Ateliers d’écriture créative, de fictions, animés par Francis Mizio

Catégorie : Emije

Texte d’Émije – « Odette »

Odette vit seule chez elle depuis que notre Papy est parti il y a 8 ans. Un dimanche par mois nous allons déjeuner chez elle, ses trois petits-enfants. Mamé comme l’appelle mon jeune frère a ses rituels de préparatifs. La table est posée depuis la veille, le menu réfléchit depuis une semaine.
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Texte d’Emije

L’été laissant paisiblement la place à son amie l’automne, nous attendons de les déguster avec joie et impatience !

En parisiennes d’origine que nous sommes, nous considérons que l’été a déjà fait son œuvre.

Expatriées au mois de juillet à l’autre bout de la France dans la direction sud du fait de la mutation de Maman, Justine et moi décidons comme les années précédentes de décliner nos tenues neuves et automnales pour cette rentrée, révélant des tons aussi chatoyants que le brun chamois ou marmotte, le flamboyant jaune safrané ou la douceur du vert amande.
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Texte de Emije – « Ils s’en sont allés… »

Son quartier, son immeuble, sa chambre sont tombés. En quelques secondes, un vendredi…

Ses yeux écarquillés d’un bleu habituellement soutenu sont presque délavés. Son visage est creusé, cerné. Son regard figé est absent. Dans un large périmètre de sécurité, au loin, la vision des immeubles déjà éventrés lui donne la chair de poule. Son corps apeuré, tremblant s’accroche à celui de sa mère. Ses jambes ne la portent plus. Les immeubles s’écroulent les uns après les autres à quelques minutes d’intervalle. La vision d’apocalypse et de fumée la rend nerveuse. Elle ressent des scintillements aux yeux, elle a chaud, son corps se raidit et s’écroule à son tour en criant : « Non ! Maman !»
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Texte d’Emije – « L’illusoire réalité »

Elle est réglée comme du papier à musique. Ses portées s’écrivent au jour le jour avec les mêmes notes, les mêmes silences. Eloquents, les silences. Ses altérations quant à elles s’expriment de manière exceptionnelles. Le dièse et le bécarre sont quasi-inexistants. Seule l’utilisation du bémol est parfois nécessaire pour adoucir quelques paroles et réduire les exigences de certains et certaines.

Son prénom, c’est Émilienne. Elle est gardienne.

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Texte d’Emije – « Emilie Center Dance »

Emilie Center Dance – Laurierstraat 26 – 1016 – PL – AMSTERDAM
Mobiele : 205194230
www.emiliecenterdance.com

1er Septembre – 9h – Les gens affluent vers l’entrée du Laurierstraat 26. Quelques personnes attendent dans l’entrée, la queue se prolonge déjà sur plusieurs mètres au niveau de la rue provoquant un tintamarre de klaxons de vélos et des « pas op » hélés de-ci, de-là. Il règne une ambiance joyeuse, la journée s’annonce belle et ensoleillée.

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Texte d’Emije – « Elle ne demande qu’à se réinventer »

En avril, par une belle journée de printemps, Thomas arrive en gare d’Angers à une heure où les provinciaux prennent le temps du déjeuner. Thomas semble un peu perdu et en même temps un vague sentiment d’inconfort l’envahit. Il a juste une adresse et une paire de clefs transmise par un cousin éloigné ainsi que quelques lignes écrites sur un morceau de papier : « Elle est pour toi, tu en feras ce que tu voudras ».
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Texte d’Emije – « Le bleu, tous les jours de notre vie »

Le bleu… Il nous accompagne tous les jours de notre vie.

Il y en a qui ont décidé de s’y rapprocher tant elle est vivifiante, reposante, leur fait du bien à la tête, dans tout le corps. Certains préféreront son immensité et se positionneront au-dessus, d’autres en-dessous. Il y en a même qui auront besoin de limites végétales, pierrales ou mosaïquales pour y plonger. Quel que soit le temps qu’il fait, elle vous apparaîtra peut-être bleue, bleue turquoise, lagon, ardoise et même vin sombre dixit Homère himself.

