Ateliers d’écriture créative, de fictions, animés par Francis Mizio

Catégorie : CatJuin2016

Texte de Schiele

Lettre à toi qui ne la lira jamais

Ce soir, je déambule sur le pont Mirabeau, et il n’y que la Seine qui coule, pas nos amours.

Et rien ne viendra après ma peine.

Ce soir j’emmerde Rimbaud, la poèsie, et ma ville qui ne tiendra pas ses promesses de bonheur et de romantisme.

Ce soir les clichés qui me farcissent la tête depuis l’enfance me débectent. Comme mon coeur d’artichaut d’adolescente de 40 ans. Comme ma naïveté candide qui suplante encore ma raison. Comme mon fonctionnement à l’affectif que ma logique ne parvient pas à endiguer.

Les longues balades près du canal Saint Martin ou entre les maisons surranées des étudiants de la cité universitaire, ce n’est pas avec toi que je les ferai.

Nos amours n’existeront pas.

Elles resteront mon fantasme, ma frustration, mon illusion.

Une histoire que je me serais montée de toutes parts , toute seule certainement même?

J’en n’en saurai rien, car de tout ce désir bouillonnant, toi tu n’en auras jamais vent.

Les après midi en barque sur le lac inférieur pour finir à dîner au chalet des îles, ce n’est pas près de toi que je les passerai.

Qui me dit que tu en aurais voulus? Que c’est avec moi plus qu’avec une autre que tu aurais   espérer partager chacun de ces moments?

Les films rétros dans les canapés en cuir rouge du Ciné 13 de Montmartre, ce n’est pas avec toi que je les verrai.

Ce soir, je hais la vie qui nous oblige à choisir et je pleure mon choix de trouillarde.

Je me lamente de t’accorder une importance dont j’ignore si elle est réciproque.

Je ne sais même plus si j’aurais préféré que tu sois au diapason ou que que tu me vois juste comme une rencontre banale, des échanges qui ne laissent aucune empreinte, dans une fête parmi tant d’autres.

Pourtant, notre complicité ce soir là fut immédiate. Même avec tes 10 ans de moins et ton legging panthère de déguisement. J’aurais du me méfier de ton sourire. De cette conversation si fluide, et des rires si vite partagés. Mais justement, j’ai plongé avec spontanéité dans cette rencontre, sans en voir le danger.

Depuis tu es dans mes pensées, trop.

Les expos de fin de journée au grand palais, bercées des doux rayons du soleil traversant sa magnifique verrière, ce n’est pas avec toi que je les admirerai.

Certains diraient que je fais ma crise de la quarantaine. D’habitude, ce sont les hommes bedonnants en voie de calvitie qui ont besoin de cette réassurance.

Est ce ça qui se niche dans mon envie de toi?

Est ce mon couple tranquille et bien établi depuis si longtemps , qui m’emmène vers des envies d’aventure?

Ou mon radar est il bon? Mon inconscient a t’il senti que nous nous compléterions parfaitement bien, à l’image de cette soirée passée ensemble?

Les cocktails raffinés dans des bars d’hotel de luxe, ce n’est pas avec toi que les dégusterai.

Mais que pourrais je t’apporter? Comment espérer que tu puisses vouloir de moi, déjà en train de me faner. Toi qui voudras construire une famille, alors que j’en ai déjà une.

Je fais donc le choix du renoncement, je retourne à ma vie tranquille de néo quadra.

J’en viens à espérer qu’elle soit malheureuse cette vite, pour avoir la force de la froisser.

Peut on oser tout avoir? De beaux enfants, un métier qu’on aime et une vie de femme intense?

Je n’ai que trop appris à accepter la limite. Non c’est non. La sécurité avant tout.

Alors je me dis que ça passera.

Que nos chemins ne se recroiseront plus.

Qu’il faut attendre.

Que je t’oublierai.

Et que dorénavant, je trouverai d’autres ponts pour traverser ma ville.

