Ateliers d’écriture créative, de fictions, animés par Francis Mizio

Catégorie : Laurent

Texte de Laurent

Quelle idée d’arriver à Denver un dimanche ? Les rues sont désertes. Olivier conduit sa Mercury qu’il a louée à son arrivée à l’aéroport. En France, on dirait une Renault Mégane, ici, aux USA, c’est la voiture passe-partout, boite automatique et climatisation de rigueur.
La ville est vide, une route et des enseignes commerciales. Après quelques kilomètres, Olivier s’arrête au Jake in The Box, cette chaine de fast food est moins pire que Mac Donald dit-on. Il gare la voiture. La température est étouffante comme souvent à cette période de juin dans le Colorado.  Il commande le « special week offer » : un « Portobello Mushroom Buttery Jack » avec un coca et une frite. Il prend place à une grande table et pose son sac de voyage, il est petit, juste de quoi tenir cinq jours sans superflu. Les premières bouchées du hamburger ne lui font pas regretter son choix, il est gouteux, généreux dans la garniture à l’image du pays, énorme et vide à la fois. Il ne regrette pas les 10 dollars du menu. Il saisit son iphone et active la fonction itinérance pour rester connecté à sa vie française. Sans surprise aucun message n’apparait.
Olivier reprend la route. La recherche d’un motel ne devrait pas être trop compliqué. L’offre est pléthorique. Il choisit un Howard Johnson un peu à l’écart avec une piscine. 70 dollars la nuit. La chambre est grande. La moquette à motif rouge et noir en damier est épaisse. Home sweet home… La climatisation remplit son rôle, 21 degrés comparé au 36 dehors. Olivier s’allonge sur le lit, allume la télévision en la réglant sur la chaine ESPN pour du sport en continu.
Dans son sac, il extrait un guide Jika sur les USA.

C’est ici, à cet instant que tout a commencé.

Ce guide date de 30 ans. Olivier l’a acheté en juin 1986 pour ses 20 ans. Ce guide c’était l’espoir de sortir de sa vie ou plutôt de vivre la vie. Les USA, le Colorado, ces mots étaient synonymes d’espoir. Il avait épluché le guide dans tous les sens. Il se projetait dans les grands espaces de l’ouest américain, mais aussi San Francisco, New York,… L’Amérique le fascinait, il comparait avec la France où tout semblait petit.
Ses rêves se nourrissaient des écrits des auteurs américains, Kerouac en tête. Et puis Jim Thompson, Steinbeck, Horace McCoy,… tous ceux qui ont su raconter leur pays à travers les hommes. Mais il n’avait pas osé. Une offre de travail intéressante à Paris, et la vie de banlieue comme une condamnation.

Seul sur son lit, Olivier fait défiler sa vie depuis 30 ans. Une ex-femme, une fille de 20 ans qui lui parle peu et avec qui il ne partage rien. Sa vie se résume à un parcours professionnel réussi. Réussite financière qui cachait mal le désert affectif qui l’envahit jour après jour.

Olivier a mis deux ans pour se décider pour ce voyage à Denver. Au plus profond de sa solitude, il espère perdre ses repères pour mieux se découvrir ou mieux se redécouvrir. La vie qu’il mène n’est pas la sienne, la liberté est son moteur, libérer ses émotions son essence.
Quoi de mieux qu’ici dans le Colorado où il ne connait rien pour le faire ?
Il sort ses carnets à petits carreaux, son Leica. Il trace un itinéraire imaginaire autour de Denver, et pourquoi pas au-delà… Et puis cette fille croisée à la réception et qui se dirigeait vers la piscine, pourquoi ne pas l’aborder ?
Olivier se métamorphose peu à peu. Une douche plus tard. Il se permet un tee-shirt avec un motif à l’effigie de Van Halen et un jean délavé.
Il reprend sa Mercury et fonce vers Downtown.