Ne dit-on pas que des goûts et des couleurs, on ne discute pas… ?
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Texte d’Emije

Elle stationne là, élégante avec pour message : Louez-moi : 06.23.17.19.53. Des passants s’arrêtent, l’observent. Un bleu céleste l’habille superbement. Elle a une classe folle. Une petite fille tire sur la chemise de son père pour le forcer à s’arrêter. Un gendarme s’exclame : hou la elle en jette !!! Les clients du café « le Bec à Vin » n’hésitent pas à traverser la route pour aller l’admirer. René, un pilier de comptoir bien imbibé, se lève, tente de se frayer un chemin qui se créée très naturellement au regard de l’odeur prégnante qu’il dégage et se met à crier : oh la salope !!! Il règne une douce cohue dans un intervalle temps qui n’a demandé qu’à s’arrêter l’espace d’un instant. Je me sens bien. Je n’ai qu’une envie, l’étirer encore un tout petit peu plus, juste histoire d’en profiter. La sirène des pompiers vient saborder ce doux moment dans lequel je me suis dissimulée. Retour à la réalité. Je me surprends à noter son numéro. Je ne sais pourquoi. Peut-être partira t’il à la poubelle, peut-être restera t’il au fond de mon sac des mois, voire des années. En tous les cas je sais qu’il est là.

Un homme d’une cinquantaine d’années que je vois au loin, look jeune et élégant, s’approche d’elle, s’y installe, mit le moteur en route et s’engage sur l’avenue. Il n’y a plus de cohue.

Je repris ma voiture que j’avais laissé au parking de cette délicieuse et charmante ville d’Uzès et retournai dans la chambre d’hôtes de Castillon où les propriétaires préparent l’apéro et le dîner du soir. J’ai décidé d’y passer 3 jours pour me ressourcer, visiter, lire, aller à mon rythme. En somme, me retrouver. Sandra, la maîtresse de maison me propose un petit goûter avec un sirop de menthe maison accompagné de petits biscuits à l’huile d’olive et à la fève Tonka.

Je prends le temps d’apprécier, de savourer, les papilles en émoi et moi consciente des petits bonheurs que je vis là.

Piquer une tête, me prélasser sur un transat en écoutant la musique provenant du pool-house. Autant de petites attentions qui viennent conforter mon envie d’aller de plus en plus vers les lieux, les gens, les situations qui me correspondent.

Le vent commence à se lever. J’ai un peu froid. Je décide de rentrer dans ma chambre pour me préparer à cette belle soirée. Ca me fait du bien de prendre soin de moi, de me crémer, de me pomponner. Je me suis oubliée en tant que femme ces dernières années. J’ai mis du temps à accepter.

Sandra et Yves, son mari ont préparé une jolie table. Tout est joliment pensé. Nous étions 5 à dîner mais un couvert de plus y est installé. Je n’y prête pas plus attention que ça. Sandra a préparé la vaisselle sur l’îlot central, une cuisine ouverte sur les gens entrain de dîner. Cuisine que je rêve un jour de réinstaller. Les hôtes de l’autre chambre sont là aussi présents, nous nous présentons, un couple venant d’une ville que j’aime tant, Marseille. Un ami est également convié, le 6ème couvert est élucidé.

Nous nous régalons de l’apéro sous la pergola, nous faisons connaissance. Puis nous nous installons autour de la jolie table, une grande planche de bois vieillie et cérusée qui a été de par son passé piétinée par du 43, 41 … outil de travail réinventé.

Sandra nous a joliment régalés en commençant par une tarte maison aux tomates du jardin, un risotto et piccata de veau revisités et une tarte aux figues avec filet de chocolat chaud, une idée qu’elle a voulu tenter et qui a bien fonctionné. Les verres de vin n’ont pas été en reste, ils ont bénéficié eux aussi d’une attention toute particulière.