Par Schiele

Texte d’Ariane

Steven descendit du taxi. Ca y est, il était à Paris. Paris et ses Champs Elysées, ses boulangeries, ses grands couturiers, ses macarons. La ville lumière, les Français. Paris. Un rêve de gosse. Il sort de la voiture, attrape sa grosse valise. L’air moite sent la pollution et le goudron. Les automobilistes klaxonnent, des passants pressés le bousculent et pestent contre ses sacs qui envahissent le trottoir. Vite, il pousse la porte cochère et se lance dans l’ascension des nombreux étages. « Charmant studio tout équipé comprenant kitchenette, chambre et pièce à vivre. Appartement parisien typique avec vue sur la Tour Eiffel, au cœur d’un quartier vivant. ». Il avait beau ne pas être bilingue, c’était bien ce qui était noté sur l’annonce, il en était sûr. Il balaya la pièce du regard : un petit frigo, sur lequel était posé ce qui ressemblait à une plaque de cuisson. Un matelas étroit aligné contre le mur et des traces de moisissures sur le mur couleur taupe. Des fils électriques frôlant dangereusement les gouttes glissant le long de l’évier. Le tout devait faire 9m². Il soupira en pensant à la somme ahurissante qu’il avait déjà versée au propriétaire. Surement le prix à payer pour avoir une vue sur la Tour Eiffel. En toute hâte, il grimpa sur sa valise et ouvrit le velux : des immeubles à perte de vue, des bruits de circulation. Il faillit se faire un torticolis mais finit par l’apercevoir : une petite pointe d’acier entre deux immeubles.

Il n’avait pas compris ce qui s’était passé. Il pensait être au pays des libertés, dans la ville d’Yves Saint-Laurent et de Jean-Paul Gauthier. Il était sorti pour échapper à la chaleur harassante de sa chambre. Avait trop bu. Avait été dévisagé. Avait cru qu’on lui faisait du charme. S’était approché pour discuter. N’avait pas compris tous les mots échangés et le pourquoi de leurs rires. Avait accepté leur proposition d’aller dans une discothèque du Marais. Et le voilà la tête dans le caniveau. Les coups pleuvent au rythme des insultes. Ses dents cognent contre le trottoir et des éclats d’émail remplissent sa bouche, l’étouffant. Il avait essayé de se défendre. Il avait tenté de fuir. Il avait cherché à se protéger des coups, se recroquevillant. Maintenant, il voulait juste que la douleur s’arrête. D’ailleurs, il ne sentait plus grand-chose. Il devinait que les craquements réguliers qu’il entendait étaient le bruit de ses os se brisant. Il pensa au jardin de ses parents dans le Minnesota, à sa petite sœur qui courait. Il sourit une dernière fois. Il entendit le clapotis de la Seine.

Et merde ! Il raccrocha le téléphone rageusement. Il avait suffisamment de travail comme ça. La bande de pickpockets de la ligne 1 était revenue et ils avaient enregistré 30 plaintes, rien que dans la journée d’hier. Il n’avait rien contre les meurtres mais le fils d’un grand diplomate fraichement débarqué, ça sentait le moisi. Et bien sûr, ses inspecteurs n’avaient pas la moindre piste. Le gamin était là incognito et son portefeuille avait été retrouvé intact. Battu à mort dans une ruelle, ce n’était pas une bonne image à donner de la France. Il avait intérêt à comprendre très vite ce qui s’était passé mais il ne risquait pas d’avancer avec son téléphone qui n’arrêtait pas de sonner. Et il allait devoir trouver quelqu’un dans ce commissariat qui baragouine suffisamment l’anglais pour interroger ses proches.

– « Un homicide homophobe ? Vous vous foutez de moi ? ». Le divisionnaire s’étranglait au téléphone. L’affaire avait finalement été facile à résoudre. Le médecin légiste avait retrouvé un taux d’alcool important dans son sang et le premier bar du quartier avait été le bon : la serveuse se souvenait très bien de cet américain souriant, à l’accent et aux manières prononcés. Elle avait été étonnée de le voir repartir avec cette bande de mecs aux regards durs et aux sourires glaçants. Elle les avait entendus l’appeler le « suceur de queue ». Elle était physionomiste et proposait de faire des portraits-robots. Il rassura le divisionnaire : on allait retrouver les coupables.

