Texte de Mamzelle

Ils sont tous là… je me rappelle de chaque instant passé à son poignet et de ce qu’il a ressenti en compagnie de ces personnes… ils sont tous là, sans exception…

La joie dans son regard quand il a ouvert ce paquet sous le sapin, cette fierté ressentie parce qu’ils le jugeaient assez grand pour me porter à son poignet, il allait devenir un homme à présent ! Ses parents… ils ont toujours été là, suffisamment présent pour le porter et l’encourager à avancer mais jamais trop envahissants. Et ils sont encore là, en ce jour particulier, toujours.

Ses frères sont là aussi… les chicaneries pour savoir qui finiraient le dernier morceau de gâteau, les courses en culottes courtes pour ne pas arriver en retard devant les grilles de l’école. Tiens, même l’institutrice de l’école primaire est là  au fond, derrière la famille et les amis. Je me rappelle comme si c’était hier des bancs de l’école, son œil qui surveillait sans cesse l’avancée du temps, surtout ne pas rater l’heure de la récréation. Sentir son pouls s’accélérer sous l’effet de l’excitation, la joie et même de la colère… et oui quel mauvais joueur c’était… C’était le bon temps, le temps de l’insouciance… ils sont là également, serrés les uns contre les autres

Et puis il y a eu Marie, rencontrée lors de ses études. Là c’était différent, l’émotion était différente, il a tout de suite que c’était elle. Le temps s’est suspendu comme si mes aiguilles ralentissaient pour qu’ils puissent profiter de chaque instant de cette rencontre. Chaque tic-tac reste gravé dans la mémoire de mon mécanisme. Je ne l’avais jamais connu aussi serein, certain que l’avenir ne pouvait que leur sourire s’il restait ensemble.

Et puis il y a eu Tom, leur petit miracle. Ils l’ont attendu, espéré, désiré. Je me souviens de ce sentiment de plénitude mêlé à la responsabilité qu’ils auraient désormais.

Quelle fierté il a éprouvé ce jour de printemps lorsqu’enfin il l’a tenu dans ses bras. J’étais encore là, je l’ai bercé moi aussi avec mon bruit rassurant lorsqu’il se levait pour le consoler en pleine nuit.

Tom est là lui aussi, à côté de moi, juste à côté. Il est là, entouré de ses grands-parents, de Marie qui le serre fort dans ses bras, incapable de le lâcher.

Je me sens coupable. C’est comme si depuis ce 8 juin l’année dernière, mes aiguilles s’étaient emballées. J’étais là pour la lecture des analyses, quand ce médecin a annoncé l’inéluctable destin qui l’attendait. Je me rappelle son manque de compassion, comme si nous n’étions qu’un numéro de plus que la liste des malchanceux. Je me souviens le poids qui s’est abattu sur ses épaules. Il a commencé à me regarder différemment, comme si j’étais responsable du temps qui s’égrenait et qui le rapprochait des adieux. Je voulais mais je n’ai pas pu, je voulais arrêter le temps, donner à ce fils tant désiré du temps à partager avec lui. Il était trop petit, il avait besoin de ce père, encore. Donner à Marie encore des années de vie heureuse et insouciante, cette vie qu’ils avaient construite, pierre après pierre. Mais non je n’ai pas ce pouvoir, je n’ai pu empêcher cette chose de le ronger.

J’étais là lors de son dernier souffle. C’est comme si une partie de moi s’était éteinte avec lui. Maintenant je suis dans une boîte, mes aiguilles continuent leur inexorable travail, insensibles à ce torrent d’émotions qui m’envahit. A quoi je sers maintenant ? Je veux partir avec lui… oui c’est ça je veux partir avec lui.

Tout à coup de la lumière… Marie apparaît, il y a du bruit tout autour, la cérémonie est finie maintenant tout le monde est réuni autour d’un dernier verre. Je les entends raconter des anecdotes, certains sourires s’esquissent même en repensant aux bons moments.

Les mains de Marie… Que d’émotions dans ses mains… je sens la tristesse, le chagrin immense mais dans ses veines coulent l’amour, l’amour pour Tom. Tom, où est-il d’ailleurs ?