Le temps passe au gré des échanges divers et variés, le genre de soirée que l’on aimerait réitérer tous les jours de l’année. C’est doux, bienveillant, drôle, inattendu parfois. Le 6ème couvert qui répond au prénom de Daryl vient tout droit du comté de Surrey à quelques encablures de Londres. Nous nous jetions çà et là des regards complices. Il parle très bien français et a ce je ne sais quoi qui fait le charme tout particulier des anglais. Je tente quelques phrases en anglais. Anglais qui m’avait lâché depuis de nombreuses années. Il me félicite. Les visages commencent à être fatigués, tirés, les femmes commencent à bailler, les hommes partent fumer leurs dernières cigarettes côté patio abrité. La soirée tire à sa fin. Il va être temps de nous quitter. Nous remercions Sandra et Yves de ce repas et de cette belle soirée. Je décide de raccompagner Daryl sur le pas de la porte. Il me tend discrètement son numéro de portable sur un morceau de papier et me passe la main dans le dos. Il vient poser sur ma joue un joli baiser tendre et prononcé. Je lève les yeux vers sa voiture, esquisse un sourire. Louez moi : 06.23.17.59.53 se tient juste devant moi.

Par Emije

Texte d’Emije

J’aperçois les falaises de grès colorées en orange. Dans ma tête, tout se bouscule. Nous, nos rires, nos projets. Ton sourire ne me quitte pas. Des larmes coulent doucement. Je roule derrière le 4 X 4 chargé de tout le matériel. La poussière, au passage de ses énormes roues sur le chemin de terre me parvient en plein visage. Les yeux me picotent, les larmes se mêlent aux gouttes de transpiration et ce putain de casque qui m’empêche de respirer, je n’ai qu’une envie, le balancer. Je prends mon mal en patience et décide de ne pas me laisser envahir par les émotions, du moins, pas tout de suite. Je suis à la fois excité et frêle de ce que tu m’as demandé.

Le conducteur me fait signe de m’arrêter. Il me dit qu’il va prendre une autre route pour pouvoir atteindre le sommet, tout préparer de là-haut et m’explique où laisser ma moto. Il ne me reste que quelques kilomètres et me voilà arrivé. Je suis époustouflé, de nouveau l’air me manque. Le site est grandiose, le massif unique, j’en tremble, j’ai le trac. Vais-je réussir à la grimper ?

J’ouvre mon sac à dos avec tout le matériel. Cela fait trois mois qu’il est resté enfermé. Depuis ce jour-là, je n’ai pu y retourner. Je sors casque, système d’assurage et les derniers chaussons que tu m’avais offert. Tu avais pitié des miens qui commençaient à être fatigués. Ma pulsation cardiaque doit atteindre les 130 battements minute au repos. Des images de toi, de nous rejaillissent en pleine face. Et là tu m’aurais dit : « allez Marco, ressaisis-toi, équipe toi, regarde la et va t’accrocher à elle ». Ton humour et ta belle sensibilité me manquent. Allez, c’est parti …. Me voilà en bas d’un mur et d’une voie ouverte de folie portant le doux nom de « Guerre Sainte ». Nous nous étions préparés physiquement et psychologiquement à la grimper ensemble mais la vie ne t’en a pas laissé le temps. Du temps, j’en ai pris aussi pour grimper en solo sans compagnon de cordée. Tu me faisais sourire quand tu disais de moi que j’étais un fort grimpeur.

La couleur de la roche est magnifique, l’escalade est aisée dans les premiers instants. Je prends un plaisir fou, mais viennent vite les difficultés avec une dalle trop lisse, des pièges, des impasses. La voie est exigeante. C’est aussi pour ça que j’aime escalader, l’absence de suite connue et une insécurité délicieuse opèrent un charme particulier. Je respire calmement, prend le temps de réfléchir comme je l’ai toujours fait, ce terrain de jeu me fascinait. Mon sang-froid te subjuguait. Tu aurais aimé être aussi posé, sachant prendre du recul dans les situations compliquées. Je t’y avais doucement amené mais il te manquait sans doute encore un peu de sagesse ou de maturité. Après une journée de grimpe me voilà au sommet, Samir m’y attendait.

Le bédouin, comme je l’appelle m’avait préparé du thé à la menthe et des pâtisseries orientales dont lui seul avait le secret. Nous nous sommes assis et avons échangé quelques mots en français puis nous avons admiré le coucher du soleil. Un moment de pure beauté. La roche de grès était scintillante, elle transpirait tout ce qu’elle pouvait d’ocres, d’orangés, de dorés.

