Ateliers d’écriture créative, de fictions, animés par Francis Mizio

Catégorie : ptiteco

Texte de Ptitéco – « Silence, je communique »

« Alors vous voyez, ça c’est votre larynx. C’est la structure qui se situe dans la gorge, au niveau de votre pomme d’Adam, celle qui contient vos cordes vocales, c’est tout ça qu’on va enlever. On va faire une grande incision ici, on soulève la peau, et on va vous enlever la totalité du larynx. Ensuite on va faire un trou au niveau de votre gorge que l’on va relier à votre trachée, ce qui vous permettra de respirer. Comme je vous l’avais déjà dit, vous n’aurez plus de cordes vocales, mais vous pourrez apprendre l’utilisation d’une autre voix, en faisant vibrer votre œsophage. Voilà en gros ce qui vous attend. Vous avez des questions ? »
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Texte de Ptiteco – « Et un jour on respire à nouveau » *

Ces mots prononcés par les neurologues dans cette pièce blanche et froide résonnaient encore en lui : « maladie grave », « incurable », « quelques mois tout au plus ». Ils leur avaient annoncé cela un peu comme quand on annonce le gagnant d’un prix, en y mettant les formes, en jouant sur un drôle de suspense : « au vu de l’évolution des examens de votre épouse », « compte tenu des observations cliniques », « nous nous sommes réunis pour évoquer son cas », « et aujourd’hui nous pensons que malheureusement…»
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Texte de Ptiteco *

21 mai 1988, salle des fêtes

Ça piaille de partout, dans tous les coins de la salle. Pour cause : ce soir c’est le concours des mini-miss ; un événement dans la région, peut-être aussi important que la Fête à la Saucisse. Chantal toise les autres mamans présentes ce jour-là. Elle en reconnaît quelques-unes, des précédents concours. Elle leur adresse un sourire hypocrite ; deux trois mots sur le temps pluvieux qui va abîmer le brushing des petites.

Elle aperçoit de loin sa fille, sa princesse, Jennifer, au milieu des autres petites, en train de répéter sa chanson, « la Vie en Rose » de Piaf. Pour Chantal, y a pas à dire, la version de sa fille est bien meilleure que l’originale. Elle lui fiche les frissons à chaque fois. D’ailleurs aux cinquante ans du Tonton Jean-Claude elle a même réussi à faire verser une larme à Papy André, c’est dire si elle est douée, la petite. C’est pas Chantal qui aurait pu émouvoir son père ; elle qui ne pouvait pas aligner deux notes sans faire trembler la maison.

L’a pas intérêt à se planter ce soir, Jennifer. C’est son 4e concours, et, pour une fois, ça serait bien qu’elle ait le podium, que l’investissement de Chantal serve à quelque chose.

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Texte de Ptiteco

Venger les roux. Marc ne se souvenait plus quand lui était venue cette idée. Mais le soir de cette agression dans le métro Londonien, elle prit une place grandissante dans son esprit. Ce type qui l’avait agressé faisait bien deux fois sa taille, trois fois sa corpulence. Etait-ce utile de rajouter qu’il avait de beaux cheveux bruns épais, qui le rendaient beau, ténébreux, tout ce que Marc n’était pas. Il l’avait bousculé en le traitant de « sale rouquemoute », et il l’avait sommé de dégager parce que « son odeur de roux » l’importunait.

De la même manière que certains supportaient les insultes racistes, ou homophobes, Marc encaissait depuis sa plus tendre enfance celles portant sur la couleur de ses cheveux, ses tâches de rousseur, sa peau laiteuse. Sa famille n’y était pas étrangère, seul roux de sa fratrie, sa mère Caroline s’était beaucoup amusée à le déguiser tantôt en citrouille, tantôt en carotte à chaque Halloween, et ce jusqu’à ses 12 ans.

Marc s’était habitué aux mauvais mots, si bien qu’aujourd’hui, cette nouvelle insulte, sans le mettre en colère, ne faisait que raviver son sentiment d’infériorité. Marc avait du mal à trouver un quelconque réconfort dans la vie qu’il avait construite. Il vivait en colocation avec Gary, geek collectionneur de tous les produits dérivés de Star Wars et autres Star Trek, dans un tout petit appartement de la banlieue de Londres. Son travail d’agent d’entretien ne lui permettait pas de s’offrir mieux.

Non, le réconfort il le trouvait dans son admiration pour une grande figure anglaise : le prince Harry, son mentor, son modèle. Lui aussi était roux, et lui aussi souffrait de vivre dans l’ombre de son père, et de son frère, futurs héritiers de la couronne. Ce soir-là donc, en rentrant dans son petit appartement sombre après une pénible nuit de travail, il s’adressa comme souvent au portrait d’Harry affiché au mur : « Tu sais Harry, si tu me le demandais, je crois bien que je pourrais nous venger…». Mais cette fois, au lieu de rester immobile, le visage du prince se mit en mouvement, sa bouche s’étira en un sourire et Marc entendit « je sais ce que tu vis, toi et moi sommes unis à jamais par notre couleur de cheveux, et je sais que tu vas m’aider à venger les nôtres ». Marc ne sut jamais vraiment si cette voix qu’il avait entendue était réelle ou le fruit de son imagination, toujours est-il qu’il se mit en tête de tuer Charles et William pour qu’Harry puisse avoir accès à la couronne et venger définitivement les roux.

Cette nuit il ne dormit pas, trop excité par son projet. Il devait vite réfléchir à un plan. Il procéda méthodiquement. Qui tuer : d’abord Charles, premier héritier, puis William. Comment : en fabriquant une bombe artisanale. Marc savait qu’il n’aurait pas de mal à trouver un tutoriel sur internet. De quoi avait-il besoin : gants en latex, masques de protections, gaz et autres produits chimiques variés. Il les commanda le soir même. Demain il pourrait commencer à assembler son matériel. Ne resterait plus qu’à trouver le moyen d’atteindre les princes Charles et William.

Les jours suivants, Marc semblait animé d’un nouvel élan. Lui qui paraissait d’habitude si abattu avait retrouvé une certaine joie de vivre. Parce qu’il avait enfin un objectif. Il allait tuer les tyrans, il allait enfin attirer l’attention sur la souffrance qu’il endurait avec ceux qu’il appelle ses frères, il sait que tout le monde verra sa métamorphose, son passage de représentant d’une communauté bafouée, à un terroriste en puissance. Il se sentait nourri d’une nouvelle force mentale, celle que Harry avait su lui insuffler en lui parlant.

Mais Marc n’est pas allé jusqu’au bout de son dessein. Un soir, Gary, en voulant emprunter un disque dur à son colocataire a découvert son journal, là où il couchait toutes ses idées un peu folles. En fouillant un peu il découvrit aussi pas mal de produits chimiques. Gary savait que Marc n’était pas franchement un prix Nobel de sciences, et que la présence de tous ces produits était suspecte. Son attitude euphorique inhabituelle des derniers jours finit par le convaincre de prévenir la police qui arrêta Marc, l’interrogea et le mit en examen. Le lendemain, on pouvait lire dans la rubrique « faits divers » le titre suivant : « Pour venger les roux, il projetait de tuer le prince Charles ».

L’histoire n’a jamais dit si Marc avait fini par accepter sa couleur de cheveux…

Par Ptiteco

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