Elle l’appelle, elle le cherche, ses doigts sont crispés sur mon cadran. Enfin, il est là. Petit homme… tout doucement, elle me glisse entre ses petites mains… Qu’est-ce qu’il lui ressemble ! oh non pas une ressemblance physique, il a tout de sa mère. Mais ce qui s’émane de ce petit bonhomme de 4 ans… c’est lui… la même douceur mêlée de force. Je l’accompagnerai comme j’ai accompagné son père, je lui insufflerai l’énergie que j’ai reçue pendant ces années… j’ai voulu mourir avec lui, mais maintenant non, c’est à moi d’accompagner ce petit homme comme il l’aurait fait… je sens que c’est là ma place, à ce petit poignet…

Par Mamzelle

Totalement novice dans l’écriture, j’aimerai me lancer et voir ce que je suis capable de produire mais je pense avoir besoin d’une ligne directrice

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Voilà un texte émouvant où se côtoient le drame et la résilience, la vie, la mort, et la vie de nouveau. Un texte sur la transmission, aussi, incarnée par cet objet qui passe du père au fils, comme une promesse qu’au fond, rien n’est fini. Un texte, enfin, sur le temps qui passe, parfaitement incarné par l’objet-montre, qui nous permet de voyager dans la temporalité de cette vie d’homme achevée prématurément, en nous racontant différents « âges », différentes étapes importantes. La narration est fluide, on suit le fil de cette vie, on est touché qu’elle ait pris fin, et on se réjouit que le petit poignet de Tom poursuive le chemin.

Puisque c’est une montre qui raconte le destin de cet homme, je trouverai pour ma part intéressant « d’enfoncer le clou » en utilisant vraiment la notion d’horaire, d’heure/minute/seconde, qui est en quelque sorte son « langage » à elle.
Juste deux exemples :
« La joie dans son regard quand il a ouvert ce paquet sous le sapin, cette fierté ressentie parce qu’ils le jugeaient assez grand pour me porter à son poignet, il allait devenir un homme à présent ! Pendant deux minutes, deux minutes entières, il a suivi des yeux l’aiguille des secondes, sous le regard attendri de ses parents. Ses parents… i
Ou bien
« Et puis il y a eu Tom, leur petit miracle. Ils l’ont attendu, espéré, désiré. Je me souviens de ce sentiment de plénitude mêlé à la responsabilité qu’ils auraient désormais.
Il est né à 5h36.
Quelle fierté il a éprouvé ce jour de printemps… »
Etc…
Je pense que « tisser » le texte de référence horaires très factuelles, presque triviales (Marie, il l’a rencontrée à midi dix ou à 19h42 ?). Cela donnerait encore plus de « spécificité » à ce texte, à cette narration. Et cela renforcerait la pertinence d’avoir choisi la montre comme narrateur, renforcerait le point de vue choisi et son originalité, je pense.

