Texte de Nolwenn

Revanche ?

Cléo est en retard. Il fait -12°C. Elle a oublié ses gants. Heureusement la soirée s’annonce sympa. Ses amies l’attendent à l’Univers, leur QG d’avant qu’elles deviennent des femmes-mariées-avec-enfants-et-carrière. Leur dernière soirée filles remonte à … au moins tout ça. Elles étaient presque hystériques en s’échangeant des mails pour l’organiser. Réunir les cinq, la même soirée, dans la même ville n’a pas été facile, elles comptent bien en profiter !

Aaaah… chaleur, odeur de bière, Asaf Avidan dans l’air et les petits cris suraigus des copines qui l’aperçoivent. On se croirait dans Friends, quand les anciennes amies de Rachel se pointent au Central Perk. Une caïpirina en main. Bonheur.

Tiens, une tête douloureusement familière assise au bar. Thomas. Avec 20 ans de plus. Il l’a regarde, ses yeux s’agrandissent, il sourit, se lève. Et merde ! Pourquoi ce soir, ici, maintenant ? Ah oui c’est vrai, elle lui a fait découvrir ce lieu, un jour. Renonçant à s’esquiver, elle prévient ses amies que M.Salop arrive. QUOI, comment, où… ah bonjour Thomas. Il s’approche et claque deux bises à chacune. Son parfum. Le même. Toujours troublant.

« Alors les filles, vous devenez quoi ? » Qu’est-ce qu’il fait ce petit con ? Ne se souvient-il pas que toutes les femmes ici présentes le détestaient ? De la façon dont on déteste un pauvre type quand on a 20 ans et qu’il a fait beaucoup de mal à votre amie. Cléo hésite. L’étrangler ou être courtoise ? Après tout, c’est loin. Elle a tourné la page. Elle est devenue une femme accomplie. Elle n’a pas besoin de revanche. Ce serait petit. Mesquin. Immature.

« Je suis désolé, je dois aller retrouver mon frère. Cléo ça te dirai d’aller boire un café un de ces quatre ? » Elle le regarde au fond des yeux et dans sa tête, le dialogue qu’elle a répété tant de fois refait surface. Pour quoi faire Thomas ? Pour être amis ? On n’a jamais réussi à l’être. Tu m’as dis de jolies choses que j’avais besoin d’entendre.Tu m’as fait croire que quelque chose serait possible entre nous. Mais tu as piétiné mes sentiments. Tu t’es servi de moi pour te rassurer. Tu claquais des doigts et j’arrivais. La seule à ne pas savoir que j’étais ton amante c’était ta gonzesse. Je t’aimais et je te haïssais. Tu n’as jamais eu le courage de mettre fin à tout ça, pauvre lâche ! Quand j’essayais, tu revenais toujours. J’étais faible. Comment un mec aussi beau pouvait-il s’intéresser à moi ? Il va forcément larguer sa copine avec qui il n’est pas heureux. Sinon il n’agirait pas comme ça. Trop conne oui. J’étais novice dans l’art d’aimer et tu m’as détruite ! Tu sais qui a payé les pots cassés de cette année destructrice ? Mon mari actuel. Il s’est accroché aux branches… Stop, stop, stop, ça fait 20 ans Cléo, lâche l’affaire.

« Pardon, je n’ai pas bien entendu à cause du bruit, tu voulais quoi ? »

« ça te dirai d’aller boire un café un de ces quatre ? »

« Pour quoi faire ? Tu t’emmerdes avec ta femme et tu as besoin de distraction ? Désolée mais   j’ai arrêté les hommes qui ont un problème avec leur virilité. Salut Thomas et bonjour à ta femme. »

Cléo se rassoit. Les filles éclatent de rire. C’était petit. Mesquin. Immature. Mais putain ça fait du bien !

Par Nolwenn
Aime lire, raconter et écrire des histoires depuis… (ne s’en rappelle pas c’est trop loin). Devenue journaliste de presse écrite pour en partager. Dans ses rêves les plus fous, serait conteuse et écrivaine. Y travaille…

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C’est un texte au titre parfait : c’est sans doute une revanche, mais pas sûr. C’est peut-être aussi juste une boucle qui se boucle. En tout cas c’est un instantané, qui permet en même temps de dire beaucoup de chose du passé de ces personnages, puisque l’instantané se passe dans un lieu chargé « historiquement parlant » pour eux. La construction est bien fichue, façon zoom : au début du texte, plutôt de l’ambiance globale, la description des lieux et quelques allusions aux gens alentours, et puis petit à petit, juste les deux personnages principaux de l’affrontement. Pour finir en réintroduisant l’alentour une fois que la tension est relâchée (les copines rient). Ça fonctionne bien.

Petit détail purement technique mais qui m’a « accrochée » à la lecture : Asaf Avidan d’un côté, et friends/une ambiance censée rappeler celle d’il y a 20 ans, de l’autre, ça ne va pas bien ensemble. Du coup, ça me semblerait intéressant de le souligner, carrément, ce grand écart. Un truc du genre « S’il n’y avait pas Asaf Avidan dans les hauts parleurs, on jurerait qu’ici rien n’a changé. La preuve, il y a même Thomas, encore et toujours assis au bar. Merde, Thomas. ». A reformuler bien évidemment avec la patte de Nolwenn si l’idée lui plaît !

Et je comprends bien le ressort narratif du monologue intérieur, qui permet de donner au lecteur les explications qu’il n’aura pas sinon. Mais je le trouve un peu « facile ». Il me semble que la meilleure « marge » d’évolution du texte se situe là. Peut-être que ce serait intéressant et plus vivant de faire vivre cette partie d’histoire sous forme de dialogue entre les filles, avant que Thomas n’intervienne. Elles l’ont vu de loin, elles en parlent, se souviennent justement de l’attitude de Cléo et de son attitude à lui, probablement avec un mélange de moquerie et d’inquiétude de le voir là, ne sachant pas ce que ça déclenchera chez leur amie. Et quand, dans un second temps, il vient leur dire bonjour, Cléo lui claque le beignet.