La nuit commence à tomber, il n’est que seize heures. Samir doit rejoindre femme et enfants au village. Il est temps pour lui de me dire au revoir et de me souhaiter bonne chance mais avant de me quitter il tire de sa poche une photo d’une vieille voiture dont il est très fier, une voiture qu’il a retapée. Je lève alors le pouce, poing fermé pour lui signifier, bien joué ton travail de réparation de la vielle caisse.

Il est temps pour moi de préparer mon bivouac, simple et rudimentaire avec sac de couchage, nourriture déshydratée, barres de céréales, eau, lampe torche et toi …..

Tu me l’as écrit il y a trois mois sur un bout de papier alors que tu étais intubé et que tu ne pouvais plus parler. Seule une mobilité très réduite de la main gauche te permettait de tracer des traits incompréhensibles qu’il nous fallait déchiffrer. Après ce terrible accident de moto, tes jours étaient comptés malgré une envie invraisemblable de continuer à vivre et d’exister. Ton état s’est dégradé assez rapidement. Heureusement que tu m’as laissé le temps de te dire combien je t’ai aimé, que j’ai été plus qu’heureux à tes côtés. Nous avions le projet de nous marier dans le petit village de Moustiers-Sainte-Marie réputé pour son étoile suspendue au-dessus du vide. Mon étoile à moi s’en est allée.

Ce site, tu en rêvais, nous étions prêts à l’escalader ensemble, tu avais mis de l’argent de côté pour payer ton billet et pour que nous puissions visiter ce pays au bel itinéraire, la Jordanie, sur les traces de Lawrence D’Arabie.

Tu rejoins désormais l’orange, le jaune et l’or du désert. Tes cendres sont dispersées, ton vœu est exaucé.

Par Emije

Texte d’Emije

Province de Séville – Ville de Dos Hermanas

Il est 13 heures, les ruelles sont vides, une chaleur de plomb s’abat sur la ville, les volets sont clos, il n’y a pas un bruit, seul un vent sifflant agresse méchamment mes oreilles. Devenue sensible de l’oreille droite, depuis qu’un acouphène de « bruit de vent » est survenu, pendant six longs mois de ma vie. Ne pouvais-je faire plus original que de disposer en permanence d’un instrument à vent greffé au sein de mon oreille ? Sauf qu’il n’y avait que moi pour l’entendre….. Je traîne ma valise, accablée par la chaleur, je l’ai en horreur, tournant la tête de droite et de gauche pour repérer les numéros. Je cherche le n° 26 de la Calle de Santa Reparada. Plus que dix numéros et je suis enfin arrivée à destination. Se tient devant moi une belle bâtisse à la couleur framboise ou fraise écrasée, couleur beaucoup plus foncée que celle du lait fraise glacé que j’aurai bien siroté.

Des effluves de fleur d’oranger viennent titiller le bout de mon nez. Il ne fait aucun doute, je suis bien en pays méditerranéen. Je sonne. Une dame d’un certain âge m’ouvre. Elle porte jupe et tablier. Elle est à croquer. Buenos dias me dit t-elle d’une voix rauque et forte. Elle enchaîne les mots à la vitesse grand v et comme je ne comprends rien, elle me fait signe avec ses mains de bien vouloir m’asseoir et patienter.

Le long couloir de l’entrée est délicatement habillé en son mur de chapeaux de paille colorés et de plantes grasses accrochées dans des paniers.

Je reconnais la voix d’Ana qui me lance un holà en descendant les escaliers. Elle m’embrasse, on échange quelques mots et m’emmène à l’atelier. Nous traversons un patio avec du mobilier en fer forgé. Ana ouvre la porte et un doux parfum sucré avec une légère pointe d’amertume vient s’accrocher à moi. Elle sort du frigo le fruit, la fleur et la feuille et commence à me décrire l’objet de ma venue. Je viens la rencontrer pour en apprendre un peu plus sur le bigaradier appelé aussi oranger amer. Je le connais de nom ou pour en avoir déjà goûté à l’aube de mes 16 ans, la « so delicious british marmalade » pour laquelle je garde un souvenir tout particulier. Elle m’explique que le bigaradier est un agrume plus petit que l’orange douce. Sa peau orange est rugueuse, épaisse et teintée de vert. Sa chair est peu juteuse, acide et contient beaucoup de pépins. Elle est abondamment cultivée en Espagne et notamment à Séville d’où son nom d’Orange de Séville.