La conduite made in USA c’est cool, on roule cool. Et puis c’est tout droit. C’est ce que pense Olivier : « il n’y a qu’une route ?! » Après 10 minutes de « cruise », une intersection. Colfax Avenue, l’immense artère central de Denver s’offre à lui, les champs-élysées font figure de chemin vicinal en comparaison. Il décide de se garer. Une place de douze mètres entre une Lincoln et une Chevrolet est libre. C’est vert. Beaucoup de parcs et des familles joyeuses à vélo …ou pas. Olivier prend quelques notes sur le nom des rues, les bâtiments, les commerces,…
Au détour d’un parc, en arrivant sur la 16th Street Mail, une scène attire Olivier. Des joueurs d’échecs disputent des parties sur le trottoir. Il s’avance timidement pour regarder quand un grand black lui propose de jouer. C’est l’organisateur, il fournit le jeu, la pendule et…l’adversaire. Olivier accepte une partie. Il n’est pas un grand joueur, il lui faudra se souvenir quand il jouait au lycée. Mais vaille que vaille, il est là pour s’amuser. En face de lui, un sosie de Janis Joplin alcool compris, s’assoit. Elle se prénomme Jill et semble avoir eu une longue journée. Elle joue plutôt bien et arrive à battre Olivier quelque fois. Une flasque de cognac plus tard soit 1 heure, le combat s’arrête en faveur d’Olivier mais rien de glorieux. Il échange quelques paroles avec Jill. il aimerait bien écouter de la musique mais de la vraie ! Jill, qui tient parfaitement débout, invite alors « son frenchie » à l’accompagner.
Elle est chanteuse et avec son groupe elle est actuellement au El Chapultepec. « Tu dois venir frenchie c’est le meilleur club de la ville et tu seras my guest » « Je t’attends à 9 pm et on mangera des Taco, tu verras ce sont les meilleurs de la ville ». Ils se quittent sur une accolade. Olivier continue de déambuler prenant des notes et photographiant la ville. quand il se pose dans un café, il réalise qu’il se sent bien. La pression quotidienne s’est évaporée. Il repense à cette « invitation » tout à l’heure, doit il y aller ? Jill était elle saoûle ? Il a 20 ans.
Il se présente à 9 pm au club. Il y a du monde. Le costaud de l’entrée ne veut pas le laisser entrer : « full » lui lance t-il. Olivier explique dans un anglais niveau 5e qu’il est « the guest of Jill » tel un sésame le costaud le laisse entrer puis l’hôtesse le guide jusqu’à la table de Jill. Dans cette ambiance sombre, elle semble métamorphosée, ou plutôt, elle inspire le désir. Ses cheveux noirs sont lavés et coiffés, ses yeux maquillés lourdement de mascara rehaussés par un khol noir puissant lui donne un air de Tina Turner.  Elle, qui tout à l’heure, dans la rue portait un treillis, porte maintenant une courte robe paillette verte et des escarpins vertigineux noirs. Il la regarde différemment. Jill s’en amuse. Deux guitaristes les rejoignent et tout le monde s’enfile des tacos juste sublimes. Jill s’est assise à côté d’Olivier sur la banquette. Volontairement elle laisse ses hanches effleurer celle du frenchie à chaque mouvement. Olivier est sous le charme, Jill est volubile, elle boit trois bières quand il finit à peine une, sa silhouette légèrement empâtée laisse apparaitre une poitrine généreuse. Elle a du chien.
Le tour de chant arrive. Jill rayonne au milieu des musiciens. Elle déploie une énergie folle. Elle est habitée par la musique. Par instant, elle fixe Olivier avec un regard direct qui le transperce.
A la fin du show, Jill l’invite à partager sa bouteille de Southern Comfort, une liqueur de Louisiane à base de Bourbon. Hommage à Janis Joplin.
La chambre de l’artiste est à deux pas, mais elle parut loin tant Olivier bandait. Jill le lui rendait bien avec des « oh my frenchie je t’aime ». Dans la chambre, ils se jetèrent dans le lit. Olivier, qui dans sa vie sexuelle, avait du connaitre cinq aventures sans saveur avec finition missionnaire se faisait « marcher »  dessus par Jill. Ca partait dans tous les sens. Elle criait fort et cela décuplait son désir. L’extase était partagée entre les fumées de cannabis.
A cinq heures, la tension retombe. Leurs corps forment une figure proche de la croix. Ils ronflent comme deux paysans bretons à la fin des moissons.
Le bruit de la rue réveille les deux amants vers 8h. Jill semble plus habitué à cette vie, elle secoue Olivier et lui glisse à l’oreille que « c’était super » mais il doit partir car elle part pour Kansas City. Olivier émerge telle une baleine. Sans trop comprendre, il se rhabille et sort de l’hôtel. Pas rasé et le tee-shirt douteux, il essaie de retrouver sa Mercury.
Olivier est toujours sous le choc de la nuit. Jamais il n’avait connu ce plaisir du sexe. Maintenant, il faut rentrer. Il ne reste plus qu’à retrouver la voiture grâce à un mémo : « angle 16 street et 5 street ». Son smartphone lui indique 10 minutes à pied. Olivier reconnait l’endroit grâce à un panneau publicitaire pour la bière Coors. De toute évidence, la Mercury avait disparu !
Pensif, Olivier essaie de comprendre. Il observe la scène et aperçoit  un petit panneau « no parking after 5 am » ! La voiture a été embarquée !
A ce moment où Olivier réfléchit à la situation, une Chevrolet s’arrête à sa hauteur. « Need some help » lançe le chauffeur. Olivier explique son infortune.
« ok je vais t’aider, monte ».
Olivier s’assoit dans la Chevrolet. Au volant, Hank l’accueille d’un clin d’oeil puis démarre en trombe. Olivier indique l’adresse de son motel.
« Oh yeah ! » s’esclaffe Hank.
La conduite de Hank n’est pas trop américaine. Olivier le comprend très vite au premier stop grillé ! D’autant que Hank rigole fort en lançant à tue-tête des « fuck you » à la régalade !
Olivier ne sait pas quoi faire. La panique monte. Il commence à comprendre que Hank est shooté. Il essaie de lui parler pour qu’il stoppe mais il roule encore plus vite ! Loin mais bien présente une sirène se fait entendre. Olivier se retourne, les cops !
Hank toujours constant lance des « fuck you »
La Chevrolet est maintenant engagé sur l’interstate. Hank est un virtuose du volant, il a réussi à semer la voiture de police.
Olivier regarde Hank médusé. Que fait il dans cette galère ? Qui est Hank ? Celui-ci se calme un peu. Toujours rigolard, il explique qu’il déteste les flics. Ils sont tellement cons qu’ils n’ont jamais réussi à l’attraper depuis 10 ans !
A la première station service, Hank s’arrête. Il invite Olivier à prendre une bière dans le petit food store à côté. Olivier intrigué, accepte alors que la raison aurait voulu qu’il décampe à toute jambes. Mais Hank le fascine. Son attitude, ses gestes. Il aimerait le cerner, le découvrir. Et vivre une équipée sauvage jusqu’en Californie ça aurait de la gueule !
Hank commande deux Millers à la serveuse hors d’âge qui du connaitre la ruée vers l’or.
Olivier découvre que Hank est un évadé. Qu’il a été condamné par erreur pour meurtres et qu’il vit depuis 10 ans en marge de la société.
« Il faut partir sans tarder » assène Hank. Les flics ont du repérer la voiture. Il faut changer. Hank se dirige vers la caisse de la Station service en demandant à Olivier de l’attendre.
Olivier s’exécute.
Soudain, des coups de feu éclatent. Hank, le visage en sang, appelle Olivier.
« Aide moi frenchie »
Après pas mal d’incertitudes, il devenait évident que tout ceci finira mal se dit Olivier.

