Texte d’Adémar Créach

En chansons

Paris a plusieurs visages, trois en ce qui me concerne : celui de mes années d’étudiantes, celui de mes années de jeune adulte amoureuse et celui meurtri d’aujourd’hui. Une ville d’une telle taille ne peut être que multiples, se dévoiler peu à peu à chacun. Il faut bien l’avouer, l’argent, le statut social et l’endroit où vous habitez ont beaucoup d’impact sur l’image que vous retiendrez de Paris. Quelque part, c’est une chance et une richesse de connaître ces différentes facettes, qui correspondent pour moi à différentes périodes de ma vie.

L’insouciance

Je suis donc « montée » à Paris pour mes études. Longtemps, on m’a fait sentir que je n’étais pas d’ici. Comme dirait l’autre je ne suis pas parisienne, ça me gêne, ça me gêne. Il est difficile, même jeune, de se faire une place dans un telle capitale. Que de monde, que de bruit! Au début, j’allais le long des rues, comme un enfant perdu, j’étais seul, j’avais froid. Toi, Paris, tu m’as pris dans tes bras. Peu à peu, j’ai pu rencontrer d’autres étudiants, d’autres étudiantes, m’intégrer dans des groupes, pour rompre l’anonymat de cette grande ville. Mais, quand on est jeune, et fauchée, on trouve qu’ici tout est gris, ça s’appelle Paris ! Je n’irai pas jusqu’à dire que je côtoyais les bas-fonds, mais je savais que dans la salle du bar-tabac de la rue des Martyrs, y a toujours des filles la nuit qui attendent le jour en vendant des plaisirs. Je n’en étais pas là, j’allais à la fac, je prenais le métro, je me nourrissais de pâtes dans ma petite chambre de bonne, je faisais des petits boulots pour joindre les deux bouts.

Un jour, pour m’abriter d’une pluie battante, je trouvais refuge dans un café. Je m’installais au fond de la salle. J’attendais que le serveur daigne venir jusqu’à moi. Il n’eut pas le temps. Un grand blond installé à une table voisine me vit frigorifiée et héla le serveur indifférent pour m’offrir un chocolat chaud.

L’amour

C’est donc avec toi, que je découvris un autre Paris. Celui des amoureux. Tu m’as fait aimer ta ville. Nous nous levions tôt, juste pour pouvoir profiter des rues vides. C’était au printemps. Quand il est cinq heures Paris s’éveille, le café est dans les tasses, les banlieusards sont dans les gares. Tu le sais, j’aime Paris au mois de mai, lorsque le jour se lève, les rues sortant du rêve. Nous nous baladions, main dans la main, aux Champs Elysées, au soleil, sous la pluie, à midi ou à minuit. Les garçons de café, plus aimables que celui de notre rencontre, nous sifflaient en chantonnant que sous le ciel de Paris, marchent des amoureux. Quand on connaît, on sait que cela balance pas mal à Paris. Nous profitions de notre liberté de jeunes adultes pour parcourir les musées, aller au cinéma, s’étourdir dans les caveaux de St Germain-des-Prés. Nous faisions les touristes dans notre propre ville. Puisqu’elle était devenue nôtre. Ainsi que tous ses quartiers, les beaux, les grands, les populaires, les modestes….

            La peur.

Nous sommes devenus adultes, parents. Nous n’avons plus l’occasion de nous promener à l’aurore dans les beaux quartiers. Nous habitons Ménilmontant, où quand midi sonne, la vie s’éveille à nouveau, tout résonne, de mille échos. Rattrapés par le quotidien, par la vitesse de la vie à Paris, nous faisons au mieux pour nos enfants. Nous sommes pris par nos métiers respectifs, par les activités des plus petits, nous nous sommes oubliés dans la routine. Et ce n’est plus la beauté de Paris qui va nous rapprocher. Mais la peur. En novembre 2015, les loups sont entrés dans Paris, l’un par Issy, l’autre par Ivry. Nous ne connaissions personne au Bataclan, mais la peur pour nous et nos enfants est devenu omniprésente. Que faire ? Sinon continuer à se battre, à refuser l’inadmissible. Que l’on touche à la liberté et Paris se met en colère. Les attentats ont eu une seule conséquence positive : resserrer les liens, entre amis, entre parents, entre voisins. Une belle solidarité s’est développée, pour que Paris soit toujours la plus belle ville du monde, malgré l’obscurité profonde, son éclat ne peut être assombri. Paris sera toujours Paris. Aujourd’hui nous sommes beaucoup à pouvoir et vouloir chanter J’ai deux amours, mon pays et Paris.