J’aperçois la dame âgée s’approcher de la porte de la verrière. Elle toque à la porte, Ana lui fait signe de rentrer et elle me demande si je souhaite me désaltérer. Elle me propose une citronnade fraîchement pressée. Ana s’empresse de traduire en simultané. Puis elle ouvre son ordinateur et me montre une vidéo sur les propriétés et principes actifs du bigaradier. Puis je lui pose la question de l’amertume dans l’orange amère et d’où lui vient son nom. Ana me répond que « les hommes » et l’amer ont une relation assez compliquée. Je souris. Son âpreté et acidité ne font pas un fruit très agréable à déguster nature, me dit-elle.

Alors que je suis émerveillée par la façon dont Ana me parle de botanique, de propriétés et de principes actifs une femme brune taillée comme un homme entre d’un pas ferme et décidé. Elle me prend par les épaules, m’embrasse chaleureusement. Je sursaute et rougis. Ana me présente sa sœur Esperanza, pantalon vissé dans des bottes, un petit chemisier à manches courtes en coton blanc laissant apparaître des bras dorés et musclés. Sa coupe de cheveux à la garçonne lui donnant un petit air taquin. Les deux sœurs me paraissent à l’opposé l’une de l’autre même si elles me donnent à voir une belle complicité. Ana me dit que sa sœur travaille plutôt sur le terrain, elle conduit les tracteurs, entretient les orangers, procède à leur récolte. C’est une femme de la terre. Elle respire l’authenticité et les vraies valeurs.

Esperanza propose d’ailleurs à Ana de m’emmener voir en fin d’après-midi l’orangeraie. Pour ma culture personnelle je suis ravie de pouvoir la découvrir et de pouvoir grimper sur un tracteur aux côtés d’Esperanza. Cette femme a quelque chose de troublant ……….. Les deux jours en terre andalouse arrivaient à leur terme. Je partais retrouver la capitale, les dîners à préparer, les files d’attente dans les ciné, mon mari, les cartables à préparer ……

Les mois passèrent et le 28 Novembre 2018 sortait, dans la Province de Séville, la crème révolutionnaire anti-âge : DOS HERMANAS.

Par Emije

Texte d’Emije

Je perds l’équilibre, j’ai envie de vomir, la tête qui tourne et tout ce blanc qui me saute en pleine face, je n’en peux plus de le voir …… Figée, choquée, en sueur, un étau dans la tête et au niveau de la nuque mon cerveau reptilien ne répond plus de rien. Vais-je tomber ? Mourir ? Le temps s’est arrêté. Suis-je passée de l’autre côté ?

J’ai envie de noir sur du blanc mais je ne vois que du blanc qui défile sous mes yeux. Le blanc, synonyme de pureté et d’innocence m’apparaît soudain funeste et ténébreux.

Une heure plus tôt le livreur me contacte pour savoir si je suis à mon domicile. Je lui dis que je termine une course et que j’en ai pour une petite demi-heure (ce coup de téléphone, je l’attendais comme on attend, frileux et excité, les résultats du bac).

Les yeux rivés sur mon portable depuis plusieurs jours il est devenu mon unique compagnon de cœur, celui avec lequel vous tissez des liens si forts que, quand vous l’oubliez ou le perdez, vous vous sentez seul au monde. Un vrai fil à la patte, comme parfois avec certains hommes…..

J’ai tout délaissé chez moi, mon lieu de vie ressemble à un terrain miné, la vision du parquet chêne clair n’apparaît plus sous mes pieds, le chaos en plein 13ème, l’eau des fleurs est brouillé.

