La nouvelle année commence, tonitruante . Entre le pop up des bouchons de champagne qui sautent , Vitalic et sa « disco song »poussée au max , elle stoppe sa danse et croise son regard. Ses yeux lui sourient et immédiatement la happent. Avant même qu’elle se retourne, lui avait déjà bloqué sur sa nuque, et le rythme sensuel qu’elle y portait dans ses ondulations. Frissons simultanés, montée d’adrénaline commune, ils le savent déjà, comme une évidence, ils ont quelque chose à partager ensemble. Et ça sera intense.
La danse des cavaliers de Prokofiev a crépité sur la platine vinyle, aussi puissante et soutenue que leurs corps qui ont vibré à l’unisson. Enlacés, dans la fraicheur d’un dimanche de saint Valentin, Sasha fait couler l’eau fraiche en fin et délicat filet, sur les lèvres et long du cou de sa douce. Depuis cette fête, ils ne cessent d’avoir besoin du corps de l’autre, de son odeur, de son contact. Rien de bestial, mais l’attirance est animale, dans leurs tripes, au-delà des mots, même si ils aiment se parler. iI parait qu’on est attiré par son opposé, la question ici ne se pose pas. Ils vivent l’histoire, dans toute leur spontanéité. Leurs corps se complètent, comme si leurs âmes, par ce chemin pouvaient fusionner, dans une présence totale à l’autre.
Le flacon de savon moussant vidé, de la buée plein le miroir, le lecteur CD joue le langoureux et hypnotique « get misunterstood « des Troublemakers. Leurs jambes s’entremêlent, ils réussissent à s’encastrer dans la petite baignoire de l’appartement qu’ils partagent déjà. Morgane tient à garder sa dignité, alors elle lui a demandé de fermer les yeux quand elle est rentrée dans la pièce, puis dans la baignoire. Ca l’a fait rire. Comme toutes ses petites maniaqueries qu’il découvre avec tendresse depuis ces 6 derniers mois. Les plus pleins de ses 24 printemps. Pétards au coin de la bouche, ils devisent, rigolent, savourent ce samedi de glande amoureuse. Le week end leur appartient. Dans les vapeurs de l’herbe, ils se réveillent la peau toute plissée , sur le même fond sonore. Les lèvres violettes, le regard embué, ils s’ébrouent comme des gamins, et se frictionnent tendrement.
Leurs têtes confortablement posées sur l’herbe grasse, les yeux plissés pour contempler le soleil, doux de l’été indien, un écouteur chacun à l’oreille, ils savourent le « all I need » de Air. Après une balade en barque , ils viennent de finir le magnum de Chateau Margaux et de replier la belle nappe de pique nique vichy dans la malle en osier. Leur goût du rétro est un des nombreux points communs qui les unit. Ils peuvent digérer tranquille, sieste bucolique, la main dans la main. Ils ont trouvé leur tempo amoureux, de jouissance autour de la bonne chair et des beaux paysages. Ils n’ont pas besoin de plus ; juste un beau cadre, écrin de leur amour qui , force d’attraction irrésistible, les ramène inlassablement à leur duo, fusionnel et exalté. Les amis leur reprochent au choix, ou en compilation, leur immaturité, leur absence, leur fonctionnement en un être à 2 têtes. Les plus vieux leur disent d’en profiter, ils leur assurent que ça passera.
« To build a home » de Cinematic Orchestra s’échappe délicatement des enceintes high tech de la suite royale du Crillon. En ce dernier jour de l’année, leurs comptes en banque ont entièrement été vidés. Pour régler la chambre, son costume Dior sa petit robe blanche Courrèges, et les 2 bouteilles qui les attendent. Ils vont prendre la nuit pour savourer la première, un champagne d’exception , millésime. Les poncifs du snobisme , ça les a toujours fait rire, se moquer. Mais là, ils veulent jouer le grand jeu, jusqu’au bout. La demi mesure, ça n’est pas leur truc. Encore un truc qui les aimantent.
Ils le savent, ils ne seront jamais plus amoureux qu’aujourd’hui, jamais aussi heureux que cette année passée. Ils sont lucides, ils voient le monde. Ils vont vieillir, se décevoir peut être, s’habituer au moins, se flétrir. Ils sont aussi idéalistes, et romanesques Et n’acceptent pas ce destin médiocre. Ils ne laisseront personne ternir cette année. Ils ne laisseront pas la bassesse de la vie les séparer. Alors cette deuxième bouteille, ils vont la descendre ensemble, puis s ‘allongeront, pour écouter en boucle cette dernière musique. Et se serreront fort, pour ne jamais se lasser, après l’ avoir bue cette bouteille de cyanure.
Par Schiele