Texte d’Emije

Je perds l’équilibre, j’ai envie de vomir, la tête qui tourne et tout ce blanc qui me saute en pleine face, je n’en peux plus de le voir …… Figée, choquée, en sueur, un étau dans la tête et au niveau de la nuque mon cerveau reptilien ne répond plus de rien. Vais-je tomber ? Mourir ? Le temps s’est arrêté. Suis-je passée de l’autre côté ?

J’ai envie de noir sur du blanc mais je ne vois que du blanc qui défile sous mes yeux. Le blanc, synonyme de pureté et d’innocence m’apparaît soudain funeste et ténébreux.

Une heure plus tôt le livreur me contacte pour savoir si je suis à mon domicile. Je lui dis que je termine une course et que j’en ai pour une petite demi-heure (ce coup de téléphone, je l’attendais comme on attend, frileux et excité, les résultats du bac).

Les yeux rivés sur mon portable depuis plusieurs jours il est devenu mon unique compagnon de cœur, celui avec lequel vous tissez des liens si forts que, quand vous l’oubliez ou le perdez, vous vous sentez seul au monde. Un vrai fil à la patte, comme parfois avec certains hommes…..

J’ai tout délaissé chez moi, mon lieu de vie ressemble à un terrain miné, la vision du parquet chêne clair n’apparaît plus sous mes pieds, le chaos en plein 13ème, l’eau des fleurs est brouillé.

A l’arrêt de bus, ma course terminée je ne tiens plus en place. Je fais les cent pas d’un côté comme de l’autre. I feel over-powered …… «  le fil vert sur le bouton vert, le fil rouge sur le bouton rouge ». Telle était devenue ma devise depuis quelques semaines pour ne pas monter en SUUURCHAUFFE !!!

Le bus en ligne de mire, j’avance sur le rebord du trottoir. Un homme me tire, voire m’attire vers lui. Inconsciente, j’ai bien failli me faire happer par une voiture roulant à pleine vitesse. J’étais dans un tel état d’euphorie, de stress que rien ne pouvait m’arriver de moins bon aujourd’hui.

Arrivée enfin devant l’entrée de mon immeuble je tente une montée quatre à quatre des escaliers, le sac de courses tombe, tout dégringole, les abricots se font la malle et descendent un par un les marches comme dans un défilé, mon chemisier est carrément ouvert, j’ai chaud, mes lunettes glissent sur mon nez, de la sueur perle au-dessus de mes lèvres. Si on me voyait ……… Mon portable sonne, je lâche tout, le livreur est devant l’entrée, tout est en vrac dans les escaliers. Je vais lui ouvrir.

Il me lance « bonjour, qu’est-ce qui vous arrive ? Vous avez fait un cent mètres ? » Il regarde à l’intérieur de mon chemisier, je suis gênée, j’ai encore plus chaud. Je lui indique le chemin vers l’ascenseur et nous montons ensemble, les abricots m’attendaient dans l’entrée ……

A la recherche de mes clefs, je les trouve après avoir vidé l’intégralité de mon sac sur le palier, il rigole et je pense pour lui. Il doit se dire, toutes les mêmes ces femmes, quel foutoir dans un 15 x 30 cm. Il rentre les colis dans l’appartement, jette un œil discret sur le salon attenant qui ne ressemble à rien et me fait signer sur le boitier magique avec un stylet. Il me souhaite une bonne journée et me dit « hé n’oubliez pas vos abricots, ils vont finir en purée ….. »

Je m’assoie par terre quelques instants, je tente quelques exercices de respiration. Plus je me dis allez Clotilde, inspire et expire par le ventre, vide, vide l’air et plus je fais exactement l’inverse, je bloque tout. Je suis en apnée.

Je file à la cuisine chercher une paire de ciseaux, j’entaille le milieu des deux colis et j’hésite. Mon cœur bat la chamade, j’ai l’impression que là, dans les secondes qui suivent, on va me demander en mariage. Je vais faire un tour dans le salon, dans la salle de bains. Qu’est-ce que j’ai chaud !!! Hou la la je crois que j’ai de la fièvre, je ne me sens pas très bien. Je retourne au salon, ouvre grand la fenêtre, respire un bon coup. Seul un air vicié entre dans mes poumons mais ça n’est pas grave, ça me fait du bien.

Mon téléphone sonne. C’est ma sœur du Canada. Elle appelle pour avoir des nouvelles, pour savoir où ça en est. Je lui dis que je la rappelle un peu plus tard, que c’est en cours, qu’ils sont arrivés. Je n’ai pas envie de le partager en direct avec elle, juste le vivre et l’apprécier seule. Pour une fois, j’ai décidé de faire mon égoïste.

