Texte de Mélanie

De son ancienne vie, elle n’avait pu garder que sa vieille bagnole, qui avait été jugée sans valeur par le syndic de faillite, lors de la saisie de tous ses biens il y avait de cela déjà un mois.

Cette vieille Audi 1998, elle n’avait aucun charme ni intérêt pour le commun des mortels, mais elle représentait désormais tout pour Louna.

Elle, dont l’estime s’était construite par l’acquisition continue d’objets luxueux, trouvait désormais refuge dans ce ramassis de tôle rouillée, à la couleur vert bouteille douteuse. Autant dire qu’elle avait raté sa vie, et de façon monumentale.

La banquette arrière de son nouveau domicile, recouverte d’une courtepointe jaunie, lui servait désormais de couchette.

Le coffre, utilisé auparavant pour entreposer ses nouvelles trouvailles lors de séances de magasinage, n’en était désormais plus un au trésor. Louna y avait entreposé le contenu de la grande bibliothèque qu’elle possédait jadis dans son studio grandiose (le syndic n’ayant pas saisi le contenu de ce meuble d’époque, le considérant sans valeur marchande). Recueils classiques, bouquins informatifs et romans historiques l’encombraient désormais à ras-bord. Louna avait possédé chacun de ces ouvrages mais n’en avait lu aucun.

Sans savoir pourquoi cependant, elle avait décidé de les garder, tous ces livres. Peut-être pourraient-ils lui être utiles un jour… Peut-être pourraient-ils la faire briller à nouveau, en masquant le caractère superficiel de son savoir, par leur simple possession. Peut-être lui serviraient-ils à attiser un feu, à l’arrivée des jours glaciaux, la chaufferette de son véhicule étant capricieuse ces dernières années.

La banquette passager s’était quant à elle métamorphosée en garde-manger. Conserves de poisson, craquelins, sachets de noix et autres denrées non périssables y étaient empilés dans de grosses boîtes format bon marché.

La majorité des heures de sa vie se déroulait donc dans un habitacle de 2 mètres carrés, depuis quatre semaines déjà. Au moins une fois par jour, Louna sortait du véhicule, garé dans le stationnement d’un supermarché, pour se dégourdir et pour aller assouvir certains besoins de base dans les toilettes publiques.

Le reste du temps, elle rêvassait en observant les clients déambuler avec leurs paniers débordant de toutes sortes d’objets hétéroclites.

Celle-ci avait choisi ce stationnement parce qu’il était permis aux voyageurs se déplaçant en mobile home d’y demeurer quelques nuits. Elle se considérait aussi comme une voyageuse désormais, à la simple différence qu’elle était actuellement en naufrage dans ce lieu.

Ce soir là, après avoir ingurgité une conserve de thon aneth et ail sur le siège conducteur, en syntonisant une chaîne de musique populaire à la radio, elle tenta de trouver sommeil emmitouflée dans sa courtepointe. Comme à l’habitude, le sommeil ne vint pas. En se retournant, pour adopter une position plus confortable, elle sentit la fermeture-éclair de son pull se coincer dans une portion déchirée de la banquette.

Cette déchirure dans la banquette, résultat d’un incident anodin survenu il y avait de cela une quinzaine d’années, avait changé le cours de son existence.

C’est à ce moment qu’elle se remit à songer à lui de plus belle, sa voiture étant un objet de réminiscence puissant ces derniers jours, le seul objet désormais présent dans sa vie la reliant à son passé.