——————-

NB : Toutes les phrases en italique sont des paroles issues des chansons de Marie-Paule Belle, Enrico Macias, Doc Gynéco, Pigalle, Jacques Dutronc, Charles Aznavour, Joe Dassin, Edith Piaf, France Gall et Michel Berger, Charles Trénet, Serge Reggiani, Mireille Mathieu, Maurice Chevalier, Joséphine Baker. Merci à eux pour l’inspiration… même si je ne leur ai pas vraiment demandé l’autorisation !

Par Adémar Créach

0 0 votes
Évaluation de l'article
7 Commentaires
le plus ancien
le plus récent le plus populaire
Fil de retours
Voir tous les commentaires

Voici un autre texte qui aborde le sujet des attentats, mais ici ce n’est pas le seul sujet. C’est un de ces textes qui vous narrent presque toute une vie (disons au moins une génération) à travers un prisme précis, en l’occurrence ici, celui imposé de Paris. Le texte fait de ce prisme une raison anecdotique pour raconter le destin des personnages mis en scène, puisque ce destin s’écrit dans cette ville. L’auteur choisit de raconter plusieurs « étapes » de vie en mettant en exergue un sentiment « représentatif » de cette étape, sentiments dont elle fait, de manière efficace, les titres de chaque paragraphe. Le recours aux paroles de chanson est un exercice de style qui fait souffler un vent de légèreté sur l’ensemble, créant au passage comme un second fil rouge.

Mon regret principal, sur ce texte touchant et rempli de plein de belles choses, est qu’il ne soit pas tout à fait construit comme une « histoire », mais plus comme une chronique. J’aime bien les chroniques, hein, là n’est pas la question, mais les transformer en réelles histoires, avec un vrai souffle narratif, est souvent intéressant. Au delà de la liste de souvenirs, narrer les faits comme s’ils ne nous étaient pas arrivés à nous, mais à un personnage de fiction que l’on mettra pleinement en scène. Eventuellement, tricher un peu avec la réalité si c’est plus cohérent pour construire la fiction. Et garder les souvenirs comme point de départ du texte, et non comme point d’arrivée. En ce sens, le tout premier paragraphe n’est pas nécessaire à mon sens : il serait je pense plus intéressant que l’on « comprenne » ce qu’il expose au fil du texte, simplement en étant convié à suivre le fil de l’histoire d’une héroïne de fiction qui passe par ces différentes étapes de vie.

Merci Gaëlle pour ton retour… et j’avoue que j’ai eu du mal à vraiment « raconter » une histoire. Peut-être parce que je voulais placer les paroles des différentes chansons, ce qui me « contraignait » quelque peu. Pour info, j’ai quelque peu « triché avec la réalité », le texte n’étant pas autobiographique…à l’exception de deux phrases peut-être….

Oui, pardon, je m’aperçois que mon commentaire n’était pas clair: je n’ai pas pris ça comme autobiographique nécessairement (en fait, je ne me pose pas cette question quand je lis, ça appartient à l’auteur… Et pour la petite histoire, généralement, quand on me demande quelle est la part d’autobiographie dans mon écriture à moi, je ne réponds pas… Peu importe). Quand je parlais de souvenirs, ou de choses qui nous sont arrivés à « nous », ou de s’éloigner de la « réalité », c’est à « nous » en tant que narrateur du texte se plaçant dans sa réalité, sans cette posture de chroniquer ses souvenirs, pas en tant que personne. 🙂

Et c’est vrai que la contrainte des paroles de chansons était bien sympa mais rajoutait un peu de complexité au niveau de la forme!

J’avais aussi pensé à me servir de chansons pour étayer mon texte Adémar! et j’ai vite pris peur 🙂 j’aime le titrage et les différentes parties, les constats qui s’en dégagent. Ca ressemble au journal intime de quelqu’un qui fait le point, avec de la distance. Je suis d’accord avec Gaëlle , il manque juste un petit je ne sais quoi pour lui donner un peu plus de relief…on dirait que le narrateur cherche à se protéger des anciennes et actuelles émotions … j’espère ne pas être maladroite

Pas maladroite du tout, non… car, même si je n’en avais pas totalement conscience, je me demande si tu n’as pas exactement raison sur la protection vis-à-vis des émotions..

Je crois que j’ai eu aussi cette même impression 😉

J’ai trouvé l’idée du fil conducteur des chansons très sympa. Mais je me suis moins retrouvée dans l’histoire, en général lorsque je lis, je fonctionne avec des sortes de flashs d’image (c’est assez difficile à expliquer), flashs que je n’ai pas forcément eu là. Il n’empêche que j’ai trouvé l’idée bonne 🙂