– « Hors de question ! ». Déjà qu’entre les attentats et les grèves, le tourisme était en berne, passer pour des brutes homophobes sur la scène internationale n’était pas au programme. La DGSE allait reprendre l’affaire. Il avait le choix entre obtenir sa mutation à Versailles ou faire la circulation sur le rond-point de l’Etoile. Il raccrocha son téléphone. Il avait une bande de pickpockets à interroger.

Par Ariane

Texte de Groux

Aussi loin que portent mes yeux, la campagne et les champs s’étendent à perte de vue. Ils colonisent la forêt qui entourait le village. J’en connais chaque recoin. Je m’y amusais auparavant. Je me rappelle les sorties de chasse avec mon père, les courses au trésor avec les autres enfants du village, les balades solitaires et mélancoliques. Je me souviens des longues heures à cheminer à côté de la rivière, cette rivière qui séparait notre village en deux. Une petite île s’était créée en son milieu et je m’y imaginais des histoires fantastiques.

Derrière moi se trouve notre village. Au tout début, il s’agissait d’un hameau puis le passage d’un roi lui a fait connaitre son âge d’or. Des gens de toutes régions ont voulu venir s’installer. On a pavé les quelques rues qu’il y avait, on a construit quelques grosses maisons. Le maire est d’ailleurs fier de son église d’époque, la plus grosse de tout le comté. Puis tout s’est arrêté aussi rapidement que cela avait commencé. Le roi est parti, s’est installé à plusieurs centaines de kilomètres, plus au sud. Les gens l’ont suivi, ont abandonné la petite ville. Le centre a gardé un charme désuet. Comme s’il était resté figé dans un temps qui n’existe plus.

Je suis lassé de cet environnement. Enfant, il m’émerveillait. Aux portes de l’âge adulte, je rêve d’autre chose. La vie campagnarde n’est pas pour moi. Je n’ai pas envie de suivre les traces de mon père et de reprendre son commerce. J’ai de plus grandes ambitions.

Aujourd’hui, est peut être le jour où tout va changer. J’ai dans mes mains, l’enveloppe contenant la réponse à ma candidature dans une prestigieuse école d’architecture. Je n’ose l’ouvrir. Fébrilement, je déchire le papier. Je souris intérieurement, je me vois déjà vivre à la capitale. Mes yeux se posent sur la lettre. Je manque de défaillir, je ne suis pas pris. Ils trouvent mon projet irréalisable, dénué de bon sens. De rage, je froisse la lettre et la jette à terre.

Ils n’ont rien compris, n’ont pas vu mon génie. Ils restent enfermés dans leurs pauvres repères étriqués.

Je refuse de me laisser abattre et me prends à rêver. Un jour, mon nom sera connu. Il faudrait que je laisse quelque chose de tellement grandiose, de tellement immense que cela me survivrait durant des siècles. Cela me ferait connaitre dans le monde entier. Je leur prouverai leur erreur de ne pas avoir cru en moi.

La colère reprend le dessus. Tous mes efforts n’ont servi à rien. Je prends mon carton à dessins. J’y retrouve des projets de gare, de ponts, de viaducs, d’observatoire… Je les déchire un à un. Rien d’assez bien. Quelques larmes de rage viennent m’aveugler.

La détermination s’empare de moi. Je ne resterai pas sur un échec. Il me faudrait une construction qui n’aurait pas d’utilité première, qui soit juste un symbole. Grandeur, grandiose, symbole, génie… Tous ces mots résonnent dans ma tête.

