Texte de Laurent

Et le vainqueur est…

C’est une rencontre fortuite qui me guida vers ma nouvelle vocation. Le Bar du Méridien est le dernier vestige de ma vie d’avant, un endroit propre et select qui donne le sentiment d’appartenir à une caste. J’y allais moins depuis mon licenciement, la coupe à 15 euros avait eu raison de mon portefeuille. Je l’ai remplacé par un Negroni à 9 euros, en calculant bien je pouvais boire 15 Négroni pour 10 coupes et puis le Negroni faisait 20 cl le compte est bon.

Je voyais souvent Maurice, toujours seul, nous avions fini par sympathiser, je lui parlais de mes déboires, j’avais comme confiance. Et puis à qui d’autres parler ? ma femme m’avait quitté aux premières difficultés, mes amis avaient été sacrifiés sur l’autel du rendement au travail. Le goût amer de la solitude.

Vint ce jour où Maurice entrepris de s’épancher. Me parler d’avenir, me parler d’argent. Il m’expliqua son métier. Stupéfait, j’apprenais qu’il était tueur à gage. Pas une caricature comme on l’imagine dans les romans. En débarquant à Paris de Bastia il fut pris en mains par Renzo Torelli qui lui a tout appris. C’était il y a 50 ans.

Il me proposa cette reconversion. J’étais rentré chez moi dubitatif et hébété. Evidemment Maurice n’attendait pas une réponse immédiate. Ni même une reconnaissance. Au bout d’une semaine, je le questionnais sur ce monde nouveau que je ne connaissais qu’à travers de films ou livres où le « héros » finit toujours pas mourir !

Méthodiquement, Maurice m’expliqua le métier. Sa spécialité c’est le politique, le haut de gamme, c’est là que le chiffre d’affaire est le plus juteux. Seulement, il faut être intelligent et très organisé, pas de place pour l’improvisation.

Depuis que je ai choisi ce métier je ne peux pas me plaindre. Mes revenus ont été multiplié par dix. Il faut accepter le risque. Mais toute reconversion a ses contraintes. Il faut se remettre en question, voir les choses différemment, avoir une approche métier.

Au début, les risques me paraissaient démesurés, les objectifs inatteignables. J’ai commencé par les petits contrats, l’interim du travailleur en quelque sorte. Les petites frappes des conflits de drogues. Des trucs de débutants.

Maurice avait pris sa retraite. Mon affaire a bien prospéré grâce à son aide, j’ai su choisir de bons clients fidèles, tels la famille Garadi ou les frères Nardo. Avoir une clientèle stable est la base du métier. Evidemment je faisais des prix, environ 30% moins chers, mais on s’y retrouve sur la quantité.

Mes objectifs ont évolué. Hommes politiques, hommes d’affaire, véreux, c’est le meilleur segment, un marché en constante évolution auquel je colle au plus près.

C’est d’ailleurs l’élimination de Roger Arkani qui me vaut cette nomination du meilleur tueur à gage de l’année. Un sacré client le Roger. Champion de la mise en examen et des financements occultes, la pointure taille XXL. Il avait perdu de sa flamboyance et commençait à décliner. Et puis la faute bête, inexplicable pour un politique comme lui, l’absence de reconnaissance. NSBTP n’avait pas eu le marché de la construction de la piscine olympique. La NSBTP de Nicola Sarti en prit ombrage. Arkani tenta d’expliquer que c’était une erreur et que la prochaine fois ce serait eux, mais il gardait les 100.000 euros versés. Nicola Sarti, peut être aussi méchant que sa taille est petite, une sorte de Joe Pesci. Je répondis à son appel d’offre pour ce contrat et je fus choisi. Ce fut un grand moment pour ma petite entreprise. Les powerpoint de ma méthode convainquirent Mr Sarti,

La compétition annuelle se tiendra dans le village de Passo, à 20 kilomètres de Massipo lui-même à 20 kilomètres de Palerme. Le titre est honorifique mais il permet des débouchés sur l’international. Pour s’y présenter il faut deux parrainages et payer les frais d’inscription de 100.000 euros, un peu cher, mais le repas est offert lors de la cérémonie.

Pour Arkany j’avais prévu d’opérer en Martinique où il passait du temps dans sa somptueuse maison, le jury serait sensible au cadre ensoleillé des Caraibes. Pour le symbole, j’ai opté pour un mode opératoire en tenant compte des spécificités locales. Lâcher Arkany dans la baie connue pour ses requins bleus voraces. Histoire de vérifier l’adage que les requins se mangent entre eux. Au moins je laissais une chance à Arkany… Avec les mains liées, il avait moins de chances. Quand un premier requin fonça sur lui le cisaillant en deux, Arkany resta sans voix lui qui n’en n’avait jamais manqué. Je filmais la scène, la qualité du montage sera un élément important pour le prix.

Par Laurent

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Comme à son habitude, Laurent nous conte ici une véritable histoire, avec des rebondissements et des péripéties. Il parvient, comme lors d’autres ateliers, à condenser sur ce format court un réel univers, à installer un vrai personnage, et à nous embarquer franchement. Qui plus est, avec un chouette humour pince-sans-rire et un sens certain de la formule (l’inscription à 100 000 euros « mais le repas est offert », j’adore !). L’ensemble est assez savoureux, et rappelle certaines ambiances de films ou de romans noirs un peu « old school », de ceux qu’on aime particulièrement.

Mais je pense, Laurent, que cette fois-ci encore, ton texte pâtit un peu des coupes que tu as dû faire pour rentrer dans le nombre de caractères imposés. Ton histoire est bien là, mais certaines transitions, le déroulé global, « frotte » un peu à certains moments. Je pense qu’il existe deux axes de travail possible pour améliorer ce texte. Soit, pour toi, tu sors complètement du carcan des 4500 caractères et tu redéveloppes ton texte sur plus long, avec davantage de détails, davantage d’espace pour des anecdotes sur cette vie de tueurs à gages et sur les personnages (je n’ai aucun doute sur le fait que tu sois capable de créer un paquet d’anecdotes savoureuses 😉 ). Soit, pour nous, tu « acceptes » de couper une partie de ton histoire, afin d’avoir de l’espace pour vraiment raconter certaines parties, plutôt que de « tout » compresser pour pouvoir « tout » raconter. C’est un bon exercice aussi que de retirer une partie d’histoire en veillant malgré tout à la cohérence du texte. Par exemple, on pourrait imaginer que ton texte commence directement par la phrase « Depuis que j’ai choisi ce métier, je ne peux pas me plaindre ». Bien sûr, dans ce cas, il faudrait que tu remettes, malgré tout, certains éléments évoqués avant, mais ça tournerait ton texte autrement et probablement de manière plus dynamique sur ce format court. On serait directement « dedans ».

Je suis assez fan de l’univers de Laurent, un peu du Gabin dans du Jeunet pour moi 🙂

J’aime bien tes textes, Laurent, qui nous entraînent à chaque fois dans des univers très particuliers, autour de passions (celle-là est particulièrement originale!). Il y a là matière à faire un texte assez long je pense , ça donne envie d’en savoir davantage!

J’ai beaucoup aimé ce texte aussi et je rejoins les autres commentaires, ça donne envie d’en savoir plus, que ça aille plus loin ! J’aime bien l’univers en tout cas !