Je respire et j’ouvre.

J’en prends un, puis deux, puis trois, je plonge mes bras jusqu’au fond des colis, je les ouvre, les compulse, les jette au fur et à mesure parterre. Je perds l’équilibre, j’ai envie de vomir, la tête qui tourne et tout ce blanc qui me saute en pleine face, je n’en peux plus de le voir ……….. Je hurle, je crie. Ils ont décidé ………. de ne pas l’éditer.

Par Emije

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Voilà un sujet qui ne peut que me parler, puisque ça parle d’édition… ! Ici, c’est un suspense d’impatience que met en scène Emije. C’est une tonalité différente du suspense angoissé de Schiele, par exemple. Mais cette impatience est je le trouve très bien rendue : le côté virevoltant, maladroit, dispersé de l’impatience est bien mis en scène par Emije, qui prend la peine de le traduire par des exemples précis, et parlants (ah les courses qui se cassent la figure, ça nous est tous arrivés, non, en période où on est entièrement concentré sur notre impatience ???… ! Ou le chemisier entrebâillé, ou…). De même, je trouve que l’écriture « un peu décousue mais pas trop » colle assez bien au thème, tout comme le choix du présent, qui permet une narration rythmée. Et même si la raison du suspense est ici moins « poisseuse » ou « angoissante » que dans d’autres textes (car c’est un texte assez vivant, dynamique, je trouve, malgré la déception finale), il est pour autant fort bien tenu, et on termine un peu hors d’haleine, à la manière de l’héroïne. Emije nous fait donc ici une belle démonstration d’un suspense « pétillant » assez maîtrisé.

Il y a une chose qui m’a gênée, Emije, c’est que je ne suis pas sûre d’avoir compris à quoi tu faisais allusion avec tout ce blanc, qui revient au début et à la fin comme une boucle bouclée, qui du coup a une importance certaine, mais qui m’échappe… J’aime bien que ton texte boucle, c’est plutôt bien trouvé pour le « tenir », sachant qu’entre les deux, ton héroïne part un peu dans tous les sens… Mais je ne sais pas à quoi tu fais allusion avec ce blanc qui la rend malade. C’est comme si ton héroïne consultait des livres tous blancs au lieu de consulter des livres avec ses écrits dessus, c’est ça ? (puisqu’ils ne l’ont pas éditée) Ou autre chose ? On reçoit rarement des choses « blanches » lors d’un refus d’édition (on reçoit un courrier qui dit que blablabla, ça ne correspond pas à la ligne éditoriale – Tu la sens, l’expérience, là ? 😉 ), c’est sans doute pour ça que je ne suis pas sûre de t’avoir bien comprise. Et ça peut sembler de l’ordre du détail, mais du coup ça m’a gênée dans la fluidité de la compréhension de ton texte, il faudrait que l’on sache mieux ce que c’est que tout ce « blanc » qui revient (ou alors c’est juste moi qui n’ait pas compris et on attend l’avis des autres 😉 ).

Gaëlle, merci pour ton commentaire de retour dont les appréciations m’ont fait plaisir et beaucoup de bien. Eh oui, on attend peut être le retour des autres participantes ….. 😉

Pour cette histoire de blanc, au tout début, j’ai cru que la narratrice était morte et qu’il y avait une grosse lumière blanche…et à la fin j’ai imaginé plein de livres pas édités, sans bien comprendre pourquoi mais ça ne m’a pas gênée en fait ( certainement parce que n’étant pas confronté à ce monde de l’édition, le réalisme du truc ne m’est pas important). Je trouve que le côté foutraque de l’attente et du stress que ça génère est hyper bien rendu, et rendre la nana attachante et proche de nous ( enfin de moi au moins :p)

Je me suis laissée emporter par cette attente, j’ai vraiment visualisé les scènes que tu décrivais.
Par contre je rejoins Gaelle, c’est d’ailleurs un des 1ers points que j’avais noté dans mon commentaire, je n’ai pas trop saisi cette histoire de blanc.
J’ai imaginé qu’elle recevait des pages blanches mais du coup je n’ai pas compris (car même si je n’ai pas l’expérience de l’édition), je n’imagine pas qu’ils envoient des livres vides. Du coup, ça m’a un peu génée sur la fin

Je n’ai pas compris non plus cette histoire de blanc : une grosse angoisse peut-être ? En tout cas, tu as bien rendu le stress que resse la narratrice, celui qui tourne la tête et où on fait les choses automatiquement et donc n’importe comment 😉