Soudain, j’ai l’idée. Je vais construire une tour. Une tour qui supplanterait en hauteur tout ce qui peut exister dans le monde. Elle serait en fer, j’aime particulièrement ce matériau. Et cela rajouterait à l’innovation. Mes yeux se mettent à briller, je l’imagine, posée sur ses quatre pieds, faisant 1000 pieds de haut. J’aime la symbolique des chiffres ronds. Cela serait un pari colossal, on me prendrait surement encore pour un fou. Je laisse mes mains guider le crayon, j’esquisse quelques traits. Toute une armature de fer, des poutres métalliques se reliant les unes aux autres.

Puisqu’ils n’ont pas voulu de moi à Rochefourchat, je créerai ma propre ville. Ma tour attirerait des millions de visiteurs et serait un symbole fort. Mes idées m’entrainent de plus en plus loin. Et pourquoi ne pas redonner à mon petit village sa splendeur passée ? Il prendrait de l’importance, sa surface et ses constructions augmenteraient. Je pourrais laisser libre cours à mes idées. Tout le monde en parlerait et voudrait le visiter. J’imagine déjà les gros titres : « Paris, le village qui devient grand », « Paris, the place to be »… Les gens viendraient du monde entier. Un projet encore plus fou germe dans mon esprit. Et pourquoi ne pas faire de Paris la nouvelle capitale de la France ?

Je perds la notion du temps, je suis tout à mon projet.

J’entends soudain ma mère appeler du fond de la cuisine : « Gustave, tu viens manger ? ». Pendant que mon père rajoute « tu finiras de rêvasser plus tard… ».

Par Groux

Texte de Mini 697

– Eh ben Marie, je ne pensais pas que tu viendrais me voir, c’est cool de ta part.
– Oh tu sais, je dois t’avouer que c’est complètement par hasard. Je passais par la. Tu tiens le coup ? C’est quoi ta stratégie ?
– Je ne sais pas trop, je réfléchis. Mon avocat me dit que j’en aurai pour trois ans max si je plaide coupable. Sinon, on va mettre en avant le fait que j’étais au mauvais endroit au mauvais moment. Statistiquement, j’ai une chance sur six de m’en sortir et je devrais pouvoir faire appel tous les ans.
– C’est vrai que t’as pas eu de bol sur ce coup… Bon, Olivier, faut que je file.
– Ah oui, c’était expéditif..
– Oui, désolée, j’ai peut être l’occasion de visiter un appart vers Saint-Michel mais il ne faut pas que je loupe le coche. Tiens moi au courant.

– Voilà, fais comme chez toi..n’hésite pas si tu as besoin de quoi que ce soit.
– Merci. Je ne savais pas que tu cherchais à acheter aussi. Enfin, je ne savais pas que tu en avais les moyens, sans vouloir te vexer évidemment.
– Oh ne t’inquiète pas, je sais bien que toute la place est au courant de mes récents déboires financiers. Mais, j’ai eu une grosse rentrée d’argent, assez inattendue, donc, comment dire, la roue a tourné.
– C’est ce que je constate.. Ben, c’est super, t’as de la chance.
– J’espère que le prix te convient.
– Oui…oui.
– J’espère que tu ne m’en veux pas, je me dis qu’il faut loger tout le monde à la même enseigne, tu comprends ? Si on commence à faire des prix aux amis, on ne s’en sort plus. Le business, tu comprends ?
– Pas de problème, je serai partie au matin.
– Ok, prends ton temps surtout. T’as appris pour Olivier ?
– Oui, je suis passée le voir en venant ici.
– Ah oui ? Et donc ?
– Trois ans max.

– T’étais au courant que Noémie avait construit un hôtel dans le quartier latin ?
– Oui, c’est incroyable, hein ? Il y a quelques mois, elle avait du mal à joindre les deux bouts.
– Tu sais ce que c’est sa grosse rentrée d’argent ?
– Ce n’est pas très clair, une histoire de loterie ou quelque chose dans le genre mais pour être tout à fait honnête, je ne suis pas sûr que ce soit vraiment légal.
– Ah oui, tu crois ? Ça ne m’étonnerait pas d’elle, remarque, elle ne suit pas toujours les règles et a tendance à appeler ça de la chance.
– En parlant de magouilles, tu sais que Pierre habite dans le coin maintenant ? Pas claire non plus comme histoire, un accord loufoque avec Laurent.
– Oui, je lui ai envoyé un message mais il ne répond pas.
– Tu lui as dit que j’étais là aussi ? Car je pensais faire le mort…
– Oui, je lui ai dit. Mais ne t’inquiète pas, il n’est pas très réactif. Tant mieux d’ailleurs, il a tendance à profiter de mon argent à chaque fois..
– Ah ça y est, mon train est annoncé voie 3, je file. C’est pas mal, Montpar’ depuis les travaux, hein ?

