais parfois l’urgence donne de bons résultats.

J’aime beaucoup cette histoire qui me propulse dans mon imaginaire et une suite à inventer… J’apprécie beaucoup le rythme du texte. Bon ce tendre dur aurait aussi pu appeler le 119, c’est gratuit et anonyme! Là il est bien dans le pétrin mais pas de pétrin pas d’histoire!

Quelle bonne idée que ce personnage ancien braqueur en essai d’insertion et qui en situation d’urgence ne sait pas agir autrement qu’avec ses vieux réflexes (même si le but est différent cette fois-ci) et ce qu’il connaît le mieux: la cavale! Et en même temps, en étant un peu subversif, on peut même se laisser aller à penser que c’est peut-être bien plus efficace que le 119, radical en tout cas et on a envie que ça marche pour eux… J’aime beaucoup la structure du texte aussi.

j’ai beaucoup aimé la structure du texte. c’est balaise car on a l’impression que le courrier nous est destiné. et d’autant plus balaise qu’en lisant, on entend, une voix, un ton. une voix grave, (abimée par trop de cigarettes?), mais un ton calme, tranquille, de celui qui n’est plus impressionnable , mais pas blasé car sait encore déméler le vrai du faux chez ses sombres congénères. et puis, il fait les question et les réponses, c’est pratique pour le lecteur. un prochain courrier pour avoir des nouvelles de ce duo improbable?

J’aime bien l’idée des lettres. Ca permet de poser l’histoire et les personnages tranquillement dans le temps de façon large mais sans s’embrouiller dans les détails. On est malgré ça, tout de suite happé par ton personnage de braqueur repenti à la recherche de sa nouvelle sagesse.
J’aime bien aussi le choix de ce registre de vocabulaire qui n’enlève rien à la sensibilité toute perso que tu as mis dans cet homme.
Et la fin… Même si, après le « regard de propriétaire » on redoute la fin et qu’on sent bien que le pauvre bougre c’est trop avancé pour reculer en affirmant au gosse qu’il y a toujours moyen de demander de l’aide… Elle est belle juste comme on l’attend et je sens bien qu’ils vont s’en sortir ces deux là. C’est pas possible autrement!
Beau texte pour une belle histoire.

Bravo Fantomette44 j’ai pris énormément de plaisir à suivre l’histoire de cet homme qui reprend la cavale pour une cause qui lui paraît juste. J’aime à imaginer une happy end pour lui et l’enfant. L’idee Des courriers adressés à son compère est très bien trouvée. Je me suis tout de suite pris dans l’histoire. Merci pour ce moment.