Olivier aide Hank à monter dans la voiture, démarre en trombe et devient complice d’un braquage !  Hank le guide sur la route et lui conseille d’aller vers le Nord, dans le Montana, un ami pourra l’aider. Hank connait toutes les routes. Olivier, regarde ces paysages qu’ils ont tant fait rêver. Le Wyoming, terre indienne avec ses grandes prairies à perte de vue, parfois ils aperçoit des bisons au loin. Hank a la main ensanglantée mais le garrot semble avoir stoppé l’hémorragie. Le parc de Yellowstone est tout proche, Hank lui raconte que ce parc est le premier parc américains et qu’il y venait souvent avec ses parents et sa soeur. Souvenir d’un break Buick marron où l’on s’entassait joyeusement avec le matériel de camping en vrac à l’arrière. Sensation de liberté.
Olivier sent la nostalgie dans le regard de Hank. Sans trop savoir pourquoi Hank le touche. Il imagine le moment où sa vie à basculé. Le saura t-il un jour ?
Hank indique à Olivier de s’arrêter dans 3 miles à hauteur du Cheyenne Arrow, un motel un peu à l’écart sur l’ancienne interstate 30.
Le Cheyenne Arrow apparaît. Il semble abandonné. Olivier gare la Chevrolet devant ce qui semble avoir été une réception. Le vent balaie les poussières au sol. La paille joue les tourbillons. Un chien aboie faiblement.
Un homme sort. Un indien au visage buriné s’adresse à Hank :
« Le vent m’a dit que tu viendrais, tu es chez toi ici. Ton ami aussi »
Olivier est impressionné par la sagesse de l’homme. Ils pénètrent dans la pièce principale. La déco semble figée depuis 50 ans. L’indien invite ses hôtes à s’assoir par terre puis s’esquive.
Hank rassure Olivier. Isha, leur hôte, est un ami de longue date remontant à son grand père.
Puis Hank s’esquive à son tour en demandant à Olivier de l’attendre.
De longues minutes passent, Olivier scrute les tableaux au mur. Les objets l’intriguent comme cette petite raquette en chanvre. Et cette odeur si particulière, un mélange de plantes sans doute.
Hank revient et sa main semble guérie, les marques ont disparu !
« Il faut aller à Butte maintenant » dit Hank. « C’est important »
Hank prend le volant.
Les deux compères filent vers le Montana. Pour Olivier, c’est l’univers de Jim Harrison qui défile, il en prend plein les yeux. Et puis ce film « Et au milieu coule une rivière » tiré du livre éponyme de Norman MacLean, une ode à la nature qui l’avait marqué il y a vingt ans.
Hank semble détendu et se livre un peu. Il est né dans cette région. Une enfance heureuse avec des parents de la middle class américaine plutôt aisée. Des études informatiques l’ont amené dans la Silicon Valley en y connaissant une belle réussite en créant l’ancêtre de Ebay. C’est en voulant développer l’idée et qu’il s’était embrouillé avec son patron. Son patron qui fut retrouvé mort le lendemain. Hank fut accusé du meurtre. Sans alibi, le système judiciaire américain l’avait broyé. Il s’échappa à l’issue du procès qui le condamna à 345 ans de prison. Depuis il vit à travers les états de l’Ouest et écrit des romans policiers sous le nom de Farrell Jackson.
Tard dans la nuit, ils arrivent à Butte. Un appartement de la vieille ville au nom de Farell Jackson les y attends.
Hank propose un verre au Dakota’s tout proche. Ambiance jazzy bon enfant. Un certain Miller Duke est au saxo, c’est pas mal. Olivier sirote son Daiquiri heureux. La serveuse ressemble à une ancienne conquête.  « Il pensa, amusé, que jusqu’au bout, il y aurait eu des imprévus dans cette histoire ».