– Vous avez de très beaux locaux. Cela doit être très agréable de travailler sur les Champs.
– Disons que l’on est à proximité de beaucoup de choses mais il y a aussi énormément de touristes. Dans quel coin de Paris habitez-vous ?
– Rue Lecourbe, mais j’aurais aimé investir dans des quartiers plus prometteurs.
– Ah ! Notre but a tous ! Revenons à nos moutons. Nous avons étudié attentivement votre dossier et nous aimerions vraiment vous aider à trouver une solution.
– J’en suis ravie.
– Nous pensions notamment à différents produits mais nous aurions besoin de plus d’informations pour affiner les conditions du prêt. Afin d’avoir toutes les cartes en main, pourriez-vous nous indiquer votre salaire actuel ?
– Je gagne 20 000 francs.

– Je me suis dit que tu apprécierais une petite visite, Marie.
– ….
– C’était plus sympa de l’autre côté, hein ?
– Olivier…
– Ne t’inquiète pas, ça passe vite finalement
– Olivier…
– Bon, quelle est ta stratégie ?
– Mes deux gares contre ta carte « Vous êtes libéré de prison » ?

Par Mini 697

Texte de Puccini

Ses doigts se serrent sur la pochette en kraft. Le panorama se délie sous ses yeux. Elle croque dans la chair moelleuse de son éclair. Son regard se fixe alors qu’elle avale la crème sucrée.

Pif paf pouf

Notre Dame se dresse sous ses yeux, majestueuse. La façade dentelée domine le parvis. Elle se souvient de cette sensation de grandeur la première fois qu’elle l’a vue. Rapidement, les méandres des petites rues l’ont plus intéressée, repaire de nombreuses soirées.

Il y a même cette fois-là où elle a un peu trop bu. Elle s’était laissé embrasser. Comme ça, un baiser volé, insouciant.

Le glaçage de la pâtisserie craque sous ses dents.

Pif paf pouf

La Tour Montparnasse attrape son attention, singulière. De cette géante, elle ne garde pas un bon souvenir. Elle s’est fait quitter. Tout là haut, là où la vue était aussi étendue qu’ici.

La crème a un gout un peu plus amer.

Du revers de sa manche, elle essuie le chocolat qui s’accroche au coin de ses lèvres.

Pif paf pouf

Au-delà des monuments, il y a ces rues que l’on devine, auxquelles on prête un tant soit peu d’attention. Ce ne sont pas forcément les premières que l’on retiendra dans l’Histoire mais ce sont celles qui ont marqué la sienne.

Il y a ce sentiment de liberté et de promesse qu’elle ressentait dans le taxi qui la ramenait de la gare de Lyon à son petit studio.

Les quais défilaient alors sous ses yeux. Il y avait cette enseigne de bistro, un peu vieillie, complètement anodine. Pourtant à chaque fois qu’elle en parcourrait les lettres, elle ressentait un souffle nouveau et l’énergie de tout accomplir.

Il en va de ces villes que l’on choisit comme d’un couple. Elles deviennent le pilier sur lequel on se construit, le matériau qui nous donne la force.

Cette ville l’a choisie. Ensemble, elles ont construit pas à pas une histoire commune, celle qui deviendra sa vie.

Elle se souvient de ses années étudiantes. « Profite, ce sont les plus belles années de ta vie » lui disait son père. Paroles de vieux, pensait-elle. Elle est donc vieille.

Elle se souvient de son émoi lorsqu’elle a pris le métro qui la conduirait à son premier jour de travail.

