Proposition d’écriture – septembre 2023

Bienvenue pour ce premier atelier de la saison 2023-24 ! Ce mois-ci l’atelier est « d’approche roman », c’est-à-dire qu’il s’agit de tenter de réaliser collectivement à partir d’une proposition d’écriture définissant un cadre assez précis (de lieu, de personnage, ou d’époque…) un récit collectif (je rappelle un peu les choses, il y a eu des canicules depuis l’atelier de juin et nous nous sommes amollis — en tout cas, moi, je me suis liquéfié). Chaque texte constituant une partie d’un tout, en essayant que, par juxtaposition des parties et ellipse créées entre elles, on obtienne la structure d’un petit roman contemporain, ou du moins un récit collectif aussi abouti que possible. Pour rappel, il y a eu plusieurs expériences déjà menées ici :
Le roman du tube planétaire « Ode to Billy Joe » de Bobby Gentry
La nuit de St Sylvestre d’un chauffeur de taxi
Les relations dans un immeuble entretenues avec la redoutable Dragoslava Vasić, dite « La Drago »
Une biographie fragmentaire des incroyables et agaçants enfants parfaits de M. Sharma
Voilà… vous vous souvenez du principe ? Allez, c’est parti !


J’ai, durant mes vacances estivales, traversé en Côte d’Armor puis dans le Sud de la France maints hameaux, bourgs, villages, villes, GR, sentiers… ; arpenté des kilomètres de rue caniculaires le nez en l’air pour admirer de vieilles pierres et, entre autres, me trouver face à des demeures de toutes époques que je ne pourrai jamais m’offrir (je n’essaie même pas d’évaluer les échéances ;  c’est certain : je suis de ceux qui regarderont toujours au travers des grilles. Tel est mon destin).

En découvrant de ces palaces ordinaires, il m’est souvent arrivé de me demander comment les gens d’alors avaient pu accumuler de telles fortunes, ceux d’aujourd’hui les acquérir, et surtout sur le dos de qui ? ; de me dire que dans le lot il ne devait pas toujours y avoir eu d’honnêtes manœuvres pour qu’ils puissent s’offrir de tels délires vaniteux (Ce sont bien des réflexions de pauvre que je me fais, la preuve). J’ai une théorie : peut-être peut-on déceler le taux d’honnêteté ou de vilénie du propriétaire d’une demeure quelque part dans l’architecture de celle-ci. Un peu comme une sorte de physiognomonie qui serait appliquée au bâtiment, si je puis être plus clair. La bosse de l’escroquerie, ça doit être cette mansarde hideuse ; l’avarice, ce doit être ces hideux pots pour topiaires au pied de l’escalier, etc. Enfin, vous comprenez l’idée.

J’ai bien conscience que cette théorie peut être prise en défaut (d’ailleurs j’ai encore bien du mal à apporter des preuves convaincantes, ni à poser le moindre principe de base), mais la seule chose dont je suis certain est que le goût, le sens du beau, de l’harmonieux, l’élégance, le sens de la mesure, comme la fortune, ne sont pas partagés par tout le monde.
Alors, problème : si ma physiognomonie des maisons restera encore une science balbutiante, comment savoir de façon rapide et peu coûteuse en temps d’enquête si le richard du coin a acquis sa fortune honnêtement ? (*) Il y a au moins un homme qui s’est attaqué à cette question de salubrité publique, et l’a même résolue : c’est l’écrivain, aventurier, journaliste, polémiste, et humoriste, Mark Twain (l’auteur des aventures d’Huckleberry Finn et de celles de Tom Sawyer, mais dont l’œuvre remarquable ne se limite vraiment pas qu’à cela). À son époque, fin 19e, la presse française racontait que chaque fois que Twain séjournait dans une nouvelle ville, il se débrouillait pour envoyer un télégramme aux notables locaux comprenant ces simple mots : « Fuyez, tout est découvert ». Méthode de repérage et de traque à l’aveugle relativement efficace puisqu’il aurait quelquefois, dit encore sa légende médiatique, obtenu des résultats étonnants, inattendus, sinon abondants.