Bon et bien même chose pour moi ;-), j’ai bien aimé ce texte que j’ai trouvé très agréable à lire, on se laisse facilement emporter par la narration, ça m’a parlé à moi aussi! Pour le blanc du début, je me suis demandée si c’était de l’éblouissement, de l’évanouissement mais ça ne m’a pas dérangée de ne pas savoir. Par contre, j’ai été gênée par le blanc de la fin, ça m’a étonnée aussi qu’elle reçoive des livres blancs et je n’ai pas compris… Je suis curieuse de l’explication Emije 😉

Le texte est effectivement très bien mené, et l’indice chez moi c’est que je n’ai pas eu la patience de lire jusqu’à la fin, j’ai sauté quelques lignes pour savoir de quoi il s’agissait, avant de reprendre le cours de ma lecture! 😉 J’ai vraiment ressenti le côté anxieux de paniqué, avec ce manque d’organisation et toute cette maladresse en cascade que peut engendrer le stress.
Cette personne sort plusieurs exemplaires du carton, j’ai donc compris qu’il s’agissait de plusieurs exemplaires du livre, mais avec uniquement des pages blanches à l’intérieur. J’ai visualisé la scène comme quelque chose d’un peu irréel….?

Emije, tu nous racontes, alors, ce que tu imaginais avec ce « blanc »? 🙂

Je rejoins les autres commentaires : le blanc m’a perturbé au début, mais sans plus (je me suis dit que je comprendrais plus tard). Mais je n’ai pas compris qu’elle reçoive la fin avec livres aux pages blanches… Donc, je suis preneuse de l’explication d’Emije aussi! Ce que j’ai beaucoup aimé dans ton texte est la description de son état face au vendeur, avec les courses, son sac.. etc… C’est très bien décrit, je voyais et vivais la scène.

Je reviens vers vous demain soir ….. vivement le weekend !!!

Gaëlle tu l’as évoqué, Lou et Schiele aussi, tout ce blanc était effectivement la réception des livres non édités. Cette idée qui m’est passée parla tête n’est certes pas réaliste mais comme l’imaginaire n’a pas de limites, je me suis dit pourquoi pas …… il vous arrive parfois des images ou des flashs particuliers et c’est l’image qui m’est venue en premier, cette femme assise avec ces livres blancs, vides, rien, le néant. Merci en tous les cas pour tous vos commentaires.

moi j’aime bien cette idée, ca va avec le coté foutraque de cette nana, enfin comme je l’imagine

Je comprends l’envie, et l’image qui passe et qu’on attrape au vol. Et pourquoi pas, tu as raison, l’imaginaire n’a pas de limites… Il faut juste garder en tête que ce qui en a, en revanche, des limites, c’est la cohérence narrative 😉 . D’ailleurs, je crois que les personnes qui m’ont le plus fait bosser la cohérence narrative d’un texte sont justement les gens habitués à la littérature fantastique/fantasy, parce que la tentation est grande de se dire qu’on peut « tout se permettre » dans ces genres qui ouvrent l’imaginaire sans limite, mais que ça ne passe que si tu tiens PARFAITEMENT le fil de la narration. (juste un exemple comme ça si tu les as lu: Harry Potter, c’est vraiment, vraiment, hyper bien construit et « tenu » de bout en bout, c’est aussi pour ça que c’est jouissif, il n’y a jamais rien de dissonnant!) 🙂

Ici, tu as construit un texte hyper réaliste (c’est même une de ses qualités!), avec des descriptions très concrètes de situations vécues, là-maintenant, et on s’y croit. Alors sans doute que l’écart est trop grand, ensuite, pour que notre imaginaire à nous, de lecteur (que du coup tu n’as pas préparé du tout à ça en étant sur une tonalité concrète-concrète), bascule sur un élément totalement inventé et n’ayant pas d’ancrage dans le « vrai ». Si tu as envie de garder ce « bizarre », il faudrait à mon sens en distiller un peu d’autre, au fil de ton texte. ça pourrait tout à fait devenir un texte très concret, mais avec un vague fond d’étrangeté… ça pourrait même être très très chouette à l’arrivée, je pense. Tu sais, un truc où on se demande où ça va s’arrêter, si on est vraiment dans le réel ou pas, quelque chose de « border line », qui resterait sur le fil. L’autre solution étant de rester sur la tonalité actuelle du texte (qui est très bien aussi comme ça!), mais alors il faut lui trouver une autre façon de boucler, et d’amener la chute, je pense.

Merci Gaëlle pour tes suggestions de nouvelle pistes afin d’éviter ce trop grand décalage entre le très concret et la partie irréelle. Dès que j’ai un petit moment je tenterai de les retravailler dans un sens ou dans l’autre, voire peut être les 2 ….