A l’arrêt de bus, ma course terminée je ne tiens plus en place. Je fais les cent pas d’un côté comme de l’autre. I feel over-powered …… «  le fil vert sur le bouton vert, le fil rouge sur le bouton rouge ». Telle était devenue ma devise depuis quelques semaines pour ne pas monter en SUUURCHAUFFE !!!

Le bus en ligne de mire, j’avance sur le rebord du trottoir. Un homme me tire, voire m’attire vers lui. Inconsciente, j’ai bien failli me faire happer par une voiture roulant à pleine vitesse. J’étais dans un tel état d’euphorie, de stress que rien ne pouvait m’arriver de moins bon aujourd’hui.

Arrivée enfin devant l’entrée de mon immeuble je tente une montée quatre à quatre des escaliers, le sac de courses tombe, tout dégringole, les abricots se font la malle et descendent un par un les marches comme dans un défilé, mon chemisier est carrément ouvert, j’ai chaud, mes lunettes glissent sur mon nez, de la sueur perle au-dessus de mes lèvres. Si on me voyait ……… Mon portable sonne, je lâche tout, le livreur est devant l’entrée, tout est en vrac dans les escaliers. Je vais lui ouvrir.

Il me lance « bonjour, qu’est-ce qui vous arrive ? Vous avez fait un cent mètres ? » Il regarde à l’intérieur de mon chemisier, je suis gênée, j’ai encore plus chaud. Je lui indique le chemin vers l’ascenseur et nous montons ensemble, les abricots m’attendaient dans l’entrée ……

A la recherche de mes clefs, je les trouve après avoir vidé l’intégralité de mon sac sur le palier, il rigole et je pense pour lui. Il doit se dire, toutes les mêmes ces femmes, quel foutoir dans un 15 x 30 cm. Il rentre les colis dans l’appartement, jette un œil discret sur le salon attenant qui ne ressemble à rien et me fait signer sur le boitier magique avec un stylet. Il me souhaite une bonne journée et me dit « hé n’oubliez pas vos abricots, ils vont finir en purée ….. »

Je m’assoie par terre quelques instants, je tente quelques exercices de respiration. Plus je me dis allez Clotilde, inspire et expire par le ventre, vide, vide l’air et plus je fais exactement l’inverse, je bloque tout. Je suis en apnée.

Je file à la cuisine chercher une paire de ciseaux, j’entaille le milieu des deux colis et j’hésite. Mon cœur bat la chamade, j’ai l’impression que là, dans les secondes qui suivent, on va me demander en mariage. Je vais faire un tour dans le salon, dans la salle de bains. Qu’est-ce que j’ai chaud !!! Hou la la je crois que j’ai de la fièvre, je ne me sens pas très bien. Je retourne au salon, ouvre grand la fenêtre, respire un bon coup. Seul un air vicié entre dans mes poumons mais ça n’est pas grave, ça me fait du bien.

Mon téléphone sonne. C’est ma sœur du Canada. Elle appelle pour avoir des nouvelles, pour savoir où ça en est. Je lui dis que je la rappelle un peu plus tard, que c’est en cours, qu’ils sont arrivés. Je n’ai pas envie de le partager en direct avec elle, juste le vivre et l’apprécier seule. Pour une fois, j’ai décidé de faire mon égoïste.

Je respire et j’ouvre.

J’en prends un, puis deux, puis trois, je plonge mes bras jusqu’au fond des colis, je les ouvre, les compulse, les jette au fur et à mesure parterre. Je perds l’équilibre, j’ai envie de vomir, la tête qui tourne et tout ce blanc qui me saute en pleine face, je n’en peux plus de le voir ……….. Je hurle, je crie. Ils ont décidé ………. de ne pas l’éditer.

Par Emije

Texte d’Emije

Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches…

Ils sont là, éparpillés, abîmés par le temps qui a passé. Une forte odeur de moisi et d’humidité surgit à mes narines me faisant penser à un état de décomposition et de fermentation avancée. Je me dis “mais comment a-t-elle pu laisser cet endroit dans un tel état d’abandon”. Ce lieu, dont je vous parle, et qui était mon havre de paix n’est autre qu’un petit jardin tropical communément appelé, jardin d’hiver, niché au cœur d’une petite maison en plein milieu des bois et de la forêt.