Mon aiguille s’approche du chiffre 10… Ils sont tous là… je me rappelle de chaque instant passé à son poignet et de ce qu’il a ressenti en compagnie de ces personnes… ils sont tous là, sans exception…
La joie dans son regard quand il a ouvert ce paquet sous le sapin, cette fierté ressentie parce qu’ils le jugeaient assez grand pour me porter à son poignet, il allait devenir un homme à présent ! Ah il en a passé du temps à regarder les aiguilles… Ses parents… ils ont toujours été là, suffisamment présent pour le porter et l’encourager à avancer mais jamais trop envahissants. A chaque heure, chaque seconde, même loin de lui, ils étaient là… Et ils sont encore là, en ce jour particulier, toujours.
Ses frères sont là aussi… les chicaneries pour savoir qui finiraient le dernier morceau de gâteau à 16h, les courses en culottes courtes pour ne pas arriver en retard devant les grilles de l’école. 8h50 ! ouf juste à temps avant la fermeture des grilles… Elle n’était pas souple sur les horaires la directrice ! franchement une minute de plus ou de moins …Tiens, même l’institutrice de l’école primaire est là au fond, derrière la famille et les amis. Je me rappelle comme si c’était hier des bancs de l’école, son œil qui surveillait sans cesse l’avancée du temps, surtout ne pas rater l’heure de la récréation. Discrètement toujours pour ne pas se faire confisquer ce précieux objet. 10h15, la récréation, la cloche qui sonne ! Sentir son pouls s’accélérer sous l’effet de l’excitation, la joie et même de la colère… et oui quel mauvais joueur c’était… C’était le bon temps, le temps de l’insouciance… ils sont là également, serrés les uns contre les autres
Et puis il y a eu Marie, rencontrée lors de ses études. Je me rappellerai toujours cet instant, 11h58 très précisément. Cet instant où pour la première fois il a posé les yeux sur elle. Là c’était différent, l’émotion était différente, il a tout de suite que c’était elle. Le temps s’est suspendu comme si mes aiguilles ralentissaient pour qu’ils puissent profiter de chaque instant de cette rencontre. Chaque tic-tac reste gravé dans la mémoire de mon mécanisme. Je ne l’avais jamais connu aussi serein, certain que l’avenir ne pouvait que leur sourire s’il restait ensemble.
Et puis il y a eu Tom, leur petit miracle. Ils l’ont attendu, espéré, désiré. Je me souviens de ce sentiment de plénitude mêlé à la responsabilité qu’ils auraient désormais.
Quelle fierté il a éprouvé ce jour de printemps lorsqu’enfin, à 08h21, il l’a tenu dans ses bras. J’étais encore là, je l’ai bercé moi aussi avec mon bruit rassurant lorsqu’il se levait pour le consoler en pleine nuit, à minuit, à 2h du matin… Peu importe l’heure à laquelle il devait se lever le lendemain.
Tom est là lui aussi, à côté de moi, juste à côté. Il est là, entouré de ses grands-parents, de Marie qui le serre fort dans ses bras, incapable de le lâcher. 10h30, bientôt la fin de cette foutue cérémonie…
Je me sens coupable. C’est comme si depuis ce 8 juin l’année dernière, mes aiguilles s’étaient emballées. J’étais là pour la lecture des analyses, quand ce médecin a annoncé l’inéluctable destin qui l’attendait. 11h17 … Je me rappelle son manque de compassion, comme si nous n’étions qu’un numéro de plus que la liste des malchanceux. Il nous a accordé à peine 10 minutes de son temps avant de nous envoyer vers ses collègues… Je me souviens le poids qui s’est abattu sur ses épaules. Il a commencé à me regarder différemment, comme si j’étais responsable du temps qui s’égrenait et qui le rapprochait des adieux. Je voulais mais je n’ai pas pu, je voulais arrêter le temps, donner à ce fils tant désiré du temps à partager avec lui. Il était trop petit, il avait besoin de ce père, encore. Donner à Marie encore des années de vie heureuse et insouciante, cette vie qu’ils avaient construite, pierre après pierre. Mais non je n’ai pas ce pouvoir, je n’ai pu empêcher cette chose de le ronger.
J’étais là lors de son dernier souffle. 8h50… l’heure après laquelle il a couru toute son enfance pour ne pas être en retard. Si seulement pour une fois, il en avait eu du retard ! Lui qui a toujours veillé à être à l’heure… C’est comme si une partie de moi s’était éteinte avec lui. Maintenant je suis dans une boîte, serré dans les mains de Marie, mes aiguilles continuent leur inexorable travail, insensibles à ce torrent d’émotions qui m’envahit. A quoi je sers maintenant ? Je veux partir avec lui… oui c’est ça je veux partir avec lui.
Tout à coup de la lumière… Marie apparaît, il y a du bruit tout autour, la cérémonie est finie maintenant tout le monde est réuni autour d’un dernier verre. Je les entends raconter des anecdotes, certains sourires s’esquissent même en repensant aux bons moments.
Les mains de Marie… Que d’émotions dans ses mains… je sens la tristesse, le chagrin immense mais dans ses veines coulent l’amour, l’amour pour Tom. Tom, où est-il d’ailleurs ?
Elle l’appelle, elle le cherche, ses doigts sont crispés sur mon cadran. Enfin, il est là. Petit homme… tout doucement, elle me glisse entre ses petites mains… Qu’est-ce qu’il lui ressemble ! oh non pas une ressemblance physique, il a tout de sa mère. Mais ce qui s’émane de ce petit bonhomme de 4 ans… c’est lui… la même douceur mêlée de force. Je l’accompagnerai comme j’ai accompagné son père, je lui insufflerai l’énergie que j’ai reçue pendant ces années… j’ai voulu mourir avec lui, mais maintenant non, c’est à moi d’accompagner ce petit homme comme il l’aurait fait… je sens que c’est là ma place, à ce petit poignet… 15h34…

J’aime beaucoup les changements que tu as apportés à ton texte initial, surtout de donner l’heure en toute fin du texte ! Super !

merci pour les compliments 🙂 les remarques de Gaëlle m’ont beaucoup aidé!

merci pilly80 😉

voilà un texte retravaillé 😉

Je suis du même avis que Pilly80, je trouve ta version 2 encore mieux! Bravo!

Merci pour tes remarques Gaëlle! Et pour tes pistes de travail autour de mon texte! Je vais me replonger avec plaisir dans l’écriture

Personnellement obnubilée par les heures, les dates, bref le temps, je me suis laissée porter par la deuxième version rythmée par les horaires…
Et je me suis demandée ce qu’elle nous raconterait si elle tombait en panne…

Magique ! Ta première version était déjà très belle, émouvante et pleine de vie (oui, oui, même en parlant de la mort, justement !). La seconde dégage une justesse qui donne encore plus de poids à ton histoire. Bravo ! J’ai senti mes yeux s’embuer…

mamzelle, je n’avais pas lu la seconde version. idem je la trouve encore plus juste et très touchante. bravo