Pour éviter une montée soudaine d’anxiété, elle y plongea la main dans ce bout de tissu écartelé et l’éventra de plus belle dans un geste brusque et libérateur. Dans la noirceur, elle tâta le matériel synthétique composant la banquette et fit l’inventaire des petits objets s’y étant glissés au fil des années : chewing-gum durci (qu’elle déballa et porta à sa bouche impulsivement), pièce de monnaie, trombone et grains fins d’une substance quelconque non identifiable. Cet exercice eu sur elle un effet calmant et c’est l’esprit un peu plus léger qu’elle s’endormit, le chewing-gum au palais.

 par Mélanie

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Mélanie nous conte ici l’histoire d’un déclassement. D’un changement de vie. C’est posé dès le départ, dans cet incipit très clair : « De son ancienne vie… », ce qui implique qu’il y en a une nouvelle. Mélanie nous présente donc Louna, dont on ne saura pas grand chose de la vie d’avant, mais dont on sait qu’elle était habituée aux objets de luxe. Mélanie s’emploie à nous décrire de façon assez minutieuse cette voiture, ce nouvel espace de vie pour Louna, et je pense que c’est une bonne option narrative : c’est comme s’il fallait que Louna elle-même l’observe, se le décrive précisément, pour arriver à admettre que désormais, sa vie se joue-là. Et nous suivons cette prise de conscience. Il y a quelque chose de l’ordre de la sidération, tout d’abord, comme si la narratrice ne parvenait pas tout à fait à croire à ce qui lui arrive. Puis devant l’évidence, vient une sorte de régression. Et nous vivons avec elle ces différents passages à la lecture du texte. Cette façon d’éventrer la banquette sans réel contrôle, puis de s’endormir enfin, rappelle une colère d’enfance. C’est une jolie scène, je trouve, qui montre le désarroi et la fragilité, sans les surligner.

Il me semble, Mélanie, que tu pourrais approfondir l’idée que tu effleures quand tu parles du coffre : superposer les images d’avant/les images d’après. Par petites touches, un coup par-ci un coup par là (sur le siège passager, il y a dû y avoir des gens importants, la courtepointe n’a peut-être pas toujours été jaunie, etc…), et juste sous forme de « flash », pas de longues explications. Tu donnerais de l’épaisseur à ton personnage en « saupoudrant » un peu de son histoire passée, presque sous forme d’hallucinations par moments, je pense. Par ailleurs, ça renforcerait aussi ton paragraphe final, où là tu pourrais justement cesser totalement les références à son passé, pour marquer un net changement. ça donnerait du coup, bien davantage encore, le sentiment qu’elle « lâche », qu’elle bascule, qu’il se passe là quelque chose d’essentiel pour elle. Que la vraie rupture se joue sous nos yeux.

(présentation de Mélanie)

Bonjour à tous !
Québécoise de souche, c’est avec joie que je me joins à vous pour tenter de développer ma plume ! Le courage me manque pour m’investir dans cette activité créative de façon assidue et autonome. Je suis convaincue que le groupe saura m’apporter une motivation nouvelle. Seul on va plus vite mais ensemble on va plus loin… Au plaisir de vous lire et d’échanger avec vous ! »
Mélanie, 36 ans, ergothérapeute de profession.

Le plaisir est pour nous aussi , Mélanie . .. Ton texte m’a fait penser à un reportage vu dernièrement qui justement retraçait les quelques mois d’une retraitée qui a été contrainte de vivre dans sa voiture !!! Oui, j’ai bien aimé également la dernière scène , à la fois très enfantine et attendrissante… Merci…

Mélanie,

C’est joliment écrit, c’est simple. Tu transmets à travers cette histoire une certaine discrétion et humilité du personnage. Et pour le coup, je perçois les tiennes également 😉

Malgré les difficultés de cette femme et les conditions de vie qui sont les siennes maintenant je lui trouve un certain détachement. J’ai l’impression que son angle de vue est tourné vers : « il en est ainsi …..  »

Les souvenirs de ces morceaux choisis (le chewing-gum, trombone ….. ) vont lui permettre de gérer ses émotions. Cette femme est attentive à ce qui se présente à elle et elle y va, elle joue presque avec.

J’ai aimé aussi le fait que tu ne donnes pas d’informations sur cette femme. Elle est là présente mais discrète.

Merci pour ce joli texte.