Sa tête est pleine d’images telles qu’il pouvait l’imaginer. L’Amérique est une terre de clichés véhiculés depuis la fin de la guerre par le cinéma, la littérature, le sport, la musique,… Fatigue et Daiquiri aidant, Olivier sombre vers le sommeil.
Olivier ! Olivier ! Reveille-toi !!
Nadège l’assistante de la DRH du Groupe le secoue, il faut remplir le formulaire avant d’atterrir. Olivier, hagard, regarde autour de lui. Ses collègues du Groupe Arovi le toisent du regard.
La convention des cadres internationaux du Groupe au Hyatt de Denver s’annonce palpitante.
Olivier est toujours sous le choc de la nuit.

Texte de Laurent

Laroche
Monsieur Laroche ?… monsieur Laroche ?…
J’ai encore du mal à réagir à mon nouveau nom. Je l’ai choisi car je suis né à La Roche-sur-Yon en Vendée.
La conseillère de la Poste m’accueille dans son bureau. Elle est prévenante. Je ne lui donne pas d’âge, trente ans peut être, peu de bijoux. Son tailleur doit venir de chez Zara, il n’est ni moche ni beau, il irait très bien aussi à une secrétaire de direction d’une PME de province. Elle me parlait avec un discours stéréotypé issu d’une formation qu’elle a dû recevoir. Ses mots sont précis. Je sens qu’elle s’est mis la pression. Lors de notre première conversation, je lui avais évoqué mon désir de placer cinq cent mille euros.
J’ai aussi la pression. Pour la première fois je vais utiliser mes nouveaux papiers. J’ai choisi la banque Postale estimant que ce serait plus simple. J’avais repéré la conseillère. Je voulais éviter un vieux roublard qui se méfierait. Elle se prénommait Mathilde, le prénom classe sans doute voulu par des parents pensant qu’un prénom pouvait tracer une vie, j’ai une pensée pour les Brandon français.
Je réponds à ses questions avec le plus d’aplomb possible. Tout se passe bien. Nous signons les papiers. « Vous recevrez votre chéquier et votre carte bancaire sous huit jours » me dit-elle visiblement satisfaite de m’avoir comme client. Sa prime lui permettra sans doute de nouveaux achats chez Zara ou H&M.