C’est ici que vivait ma tante. Après la Seconde Guerre mondiale elle avait décidé d’y vivre retirée, dans ce petit bout de forêt qui portait le joli nom de bois de Saint-Aubin. Très souvent je prenais un malin plaisir à lui dire: “hé tantine ! le petit bois de Saint-Aubin, le bois où on y est bien”.

Elle y était heureuse, ma tante, dans cette maison, accompagnée de ses chiens Sashka et Zena. J’aimais lui rendre visite dès que je le pouvais. Et même s’il me fallait travailler tardivement dans la semaine, le week-end je sautais dans mes baskets, je préparais mon sac à tue-tête et me dirigeais vers le moyen de transport qui m’y conduirait : le train Express Régional. Prononcé en entier il me donnait un peu plus l’envie de m’y aventurer …

J’étais tout excitée à l’idée de ressentir la douce sensation de balancement accompagné de l’envie irrésistible de somnoler mais je me forçais à rester éveillée pour apercevoir quelques minutes et kilomètres plus loin … la gare. La gare, elle était toute mignonne et … mais non, c’est ma tante dont je veux parler. Elle était plantée là, avec ses sabots de jardinier. Elle avait quand même un look particulier !

Dès que je l’apercevais je sautais dans ses bras et n’avais qu’une hâte, me retrouver avec elle dans son havre de paix. La porte franchie, vite, vite j’allais chercher dans le petit atelier mes sabots qui, s’ils pouvaient parler me diraient : « hé, ça fait un bail qu’on t’attendait ».

Ce jardin était mon endroit préféré. Je me suis d’ailleurs longtemps demandé pourquoi et j’ai vite compris qu’il y régnait un air de vacances tout au long de l’année. Ma tante m’a tout appris, les différentes espèces tropicales à faire pousser, leur entretien et surtout deux points essentiels très techniques : la capacité des installations à maintenir une forte hygrométrie de l’air accompagné d’un système de brumisation ultra performant et une bonne régulation du binôme température / hygrométrie. J’ai mis du temps à comprendre les mesures physiques et je n’y voyais pas grande utilité. A vrai dire, je n’avais jamais vraiment été une fusée dans les matières qui combinaient et additionnaient les chiffres.

Une technique maîtrisée, ses petits secrets et les plantes le lui rendaient bien en production de fruits, de fleurs, de feuilles luisantes et verdoyantes, de branches souples et fortes à la fois. Elle faisait ça bien, ma tante. Pour m’y retrouver elle avait eu la bonne idée de planter des étiquettes dans chaque pot, ce qui me permettait de retenir des noms aussi complexes et entortillés que “aloe lineata“, “digitalis canariensis“, “heliconia schiedeana” … parmi des citronniers, frangipaniers et autres subtilités.

Ma tante, venons-en un peu à elle, un instant. Une femme au visage angulaire, au regard doux, profond et bienveillant, de longs cheveux gris relevés avec délicatesse et maintenus avec une pince en bambou. Qu’est-ce qu’elle était belle ma tante ! Elle aimait les matières nobles et naturelles. Elle avait la singularité d’acheter le même modèle de vêtement ou d’accessoire, décliné en deux ou trois couleurs, de grosses chaussettes qui dépassaient de ses bottines à lacets. Les fleurs, elle les portaient sur elle, des tuniques à grosses fleurs. Des couleurs toniques et acidulées qui m’enthousiasmaient. J’aurais aimé lui ressembler mais je ne m’en sentais pas la capacité.

Aujourd’hui, tous ces souvenirs remontent brutalement en moi, provoquant à la fois une douce sensation de bien-être, de gratitude et de force mais aussi de tristesse, un vide immense et quelques larmes.

La maladie générative l’a emporté mais il me reste ces souvenirs à jamais gravé et de nouveaux fruits que j’aimerais à nouveau toucher, de nouvelles fleurs à qui j’aimerais parler, de nouvelles feuilles qui perleront et de nouvelles branches qui s’entortilleront.

À propos, ma tante s’appelait Marie-Rose et mes parents m’ont appelé Églantine… 

 

Par Emije

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