Sa meilleure amie l’avait attendue à la sortie, une rose à la main. Ensemble, elles avaient trinqué à cette nouvelle étape franchie. La vie s’offrait à elles, elles étaient prêtes à y sauter à pieds joints.

Elle se souvint de ce théâtre où elle lui avait donné rendez-vous pour la première fois. Ils s’étaient retrouvés sous l’arche de Saint-Denis.

La pièce était nulle, elle n’avait plu à aucun d’eux. Du coin de l’œil, elle l’observait, angoissée. C’est elle qui avait choisi cette représentation, qu’allait-il en penser ? Heureusement, les bières posées devant eux avaient vite fait diversion. Ils avaient parlé à bâtons rompus.

En rentrant, la pluie s’était abattue. Les pavés devenaient plus glissants mais ils avaient couru, riant et gouttant, se réfugier dans une bouche de métro.

Ce dimanche les avaient menés à partager leur premier appartement dans le 18 ème arrondissement. Le samedi, il attrapait son caddy et il partait au marché de la rue Ordener. Ils aimaient se retrouver pour un café comptoir sur le retour.

C’est là qu’ils ramenèrent leur fils quelques années plus tard. Ils étaient à l’étroit mais heureux. Basile fit ses premiers pas dans un square au milieu de toute la gaité et l’agitation générale.

Basile a grandit. Ils déménagèrent, juste en dessous du parc des Buttes Chaumont. Ils aimaient y pique-niquer. Combien de fois ont-ils fait le tour du parc discutant de la semaine de chacun, Basile récitant même ses tables de multiplication avec fierté.

Puis Basile grandit encore. Il eut l’âge des premières sorties, elle des premières insomnies.

Elle ne comptait plus les soirées qu’il passait rue de la Montagne Sainte Geneviève.

Puis Basile décrocha, à son tour, son premier emploi.

Le 13 novembre 2015, Basile mangeait l’un des meilleurs Bo bun de Paris. Le temps était clément pour un mois de novembre, le Petit Cambodge avait installé quelques tables en terrasse. Basile et ses amis ne s’étaient pas fait prier.

Basile avait toute la vie devant lui. Il avait toute une histoire à écrire avec Paris et avec tant d’autres. D’aucuns en ont décidé autrement.

Les larmes lui brouillaient la vue.

Elle ne pouvait pas finir son éclair.

Pif paf pouf

Elle le jeta dans une poubelle.

Qu’avait-elle à observer maintenant ?

Par Puccini

Texte d’Adémar Créach

En chansons

Paris a plusieurs visages, trois en ce qui me concerne : celui de mes années d’étudiantes, celui de mes années de jeune adulte amoureuse et celui meurtri d’aujourd’hui. Une ville d’une telle taille ne peut être que multiples, se dévoiler peu à peu à chacun. Il faut bien l’avouer, l’argent, le statut social et l’endroit où vous habitez ont beaucoup d’impact sur l’image que vous retiendrez de Paris. Quelque part, c’est une chance et une richesse de connaître ces différentes facettes, qui correspondent pour moi à différentes périodes de ma vie.

L’insouciance

Je suis donc « montée » à Paris pour mes études. Longtemps, on m’a fait sentir que je n’étais pas d’ici. Comme dirait l’autre je ne suis pas parisienne, ça me gêne, ça me gêne. Il est difficile, même jeune, de se faire une place dans un telle capitale. Que de monde, que de bruit! Au début, j’allais le long des rues, comme un enfant perdu, j’étais seul, j’avais froid. Toi, Paris, tu m’as pris dans tes bras. Peu à peu, j’ai pu rencontrer d’autres étudiants, d’autres étudiantes, m’intégrer dans des groupes, pour rompre l’anonymat de cette grande ville. Mais, quand on est jeune, et fauchée, on trouve qu’ici tout est gris, ça s’appelle Paris ! Je n’irai pas jusqu’à dire que je côtoyais les bas-fonds, mais je savais que dans la salle du bar-tabac de la rue des Martyrs, y a toujours des filles la nuit qui attendent le jour en vendant des plaisirs. Je n’en étais pas là, j’allais à la fac, je prenais le métro, je me nourrissais de pâtes dans ma petite chambre de bonne, je faisais des petits boulots pour joindre les deux bouts.