Joliment écrit, tout en suggestion, en petites touches. Je la vois sous un autre angle que la fatalité, moi. Un déclassement oui, mais on sent aussi la faille, dès le début du texte, suggérée par petites touches dans le déroulement. Comme un arrêt sur image (image d’un drame de son passé) qui impulsent ses essais compulsifs de « rachat » de son estime à coups d’objets luxueux, spirale infernale qui la mène à la faillite. Un genre de « suicide organisé », finalement. Impression que la coupure d’avec les émotions, seul moyen de survivre, est bien antérieure à sa nouvelle vie. Sans perdre le côté « temps arrêté » et qui s’étire sans but dans cette nouvelle vie, si tu arrivais à faire s’élargir un tout petit peu plus cette faille à la fin du texte, je crois qu’il gagnerait beaucoup en profondeur dans ce rapport passé mouvementé mais déjà factice/présent arrêté,dans la réalité crue, comme si elle avait atteint l’oeil de la spirale… Cette déchirure qui n’est pas que dans la banquette… J’avais même imaginé une explication dans les livres, un rapport drame/livres du coffre…En tout cas, bravo ^^

Ah mais c’est marrant, Ann, parce que je suis assez d’accord avec ton ressenti, mais pour moi ça n’est pas contradictoire avec une certaine fatalité (peut-être en partie acceptée). Comme si finalement, elle n’était pas étonnée.

ah oui un truc: une audi de 98, on a un tout petit peu de mal à l’imaginer en vieux truc rouillé à couleur moche délavée, elles vieillissent bien ces voitures, et peut-être que qqs années de plus (en même temps faut garder la crédibilité d’une personne ayant eu des objets de luxe)… enfin voilà, juste un petit détail qui m’a un peu gênée pour imaginer la scène (#modefand’audioff)

Merci pour vos commentaires constructifs et pour le partage de votre vision ! Je découvre de nouvelles dimensions à mon texte à travers vous ! J’ai écrit ce texte avec l’idée de départ d’une voiture comme nouveau milieu de vie et j’ai laissé « débouler » les idées sans trop savoir où ça mènerait ! C’est incroyable le monde de possibilités qu’amène l’écriture et fascinant !!!

J’avoue que l’Audi 1998 n’était peut-être pas le meilleur choix pour un ramassus de tôle rouillée !

(C’est là qu’on voit mon piètre intérêt pour les voitures, je n’avais même pas tilté 😀 )

j’ai eu une vieille audi de 2001 jusqu’à l’année dernière et elle était très loin d’un ramassis de rouille et pourtant je ne suis pas maniaque ^^ donc…

Ça ne m’a pas fait tilt non plus pour l’Audi ;-)!
J’ai bien aimé ton texte, perturbant juste ce qu’il faut! Merci! Je trouve la piste de Gaëlle intéressante… Aurons-nous la chance de lire une 2ème version?
Et bienvenue Mélanie :-)!

Ma 2em version sera mise en ligne demain vendredi ! J’y travaille ! En espérant avoir vos retours sur celle-ci !

Atelier septembre 2017, Version 2!

De son ancienne vie, elle n’avait pû garder que sa vieille bagnole, qui avait été jugée sans valeur par le syndic de faillite, lors de la saisie de tous ses biens il y avait de cela déjà un mois.

Cette vieille Jaguar 1985, elle n’avait maintenant plus aucun charme ni intérêt pour le commun des mortels, mais elle représentait désormais tout pour Louna.

Elle, dont l’estime s’était construite par l’acquisition continue d’objets luxueux, trouvait désormais refuge dans ce ramassis de tôle rouillée, à la couleur vert bouteille douteuse.