L’argent est le nerf de la guerre des vies modernes et pour ma nouvelle vie je voulais assurer l’essentiel. Je n’ai jamais couru après l’argent. J’ai acquis la certitude qu’il entraîne le monde à sa perte. Ma mission est de le combattre. Grâce à un gain inespéré, je vais me donner les moyens de mon combat. Ce combat je le tiens d’une phrase de Schopenhauer : la vie étant souffrance, seul l’art nous affranchira de la vie et de la douleur.
Ma première cible sera Mathilde. J’ai imaginé que ce sera facile. D’ailleurs, elle a très peu hésité quand je l’ai invité à diner. Elle sait que j’ai les moyens de payer. J’ai choisi la pizzeria Capri.
A 20h pile elle arrive, je me lève pour l’accueillir. Sa tenue a changé, un jean, un chemisier vert, des escarpins verts, elle a lâché ses cheveux roux et s’est autorisée un rouge à lèvres discret mais pas de vernis. Elle est presque normale.
Pour elle une Napolitaine, moi ce sera une Calzone, j’aime bien la Calzone ça fait original. Il ne faut pas être trop exigeant sur le vin, ce sera un inévitable Chianti, en croisant les doigts. Elle est détendue, j’apprends qu’elle vit seule, qu’elle est originaire de Toulouse, que la vie à Choisy-le-Roi lui pèse, elle passe ses soirées majoritairement avec son chat, le vendredi soir c’est la chorale du Bon Secours, le week-end elle se retrouve avec son amie Patricia pour du shopping au centre commercial proche, elles iront prendre un café latte au Starbucks puis repartiront vers leurs studios. Ses amours suivaient le même encéphalogramme plat, elle avait vécu avec un an avec Franck mais cela n’avait pas pris, les solitudes ne se divisent pas elles s’additionnent .
Pour le travail, elle avait passé des concours, à la banque Postale, gardien de la paix, la RATP, la SNCF et la roue s’était arrêtée sur la banque. Pas de vocation, juste le besoin d’être rassurée pas comme ces fous qui vont connaître plus de dix entreprises dans leur vie professionnelle. La conversation n’est pas riche. Néanmoins Mathilde se montre intriguée et intéressée par mon métier : peintre. Elle me pose mille questions sur ma vie d’artiste. Comment je vis ? comment viens l’inspiration ?, etc. Elle se montre réceptive à mes réponses, il faut dire que j’ai travaillé mon sujet : je suis Gerhard Richter, le peintre allemand. Je lui explique le réalisme dans la peinture, l’abstraction, mais aussi ma recherche devant la profusion des images et leur sens. Comment je dois me confronter aux autres médiums comme le cinéma et la photo.
A la fin du repas, son intérêt devient évident, son univers vient de s’élargir brutalement. Je lui propose de venir boire un verre dans mon atelier-loft, elle accepte avec entrain. Elle boit mon discours sur la peinture qui peut changer le monde. J’avais pris soin d’acheter des reproductions des toiles de Richter, je les avais disposées ici et là en vrac dans l’atelier, l’illusion est parfaite. Elle me demande quel est mon message devant cette peinture du Crâne et de la Bougie et lui expliquer que j’ai voulu explorer le thème de la vanité. Dubitative, elle préfère en rester là. Un jour elle découvrira peut être qu’elle s’est vendue 16 millions de dollars. Cela lui parlera plus.

La semaine prochaine, je serai Brassaï.

Par Laurent

Texte de Laurent

Et le vainqueur est…

C’est une rencontre fortuite qui me guida vers ma nouvelle vocation. Le Bar du Méridien est le dernier vestige de ma vie d’avant, un endroit propre et select qui donne le sentiment d’appartenir à une caste. J’y allais moins depuis mon licenciement, la coupe à 15 euros avait eu raison de mon portefeuille. Je l’ai remplacé par un Negroni à 9 euros, en calculant bien je pouvais boire 15 Négroni pour 10 coupes et puis le Negroni faisait 20 cl le compte est bon.

Je voyais souvent Maurice, toujours seul, nous avions fini par sympathiser, je lui parlais de mes déboires, j’avais comme confiance. Et puis à qui d’autres parler ? ma femme m’avait quitté aux premières difficultés, mes amis avaient été sacrifiés sur l’autel du rendement au travail. Le goût amer de la solitude.

