Texte de Mini697

Matthieu regardait Sarah dans le rétroviseur. Il avait, encore une fois, du mal à contenir son impatience mais il devait tout de même noter les progrès qu’elle avait faits. Elle arrivait désormais à fixer le siège bébé toute seule et en relativement peu de temps. Mais, elle oubliait constamment quelque chose dans la maison, le doudou, le petit ballon bleu, le biberon. Elle multipliait les allers retours et finissait enfin par s’installer à ses côtés, en nage, les joues rouges et particulièrement stressée.

– J’espère que ça va mieux se passer cette fois, commença-t-elle

Il ne répondit pas.

– Non ? T’es pas inquiet ?

– Sarah, on en parle à chaque fois, je ne sais plus quoi te dire

– De quoi ? Bon, peu importe, tu démarres ? On est en retard.

– Oui enfin, y a pas le feu hein..

Matthieu était bon conducteur, plutôt calme et détendu. Il avait obtenu son permis du premier coup, malgré un nombre incalculable d’heures de conduite perdues dans les bouchons et ces piétons insouciants qui semblaient constamment vouloir se jeter sous ses roues.

Mais, il n’en pouvait plus de ce trajet infernal, qu’il connaissait pourtant par cœur désormais.

Il n’en pouvait plus de Sarah, Sarah qu’il avait pourtant tant aimée, auparavant si joviale et légère. Sa Sarah et non cette femme qu’il reconnaissait à peine, dans un état de tension indescriptible et permanent, qui se retournait toutes les trente secondes vers le siège arrière de leur Clio et qui se contorsionnait de manière ridicule pour tirer sur un coin de couverture. Sarah qui n’avait pas dormi depuis plus d’un an et qui s’était complètement perdue dans ce qu’elle imaginait être la vie de mère parfaite.

Le feu passa au rouge et Matthieu sut que ce n’était pas un bon jour. Encore un feu rouge et ce serait la crise à sa droite. Pourtant, les nounous de la crèche étaient très compréhensives et il ne comprenait pas pourquoi Sarah ne se calmait pas avec le temps. Comme si cela avait la moindre importance finalement.

Deuxième feu rouge. Cela ne manqua pas.

– …

– Écoute Sarah, j’en peux plus

– De quoi ?, répéta t-elle, à son grand désarroi

– De tout, c’est la dernière fois que je te conduis dans cette foutue crèche

– Matt, tu sais bien que je ne peux pas conduire et il faut être deux pour surveiller le petit, tu sais ce que le médecin a dit, tu sais..

– Non Sarah, il ne faut pas être deux. Et non je ne sais pas.

Il se gara et se tourna vers sa femme qui le regardait d’un air qu’il ne savait pas déchiffrer.

Sarah dévisageait son mari. Il l’agaçait. Il ne l’aimait plus, c’était évident, mais cela lui était bien égal. Sa vie avait changé, elle avait juré un amour inconditionnel à un autre. Régulièrement, ces derniers temps, il tenait à la contrarier par des discours insensés. Il choisissait toujours les pires moments, alors qu’ils étaient en retard pour la crèche ou que l’une de ses amies venait admirer son nouveau bébé.

Elle fixa la petite boutique devant laquelle il s’était garé et aperçut au loin la jeune caissière avec qui elle s’était déjà disputée. Mais elle devait avouer qu’elle ne savait plus trop pourquoi. La jeune fille s’était moquée d’elle. De sa poussette. Ou de l’apparence de son fils. Ou l’avait accusée de se servir de la poussette à des fins malhonnêtes, oui c’était peut-être cela. Cela n’avait aucun sens. Sarah n’était pas sûre de vouloir rester dans ce voisinage. D’ailleurs, elle n’était pas convaincue non plus que c’était une bonne crèche et c’est pour cela qu’elle ne comptait pas y laisser son fils sans elle. Peut-être devaient-ils déménager ? Oui, ce serait sûrement mieux pour le petit. Elle entendait la voix de Matthieu, lointaine, mais elle ne savait pas de quoi il lui parlait. Elle se tourna vers son fils et lui sourit.

Matthieu avait redémarré à contrecœur. Une fois par semaine, il avait la force de confronter sa femme. Il se garait parfois devant la petite boutique où elle avait un jour été confrontée à l’absurdité de la réalité, à l’incompréhension des autres voire leur suspicion. Il espérait qu’elle aurait enfin un déclic et qu’elle lui épargnerait ce trajet sans queue ni tête qui lui coûtait son temps et son argent, son énergie et sa santé mentale. A lui. La sienne à elle, c’était une autre histoire désormais. Et à chaque fois, il perdait la bataille et reprenait le chemin de la crèche, abattu, voire effrayé, sans jeter le moindre coup d’œil au siège bébé, éternellement vide, que Sarah attachait avec soin chaque matin depuis qu’elle avait appris la triste nouvelle.