Un jour, pour m’abriter d’une pluie battante, je trouvais refuge dans un café. Je m’installais au fond de la salle. J’attendais que le serveur daigne venir jusqu’à moi. Il n’eut pas le temps. Un grand blond installé à une table voisine me vit frigorifiée et héla le serveur indifférent pour m’offrir un chocolat chaud.

L’amour

C’est donc avec toi, que je découvris un autre Paris. Celui des amoureux. Tu m’as fait aimer ta ville. Nous nous levions tôt, juste pour pouvoir profiter des rues vides. C’était au printemps. Quand il est cinq heures Paris s’éveille, le café est dans les tasses, les banlieusards sont dans les gares. Tu le sais, j’aime Paris au mois de mai, lorsque le jour se lève, les rues sortant du rêve. Nous nous baladions, main dans la main, aux Champs Elysées, au soleil, sous la pluie, à midi ou à minuit. Les garçons de café, plus aimables que celui de notre rencontre, nous sifflaient en chantonnant que sous le ciel de Paris, marchent des amoureux. Quand on connaît, on sait que cela balance pas mal à Paris. Nous profitions de notre liberté de jeunes adultes pour parcourir les musées, aller au cinéma, s’étourdir dans les caveaux de St Germain-des-Prés. Nous faisions les touristes dans notre propre ville. Puisqu’elle était devenue nôtre. Ainsi que tous ses quartiers, les beaux, les grands, les populaires, les modestes….

            La peur.

Nous sommes devenus adultes, parents. Nous n’avons plus l’occasion de nous promener à l’aurore dans les beaux quartiers. Nous habitons Ménilmontant, où quand midi sonne, la vie s’éveille à nouveau, tout résonne, de mille échos. Rattrapés par le quotidien, par la vitesse de la vie à Paris, nous faisons au mieux pour nos enfants. Nous sommes pris par nos métiers respectifs, par les activités des plus petits, nous nous sommes oubliés dans la routine. Et ce n’est plus la beauté de Paris qui va nous rapprocher. Mais la peur. En novembre 2015, les loups sont entrés dans Paris, l’un par Issy, l’autre par Ivry. Nous ne connaissions personne au Bataclan, mais la peur pour nous et nos enfants est devenu omniprésente. Que faire ? Sinon continuer à se battre, à refuser l’inadmissible. Que l’on touche à la liberté et Paris se met en colère. Les attentats ont eu une seule conséquence positive : resserrer les liens, entre amis, entre parents, entre voisins. Une belle solidarité s’est développée, pour que Paris soit toujours la plus belle ville du monde, malgré l’obscurité profonde, son éclat ne peut être assombri. Paris sera toujours Paris. Aujourd’hui nous sommes beaucoup à pouvoir et vouloir chanter J’ai deux amours, mon pays et Paris.

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NB : Toutes les phrases en italique sont des paroles issues des chansons de Marie-Paule Belle, Enrico Macias, Doc Gynéco, Pigalle, Jacques Dutronc, Charles Aznavour, Joe Dassin, Edith Piaf, France Gall et Michel Berger, Charles Trénet, Serge Reggiani, Mireille Mathieu, Maurice Chevalier, Joséphine Baker. Merci à eux pour l’inspiration… même si je ne leur ai pas vraiment demandé l’autorisation !