Vint ce jour où Maurice entrepris de s’épancher. Me parler d’avenir, me parler d’argent. Il m’expliqua son métier. Stupéfait, j’apprenais qu’il était tueur à gage. Pas une caricature comme on l’imagine dans les romans. En débarquant à Paris de Bastia il fut pris en mains par Renzo Torelli qui lui a tout appris. C’était il y a 50 ans.

Il me proposa cette reconversion. J’étais rentré chez moi dubitatif et hébété. Evidemment Maurice n’attendait pas une réponse immédiate. Ni même une reconnaissance. Au bout d’une semaine, je le questionnais sur ce monde nouveau que je ne connaissais qu’à travers de films ou livres où le « héros » finit toujours pas mourir !

Méthodiquement, Maurice m’expliqua le métier. Sa spécialité c’est le politique, le haut de gamme, c’est là que le chiffre d’affaire est le plus juteux. Seulement, il faut être intelligent et très organisé, pas de place pour l’improvisation.

Depuis que je ai choisi ce métier je ne peux pas me plaindre. Mes revenus ont été multiplié par dix. Il faut accepter le risque. Mais toute reconversion a ses contraintes. Il faut se remettre en question, voir les choses différemment, avoir une approche métier.

Au début, les risques me paraissaient démesurés, les objectifs inatteignables. J’ai commencé par les petits contrats, l’interim du travailleur en quelque sorte. Les petites frappes des conflits de drogues. Des trucs de débutants.

Maurice avait pris sa retraite. Mon affaire a bien prospéré grâce à son aide, j’ai su choisir de bons clients fidèles, tels la famille Garadi ou les frères Nardo. Avoir une clientèle stable est la base du métier. Evidemment je faisais des prix, environ 30% moins chers, mais on s’y retrouve sur la quantité.

Mes objectifs ont évolué. Hommes politiques, hommes d’affaire, véreux, c’est le meilleur segment, un marché en constante évolution auquel je colle au plus près.

C’est d’ailleurs l’élimination de Roger Arkani qui me vaut cette nomination du meilleur tueur à gage de l’année. Un sacré client le Roger. Champion de la mise en examen et des financements occultes, la pointure taille XXL. Il avait perdu de sa flamboyance et commençait à décliner. Et puis la faute bête, inexplicable pour un politique comme lui, l’absence de reconnaissance. NSBTP n’avait pas eu le marché de la construction de la piscine olympique. La NSBTP de Nicola Sarti en prit ombrage. Arkani tenta d’expliquer que c’était une erreur et que la prochaine fois ce serait eux, mais il gardait les 100.000 euros versés. Nicola Sarti, peut être aussi méchant que sa taille est petite, une sorte de Joe Pesci. Je répondis à son appel d’offre pour ce contrat et je fus choisi. Ce fut un grand moment pour ma petite entreprise. Les powerpoint de ma méthode convainquirent Mr Sarti,

La compétition annuelle se tiendra dans le village de Passo, à 20 kilomètres de Massipo lui-même à 20 kilomètres de Palerme. Le titre est honorifique mais il permet des débouchés sur l’international. Pour s’y présenter il faut deux parrainages et payer les frais d’inscription de 100.000 euros, un peu cher, mais le repas est offert lors de la cérémonie.

Pour Arkany j’avais prévu d’opérer en Martinique où il passait du temps dans sa somptueuse maison, le jury serait sensible au cadre ensoleillé des Caraibes. Pour le symbole, j’ai opté pour un mode opératoire en tenant compte des spécificités locales. Lâcher Arkany dans la baie connue pour ses requins bleus voraces. Histoire de vérifier l’adage que les requins se mangent entre eux. Au moins je laissais une chance à Arkany… Avec les mains liées, il avait moins de chances. Quand un premier requin fonça sur lui le cisaillant en deux, Arkany resta sans voix lui qui n’en n’avait jamais manqué. Je filmais la scène, la qualité du montage sera un élément important pour le prix.