La fin me semble bien trouvée, c’est le genre de truc qu’on rêve tous un jour ou l’autre de faire, moucher quelqu’un qui nous a fait souffrir, même si on sait que fondamentalement, ça n’a rien de glorieux, mais que raaaaaaaa, ça serait bon !

Merci Gaëlle pour ton retour.
Insérer Thomas comme tu le fais avec la contradiction Asaf Avidan/Friends me plaît bien. Et effectivement, raconter le monologue intérieur au travers d’une discussion entre les amies serait plus sympa mais je vais dépasser la consigne des 4500 signes ! Ce que je vais faire pour améliorer ce texte du coup.

Une interrogation que j’avais c’est sur le côté « vulgaire » avec les termes merde, petit con, emmerdes, putain que j’insère. Je ne suis pas fan des grossièretés dans un texte mais certaines sont tellement rentrées dans le langage courant que je me voyais mal écrire « Thomas. Avec 20 ans de plus. Zut ! » ou « Tu t’ennuies avec ta femme ?  » J’aurai pu mettre, au lieu de « putain ça fait du bien » comme tu l’a écrit à la fin de ton commentaire « raaaa, qu’est-ce que c’est bon » mais je me demande si ça n’alourdit pas le texte tout en ôtant l’intensité du bien-être qu’elle éprouve à faire ça.
Bref, j’hésite sur l’emploi des grossièretés, qu’en penses-tu ?

Je suis assez d’accord avec toi que certaines grossièretés font désormais presque partie du langage « courant » (et juger de si c’est une bonne ou une mauvaise chose n’est pas ici notre sujet 😉 ).

Par exemple, le « tu t’emmerdes avec ta femme? » me semble plus relever du langage parlé, certes un peu fleuri, mais pas forcément de la vulgarité. C’est aussi une façon de « typer » un personnage que de lui choisir un niveau de langage, des expressions, lorsqu’on le fait parler. Faire parler Cléo de manière parfaitement châtiée ne lui correspondrait pas tout à fait. Et une expression du genre « petit con » permet d’emblée de positionner la façon dont elle considère Thomas.

En ce sens, ces deux « grossièretés » sont utiles à ton texte: l’une aide à cerner le personnage, l’autre à comprendre ce qu’elle pense de Thomas. Elles sont efficaces.

En revanche, je te rejoins sur le fait qu’il n’est pas toujours agréable de lire des grossièretés à répétition. Je pense que c’est un dosage subtil et un exercice périlleux. Il faut toujours se demander si ça a un intérêt, si ça apporte quelque chose, ou si c’est juste une « facilité ». Et il n’est pas forcément toujours nécessaire d’en écrire autant que le personnage en dirait en vrai. Ecrire quelques mots grossiers peut suffire à suggérer le trait, et on se permet ensuite d’alléger un peu le texte en n’en mettant pas trop.

En ce sens, je ne suis pas sûre, pour ma part, que je conserverai le « putain » de la fin. Contrairement aux deux autres exemples cités avant, il n’apporte pas vraiment grand chose. Il pourrait assez facilement être substitué par un « bon sang », par exemple.

Ceci dit, je ne suis pas sûre qu’il soit « choquant ». Donc à voir ce que tu en penses, toi.

J’ai tout simplement adoré, j’aime ces rendu-compte très vrais, on les croirait sortis d’un appareil photo. ça vit. J’attends la suite!

Bon, alors moi, je vais faire mon inculte: je ne savais pas qui était Asaf Avidan ! Mais ça n’a pas perturbé plus que cela ma lecture et je suis allée googlisé après.
😀

Je me permets d’intervenir sur les « grossièretés », en grande spécialiste d’écriture à gros mots. Oui, car même si mon texte de l’atelier ne le montre pas, c’est un peu ma spécialité…
Et donc, je pense que des mots « merde, emmerder, putain… » relèvent à présent d’un langage relativement courant. Tu aurais mis « zut! », cela m’aurait effectivement paru décalé. Un petit conseil: si tu as du ma l à écrire ces passages là, dis-toi que c’est ton personnage qui s’exprime, pas toi, et que sa façon de parler doit coller à sa personnalité et au contexte.

Emma, as-tu aimé après avoir googlisé Asaf Avidan ?

Sur les grossièretés tu as raison ce n’est pas moi qui m’exprime mais mon personnage. Après la question est : si je ne suis pas à l’aise avec le fait d’en employer, ne vais-je pas mal les employer ?
Je pense que je m’identifie aussi beaucoup à mes personnages et me mets à leur place en me disant « et moi je dirais quoi ? » Bref à travailler !

Merci ! La suite peut-être sur un autre atelier !

A titre perso, je crois assez à ce que tu dis, Nolwenn: si je suis mal à l’aise avec quelque chose, spontanément, ça risque de « frotter » si j’emploie cette chose en écriture. ça vaut pour un sujet, ou pour un style, ou pour un niveau de langage, etc…

Mais, car il y a un mais, et c’est là que c’est magique: ça se travaille! On peut, en écriture, être un homme, une femme, un gosse, parler très chic, parler gouailleur, on peut tout. C’est parfois du boulot. C’est parfois pas le bon moment, la première fois qu’on s’y colle, ça coince, on grommelle, on lâche l’affaire. Mais c’est possible d’y revenir et petit à petit, d’y parvenir.