La banquette arrière, recouverte d’un cuir de première qualité couleur crème, avait jadis eu beaucoup d’éclat et en avait épaté plus d’un… Son revêtement luxueux, piqué de coutures dorées, avait connu la luxure et la gloire…Désormais recouverte d’une courtepointe jaunie, sa fonction première était maintenant avant tout utilitaire. Louna l’utilisait comme couchette, une couchette étroite et inconfortable…

Le coffre, utilisé auparavant pour entreposer ses nouvelles trouvailles lors de séances de magasinage, n’en était désormais plus un au trésor. Louna y avait entreposé le contenu de la grande bibliothèque qu’elle possédait jadis dans son studio grandiose (le syndic n’ayant pas saisi le contenu de ce meuble d’époque, le considérant sans valeur marchande). Recueils classiques, bouquins informatifs et romans historiques l’encombraient désormais à ras-bord. Louna avait possédé chacun de ces ouvrages mais n’en avait lu aucun.

Sans savoir pourquoi cependant, elle avait décidé de les garder, tous ces livres. Peut-être pourraient-ils lui être utiles un jour… Peut-être pourraient-ils la faire briller à nouveau, en masquant le caractère superficiel de son savoir, par leur simple possession. Peut-être lui serviraient-ils à attiser un feu, à l’arrivée des jours glaciaux, la chaufferette de son véhicule étant capricieuse ces dernières années.

La majorité des heures de sa vie se déroulait donc dans un habitacle de 2 mètres carrés, depuis quatre semaines déjà, fait paradoxal pour elle qui avait possédé plus d’espace que l’on ne peut en habiter. Au moins une fois par jour, Louna sortait du véhicule, garé dans le stationnement d’un supermarché, pour se dégourdir et pour aller assouvir certains besoins de base dans les toilettes publiques.

Le reste du temps, elle rêvassait en observant les clients déambuler avec leurs paniers débordant de toutes sortes d’objets hétéroclites.

Celle-ci avait choisi ce stationnement parce qu’il était permis aux voyageurs se déplaçant en mobile home d’y demeurer quelques nuits. Elle se considérait aussi comme une voyageuse désormais, à la simple différence qu’elle était actuellement en naufrage dans ce lieu.

Ce soir là, après avoir ingurgité une conserve de thon aneth et ail, en s’imaginant déguster un tartare exquis recouvert de caviar à chaque lapée, elle tenta de trouver sommeil emmitouflée dans sa courtepointe. Comme à l’habitude, le sommeil ne vint pas. En se retournant, pour adopter une position plus confortable, elle sentit la fermeture-éclair de son pull se coincer dans une portion déchirée de la banquette.

À cet instant, tout bascula. Elle fut envahie d’un brasier insoutenable, prenant origine au sternum et irradiant dans tout le corps, sa voiture étant soudainement un objet de réminiscence puissant.

Pour éviter d’être entièrement consumée par cette chaleur, ce brasier, elle y plongea la main sous ce bout de tissu écartelé et l’éventra de plus belle, dans un geste brusque et libérateur.

L’esprit léger, dans la noirceur, elle tâta le matériel synthétique composant la banquette et fit l’inventaire des petits objets s’y étant glissés au fil des années : chewing-gum durci (qu’elle déballa et porta à sa bouche impulsivement), pièce de monnaie, trombone et grains fins d’une substance quelconque non identifiable. Elle s’endormit par la suite à poings fermés, dans un sommeil profond qu’elle n’avait pas connu depuis des mois.

Ce soir là, par son action banale mais combien significative, elle avait choisi la vie plutôt que le néant, sans même en être consciente. Elle était prête pour une renaissance…

Texte écrit par Mélanie 😉

Oui, c’est chouette, ces petites modifs que tu as faites, Mélanie. J’aime tout particulièrement le « s’imaginant déguster un tartare exquis… », c’est vraiment très imagé et très bien trouvé.

Je crois que j’aurais juste envie d’alléger un peu ton petit dernier paragraphe, pour ne pas le rendre trop démonstratif. A mon sens, garder simplement « Sans même en être consciente, elle était prête pour une renaissance », suffirait. Je crois que le lecteur ferait le lien spontanément, et tout seul, avec la scène qui précède.