Par Laurent

Texte de Laurent

Les habitués du Hijack le savent quand ils voient Ricardo manipuler ses pièces d’échecs de cette façon c’est qu’il est en confiance. Ricardo est la vedette du Hijack, un bistrot de la rue Balzac. Le patron s’est pris de tendresse pour les joueurs d’échecs. Au début, cela lui faisait peur ces hommes fascinés par les 64 cases de l’échiquier qui parlaient et consommaient tout aussi peu. Mais ils remplissaient les après-midi souvent désertes avant l’arrivée des lycéens.
Ricardo est la star incontestée du bar, il faut voir ses mains virevolter au dessus de l’échiquier dans les parties blitz de 5 minutes, un virtuose dans la saisie des pièces qu’il joue à la vitesse de l’éclair sans les faire tomber. Aujourd’hui, il affronte depuis une heure un jeune qui veut en découdre. C’est un espoir du club officiel de la ville, qui travaille avec un ordinateur et des bases de données de millions de parties. Face à Ricardo ce n’est pas suffisant, celui-ci joue à l’instinct, il ne cherche pas le meilleur coup mais le coup qui embête, si on ajoute la parole pour commenter les coups, ce qui est interdit en compétition officielle, la déstabilisation est totale. Le jeune rentre chez lui sur un cinglant 8-2… Les supporters de Ricardo ne cachent pas leur contentement, leur champion vient une nouvelle fois de triompher.
Ricardo s’appelle en fait Jacky, il fut un très bon joueur jeune. Les chemins de traverse de la vie l’ont éloigné peu à peu du jeu. Chômage, divorce, puis la descente vers l’alcool, son surnom vient de sa passion pour un apéritif bien connu. C’est toujours mieux que Guignolo si c’était le guignolet….
Au Hijack, il attend le client. Mise a un euro, tout pour le gagnant, et on double en cas de partie nulle. Dans les bons jours il peut gagner 40 euros, suffisant pour vivre avec le RSA. Son niveau de jeu étonne. Il accroche des forts joueurs de passage sûrs de pouvoir battre ce joueur de café mais repartent avec quelques dizaines d’euros en moins. Parfois, il joue le « client », quand il sent l’arrogant venu étaler sa science du jeu, il le laisse gagner, maintient un équilibre légérement en sa défaveur et quand la mise devient conséquente il broie son adversaire. Hélas, ce genre de client devient rare.
Ce vendredi pourtant est différent. Il va affronter un fort joueur, toute la ville en parle, on lui a dit. D’habitude, Ricardo est serein quant à ce genre d’annonce, ce ne sera pas le premier à vouloir son heure de gloire. Son intuition lui disait de se méfier.
La rencontre est prévue pour 21 heures. A 20h45, l’arrière salle du Hijack est comble, l’affiche a attiré les passionnés. Ricardo est assis. Il attend. A 20h59, l’étranger arrive. Ricardo le juge. 40 ans, les sourcils épais sur un front large, un rictus lui donne un air suffisant. Il est grand, ses épaules sont larges. Il est vétu d’un épais pardessus noir. Le regard est perçant. Il va droit sur la chaise et s’assoit face à Ricardo. Il est décidé que les parties se joueront à 10 euros. Il est rare que Ricardo accepte cette somme. La première partie commence. Au grand étonnement de l’assemblée, Ricardo s’impose facilement, pourtant l’étranger semble avoir un bon niveau, il est à l’aise avec les pièces, ses mains posent les pièces avec assurance sur les cases. Certes son coup de cavalier a étonné, certains y ont vu une habile manœuvre de contournement mais Ricardo a démontré très vite que ce n’était pas bon et a remporté la partie rapidement, les victoires s’enchaînent pour Ricardo. Après cinq parties toutes perdues. L’étranger sort une liasse, il y a 1000 euros. Nous y voilà pense Ricardo, je suis le « client » ! L’assistance le regarde. Il a déjà gagné 50 euros, son chiffre habituel. Mais 1000 euros ! Il analyse les précédentes parties, son adversaire a joué faiblement, sans doute trop, il y a anguille sous roche, forcément. Peut-il décevoir l’assistance en refusant le combat ? L’étranger le fixe. Il y a longtemps qu’il n’a pas eu à prendre de décision autre qu’une routine huilé. Il plonge dans une réflexion sous le regard fixe de l’étranger. Ses mains sont moites. Puis il se décide, il va accepter. Il réajuste sa position sur la chaise et tend la main droite pour accepter l’offre. A ce moment dans un fracas, cinq hommes dont deux en blouses blanches débarquent et embarquent l’étranger sous les regards interloqués. L’une des deux blouses blanches explique que l’étranger s’appelle Manuel et qu’il s’est échappé d’un hopital psychiatrique il y a une semaine, un fou en quelque sorte.

