« Deviens ce que tu es »
Combien de fois ai-je écrit cette citation ? Pauline l’aime tellement… Elle y met toutes ses angoisses d’adolescente qui se cherche, tous ses espoirs d’adulte en devenir, toutes ses envies de futur en gestion-gestation. Elle l’écrit dans son agenda, entouré de volutes et de petits dessins, elle l’écrit dans les marges de ses cours les heures d’ennui, elle l’écrit sur la couverture de son journal intime, à côté des « NATHAN » calligraphiés de toutes les sortes possibles.
Pauline fait de son mieux pour devenir elle-même. Je l’aime bien cette petite, même si elle me fait écrire des tas d’âneries. C’est de son âge, ça lui passera… Le temps de devenir ce qu’elle est déjà, en mieux.
« Deviens ce que tu es »
Pourquoi faut-il que cette phrase m’obsède aujourd’hui, alors qu’il y a temps à voir autour de moi ? Ça doit être Pauline qui déteint sur moi, à force. Je me sens d’humeur lyrique, avec cette foule à mes pieds. Oui, à mes pieds, vraiment ! Moi qui suis habitué aux bruits assourdis, bien caché au fond du sac, aux chuchotements des salles de classe, au calme de la chambre où Pauline écoute sa musique au casque, je me retrouve dans une foule qui crie, qui chante, qui applaudit par vague, c’est grisant ! Mon horizon se borne d’habitude au parois de la trousse, aux limites du bureau, et, dans les moments de chance absolue, aux cheveux de Pauline qui se sert de moi comme d’une pique à chignon… Et là, je suis tenu en l’air, comme un trophée, porté à bout de doigts vers le ciel, je n’avais jamais vu si loin, le monde est si vaste !
Je ne suis plus seulement son stylo préféré, aujourd’hui je suis un symbole. Il y a de quoi se sentir exalté, quand même !
« Deviens ce que tu es »
Pauline crie qu’elle est Charlie au milieu de son groupe de copines. Elles rient, parfois elles pleurent, elles se tiennent par la main, elles marchent au même pas, elle brandissent leurs stylos comme des armes. Je ne comprends rien à ce qui se passe ici, mais je sais que j’y ai une place importante.
Tout à coup je sens les doigts de Pauline se crisper autour de moi. Elle me glisse dans sa poche de blouson, contre son cœur que je sens battre à tout rompre. J’entends le bruit de deux bises qui claquent sur ses joues… Un nouvel arrivant dans le groupe des effervescents supporters de la liberté d’expression ? … Minute. Une belle voix nouvellement grave, un peu nonchalante, ces inflexions, c’est… C’est Nathan ! Je sens l’émotion de Pauline, qui prend le pas sur la mienne. Ah mais non ! Je veux sortir ! Je veux voir, sentir, entendre la foule à nouveau, je veux vivre ces moments de liesse et d’émotion, et pas seulement en les écrivant dans son journal ! Sors-moi de là Pauline ! Je suis un symbole, enfin ! On n’enferme pas les symboles !
Ah. Je sors à l’air libre à nouveau. Quel bonheur. On y prend vite goût, quand même. Mais il y a quelque chose de différent : ça n’est plus Pauline qui m’élève vers le ciel. Plus seulement. Je suis tenu à deux mains : la sienne et celle de Nathan. Incroyable. Me voilà devenu double symbole, je crois… Une union autour de moi : celle de la multitude de Charlie. Celle de Pauline et son amoureux. Voilà le jouvenceau qui se sert de moi : je trace un cœur sur le poignet de ma Pauline bouillonnante et romantique.
« Deviens ce que tu es »
Un trait d’encre sur sa peau, et mon destin vient de changer.
Portés par l’enthousiasme et les sentiments, Pauline, Nathan et les manifestants ont liés leurs histoires.
Je suis symbole. Je suis souvenir. Je suis immortel.
par Sécotine
Sur mon blog (oui, j’ai un blog, ça arrive à des gens bien), je me définis comme « orthophoniste, bidouilliste, écologiste, féministe et autre trucs en -iste, mais pas triste ». Ce n’est pas totalement éloigné de la réalité, être plus honnête aurait été moins vendeur. Ceci dit, je ne suis pas à vendre, sauf à coup de fraises tagada et de tarte au maroilles, mais pas les deux en même temps, faut pas pousser.