Voici donc ma proposition d’écriture : vous êtes, ce mois-ci, neuf notables de la petite ville bretonne, balnéaire huppée fameuse à jamais pour ses villas somptueuses, parfois extravagantes, toutes en rivalité et alignées face à l’océan et chacune sise au milieu d’un parc de rêve (comprenant selon vos désirs un kiosque à musique ou un pavillon de chasse, des statues classiques ou des œuvres d’art contemporain, un arboretum ou des serres tropicales… Que sais-je : vous connaissez mieux que moi ce que vous avez fait de votre fortune).
Tout va bien pour vous en cet été 1981 (**) lorsque, soudain, vous recevez un télégramme qui contient cette simple phrase : « Fuyez, tout est découvert ». Notre roman collectif, à personnages multiples, va donc être celui du « Mystérieux télégramme de Saint-Kertambouille-sur-mer ».

Vous disposez de plusieurs angles possibles d’incarnation de personnages.
Exemples :
– Vous avez quelque chose à vous reprocher : une fortune mal acquise ? Un cadavre dans un placard, ou enterré sous les hortensias comme dans le jardin à la française de M. Ripley de Patricia Highsmith ? Est-ce un héritage pas très clair, ou humm… provoqué ? Vous êtes actuellement embrigadé-e dans une affaire plus que crapoteuse ? Ou alors, on ne saura jamais dans votre texte comment vous avez pu gagner de quoi vous faire bâtir un tel château à colombages… Mais diable ! Que faites-vous une fois le télégramme reçu ? Racontez-nous.

– Vous êtes d’une honnêteté sans tâche et détenteur ou détentrice d’une fortune tout-à-fait légitime et incontestable. En revanche… vous observez ce qui se passe chez un des voisins qui a dû sans doute (ou pas ?) lui aussi recevoir un tel télégramme, parce que lui… il n’est sans doute pas clair. C’est même certain… D’ailleurs comment cet abruti ou cette idiote a t-il ou a-t-elle bien pu se payer une maison plus vaste que la vôtre ?

– Vous êtes un ou une domestique d’un-e propriétaire, le chef de gare pour la ligne pour Paris, un marin passeur pour les îles britannique, gendarme, édile de la ville, commerçant-e, artisan local… à vous de décider, mais vous êtes confronté-e ou assistez aux conséquences de ce satané télégramme. Que pouvez-vous nous raconter ?

– Vous connaissez, en cette année 1981, la biographie de Mark Twain, et donc le coup du télégramme… Vous savez que c’est une blague… Mais alors qui vous en veut, qui calomnie, ou qui a des soupçons, justifiés ou non, sur votre honnête (ou pas) personne ? Un ennemi ? Une bande chevelus anarcho-libertaires ? De simples gamins ? Et si cela cachait encore autre chose ?

– Et sans doute bien d’autres angles et traitement de cette proposition d’écriture que, j’imagine sans peine, vous saurez trouver. De toute façon, vous êtes sans doute un peu futé-e sinon comment auriez-vous pu avoir une telle demeure en front de mer ?
Et, bon sang… une baraque pareille !  À St Kert’, en plus ! Excusez du peu. On ne se mouche pas du coude, décidément, dans cet atelier.

(+) Cela étant j’ai appris que, paraît-il, lorsqu’il y a des dés parmi les barreaux de la grille en fer forgé à l’entrée d’une propriété cela signifierait que l’argent aurait été acquis au jeu…

(**) Pourquoi 1981 : parce qu’Internet n’existait pas, et donc on pouvait encore recevoir des télégrammes (le dernier en France a été transmis le 30 avril 2018 à 21h05), ensuite parce qu’il y avait une drôle d’ambiance cette année-là (on racontait que si la gauche passait au pouvoir en 1981, les chars russes seraient aux portes de Paris) et tout simplement parce que les iconiques années 1980, c’était quand même quelque chose, post Poulailler’s song (1977 ; ci-dessous un enregistrement de 1981) dans les trainées des seventies contestataires.


Toutes les maisons de cette page ont été fabriquées pour pas cher et en toute honnêteté par l’IA Midjourney.