 

Par Mini697

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Voilà un texte « à chute » qui sur moi, a fonctionné à merveille. Si j’ai assez vite subodoré que chute il y aurait, je n’ai absolument pas vu venir laquelle, et je l’avoue, elle m’a émue. C’est un texte bien mené, chaque personnage est campé dans sa « propre vérité », et Mini697 parvient à nous faire imaginer un bon moment que leur déchirement n’est dû qu’à de « classiques » prémices de séparation… Jusqu’à ce que l’on comprenne que c’est plus compliqué. Les petits indices semés ça et là (la poussette qu’on lui reproche d’utiliser à des fins malhonnêtes, dont on ne comprend qu’après coup que c’est parce qu’elle est vide…) renforcent l’effet de chute, sur le mode « ah mais oui, tout y était, pourtant ! ». Et j’ai aimé, à titre personnel, cet homme agacé et en colère, face à cette femme dans le déni. Il aurait pu être lui-même accablé, ou juste compréhensif. Le côté un peu plus « noir » apporté par son énervement m’a plu. Tout comme m’a plu que la souffrance de cette femme ne soit pas évoquée, nommée directement, mais juste mise en scène à travers ce déni puissant. Enfin, le changement de point de vue en cours de texte (mari/femme) est intéressant et fonctionne bien.

Petit détail malgré tout : je n’ai pas vraiment compris si elle allait réellement dans une crèche ou pas. Matthieu y fait allusion lui-même (« les nounous de la crèche sont très compréhensives »), et ça me semble créer une zone de flou… Je pense que c’est peu crédible qu’elle soit acceptée « en vrai » dans une crèche sans son bébé, même si on peut imaginer que ça fait partie de son déni de s’y rendre, voire de rester devant 3h sans rien faire. Du coup c’est étrange que Matthieu y fasse allusion, puisque c’est le personnage qui est du « bon » côté de la réalité. Dans le même ordre d’idée, je trouve dommage de ne pas ancrer davantage Matthieu dans la réalité quotidienne, pour renforcer cette opposition réalité/déni. Faire des allusions presque « plan-plan » (« une fois encore, il serait en retard au travail, ça n’était plus possible », « il ne devait pas oublier de passer au drive ce soir en rentrant, le frigo était vide », etc…), pour le rattacher totalement au côté « pieds sur terre », et renforcer par effet de contraste le décalage de Sarah.

J’ai été très très touchée par ce texte dont la chute m’a fait pleurer ( condition de nouvelle maman avec bébé tout neuf peut être)…

C’est vrai qu’au départ, on peut y lire tous les agacements d’un couple de jeunes parents, tous les signes d’un couple que la venue de l’enfant aurait fait éclater…puis grâce à tes petites touches Minnie, on se dit qu’il va arriver ou qu’il est arrivé quelque chose ( j’ai pour ma part pensé que ce bébé avait un handicap tout d’abord).

On ne sait pas ce qui est arrivé à ce bébé, moi j’ai supposé qu’il avait dû fréquenter cette crèche ( puisqu’on sait qu’il était un petit garçon), ce qui rendait les dames de cette crèche compréhensives face au drame vécu.. ( ça c’est pour répondre au questionnement de Gaëlle).

En tout cas, j’ai beaucoup aimé ce texte ( même si vraiment je ne peux le relire sans pleurer). Je trouve l’écriture efficace, sans pathos…on devine la souffrance de Matthieu et Sarah et l’isolement de chacun qui en découle…

Mini tu es toujours très forte pour installer une sacrée ambiance, et une histoire originale, après avoir posé une base qui semblait assez normale. J’ai un temps crû à un rosemary ‘s baby 🙂 et je rejoins Gaëlle juste sur le fait que ce n’était pas très clair cette histoire de crèche

Alors je reconnais tout à fait cette zone de flou, je pense que c’est parce que je ne sais pas moi meme ce qu’il en est 🙂 je ne sais pas trop s’il est arrivé quelque chose à leur fils ou s’il n’a jamais existé.
Matthieu a l’air d’avoir un métier plutôt cool effectivement…

J ai lu ce texte avec beaucoup de plaisir. Le style est très fluide, le contexte très bien brossé. On rentre tres rapidement dans l histoire. Je me suis meme surprise a m imaginer à l arrière de la voiture avec le couple.
Je rejoins les divers avis : on ne s attend pas du tout à cette fin !!! (Même si tu commences à planter la petite graine de la chute avec l episode de la vendeuse mais c est ce qui donne du sens à l histoire).