Par Laurent

Texte de Laurent

L’année dernière les résultats avaient été mauvais, les mauvaises langues diront comme les précédentes. Maxime Dupuis en avait vu d’autres mais force de reconnaître que depuis son installation dans cette écurie au confins de l’ille-et-vilaine la réussite n’était pas au rendez-vous.
Maxime a décidé de se reconvertir dans les trotteurs de courses suite à son licenciement de chez Areola, la grande compagnie française. Les indemnités, confortables, et un petit héritage l’avait poussé vers sa passion, les chevaux de courses, plus particulièrement les trotteurs.
Ses débuts il y a 10 ans, s’étaient plutôt bien passés, il avait eu la chance de « toucher » Neige du Goutier, une alezane, qui gagna trois quintés et permit ainsi d’alimenter durablement les caisses de la petite écurie.
Seulement voilà, Neige du Goutier goutait maintenant aux joies de la reproduction et ses collègues équins de l’ écurie ne prenaient que quelques places dans les petits champs de courses de Basse- Normandie. Pas de quoi faire bouillir la marmite, aussi petite soit elle.
La petite écurie commençait à avoir des difficultés, difficile de payer le foin toutes les semaines, le maréchal-ferrant ne passait plus que deux fois par mois, le vétérinaire était appelé seulement en urgence. L’entretien des pistes d’entrainement laissait à désirer, des bosses, des trous se formaient çi et là.
Il ne pouvait compter que sur peu d’entraide, lui le parisien, venu manger le pain des normands, lui qui n’était pas du sérail et qui avait eu de la chance au début.
Il n’y avait que le vieux Eugène Paron, son voisin qui l’aimait bien. Eugène avait connu la gloire dans les années 70 avec Tropical Charmeur qui remporta le prix d’Amérique, la meilleure course pour les trotteurs et surtout la plus richement dotée. En bon normand, il avait fructifié son pactole en achetant des terres et un corps de ferme, puis retomba dans l’anonymat , se contentant d’entrainer et d’élever quelques poulinières pour s’occuper comme il aimait à le dire.
Eugène vivait seul, n’avait pas d’amis et on le regardait toujours avec suspicion depuis sa victoire dans le prix d’Amérique, on parla de potion magique qui aida le cheval à gagner, soupçons alimentés par les pouvoirs que l’on donnait à sa femme.
Janique, c’était son nom, était la rebouteuse, celle que l’on allait voir pour les verrues, la pluie qui tombe ou pas, les douleurs du dos, l’anémie du cochon et autres… Une sorcière disait on parfois. Le raccourci fut donc rapide. On lui prétait le pouvoir de faire avancer les chevaux plus vite. Las, seul Tropical Charmeur sembla en profiter car les autres pensionnaires d’Eugène ne firent jamais d’étincelles par la suite.
Mais Janique avait une explication, Tropical Charmeur aimait les châtaignes, surtout celles du pré du chemin Rouge qui avait reçu la foudre, un soir de novembre. Seulement voilà, dans leurs nouveaux prés, plus de châtaigners, que des noisetiers !
Il avait raconté cette histoire à Maxime l’an dernier, quand, autour d’un verre de cidre, il évoquait la mémoire de Janique, disparue depuis cinq ans. La discussion s’activait dans la cave d’Eugène et le cidre répondait présent. Pas un cidre Loic Raison, qui tord le ventre mais un cidre qu’Eugène pressait lui-même et dont il était fier. Il était difficile de connaître son degré d’alcool, certains parlaient de 10 degrés, d’autres ne s’en souvenaient plus.
Au fil des verres, Maxime devint pensif avec les châtaignes, son pré était plein de châtaigners. Mais oui bien sûr ! il faut y mettre le premier poulain que lui avait donné Neige du Goutier, un mâle nommé Snowman. Il le guettait, vérifiait s’il mangeait des châtaîgnes et oui alleluhiah il les dévorait littéralement. Sa progression était réelle et le poulain allait vite sur la piste d’entraînement défoncée, il fallait le débuter rapidement. A Rânes, ce serait bien, l’hippodrome convient bien pour débuter et Snowman gagna facilement, puis il gagna à Alençon, à Domfront, à Caen. L’heure était venue d’aller à Vincennes, le temple du trot, Snowman gagna encore, le prix d’Amérique se profilait, le nouveau champion Snowman gagna le Grand Prix en restant invaincu, du jamais vu. La magie des courses opérait…. Maxime leva les bras…. et s’ecroula dans la cave d’Eugène. La pomme l’avait emporté trop loin.
En rentrant sous la pluie d’orage, il passa voir Neige du Goutier dont le bas ventre s’alourdissait et qui donnera naissance en avril à un poulain. Il s’appellera Châtaigne.

Par Laurent

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