Par Adémar Créach

Texte de Colette

Paul. A cette heure-ci, les touristes dorment encore. Seul, je gravis les marches qui me mènent chaque jour au palais. Je prends garde à chaque détail. Je veille à m’émerveiller de tout. Je savoure ma chance. Je vis mon rêve. La belle m’ouvre ses portes et m’enserre de ses bras raidis. Au cœur du métal, nombre de petites mains sont déjà à l’ouvrage. Au fil des étages, je me faufile dans les jupons de sa vaste robe et je glisse sur ses jambes glacées. Elle m’offre le luxe d’un tête à tête quotidien. Je grimpe et son corps tout entier se dévoile. Depuis six mois, j’ai quitté ma Bretagne pour élire domicile au sommet de sa couronne. De là haut, les lumières de la ville crépitent telles les papilles qui s’éveillent au contact des sucs qui les chatouillent. Arrivé dans le temple du goût, j’enfile mon habit au col ajusté. Fin prêt, je m’en vais faire connaissance avec mes invités du jour. Tel un couturier aiguisé, je m’apprête à leur tailler un habit sur mesure pour le défilé du déjeuner, à la hauteur de celle qui nous abrite.

Aloïs. Chemin Vert. Route de l’espoir. « Pied sous terre » du jour. Une de mes haltes préférées. Il est dix heures. La frénésie des travailleurs pressés a laissé place à la curiosité des touristes. J’ai appris à décrypter chaque flux de personnes. Je scrute leurs pas et croise leurs visages. Nombreux sont ceux qui m’évitent. Je baigne dans cette atmosphère chargée de destins hétéroclites. Je les invente pour eux après les avoir finement et délicatement observés. Je me plais à croire que j’ai raison. L’odeur synthétique des arômes artificiels de la croissanterie du coin de tunnel se mêle avec talent à celle de l’huile lourde du rail. Surprenant mélange, que seuls les nez nomades sont habilités à étudier. J’ai rejoins les sols de la RATP quand le comité de direction de mon entreprise m’a indiqué la porte. J’ai erré pendant des mois, entre falaises abruptes et limbes profondes. L’alcool m’a souvent réchauffé. Lorsque la nuit tombe, souvent, je change de station et dépense ma récolte du jour pour contenter un estomac vide habitué et un sang imbibé.

Rodolphe. Longtemps j’ai conservé cette boule dans le coin à gauche sur mon bureau. Petit, je me souviens l’y avoir déposée tel un trophée. Maman me l’avait rapportée d’une de ses formations. J’étais fasciné par ces petits flocons de plastique qui s’éparpillaient de toutes parts lorsque je secouais l’objet pour finalement revenir s’échouer sur le Sacré Cœur miniaturisé pour l’occasion. C’est avec un plaisir délicieux que je songe à ces moments. Aujourd’hui, j’ai le loisir d’aller flâner en haut de la bute quand j’en ai envie. Lorsque j’ai appris que j’étais accepté à Sciences Po’, c’est la première chose qui m’a traversé l’esprit ! Au cœur de la capitale, je déambule, je note, je photographie… Chaque image capturée fait écho à un souvenir…

Isis. Quel temps ! On n’a pas idée de ce que c’est un froid pareil ! Depuis que nous vivons ici, tout a changé. Le climat certes, mais bien plus. Chaque sortie nécessite une attention soutenue. Il me faut sans cesse être aux aguets. La vigilance doit être constante. Il suffit d’un passant un peu trop pressé (et ici c’est fréquent !) et je me retrouve la patte écrasée. J’aimerais bien les voir eux, à quatre pattes sous la pluie ! Et qu’on ne me parle pas de liberté ! Ici c’est port du collier obligatoire et laisse indispensable. Plus moyen d’aller renifler de-ci-delà. Les rues que je traverse sont vieilles et usées. Il me faut chaque soir soigner mes coussinets mouillés et fatigués. J’ai perdu la douce sensation de l’herbe qui les chatouillait jadis. Quant à mes congénères, ils sont rares. Ici on préfère les « mangeurs de souris » qui restent bien sagement assis dans les appartements. Heureusement, mes maîtres sont dingues de moi ! Ils m’emmènent partout et ne me laissent jamais. J’ai un rythme infernal, mais je m’adapte. J’essaie !

Solange. Je suis stressée. Ca fait tellement longtemps que j’attends ce moment. Je chante depuis l’enfance. La musique a toujours bercé ma vie. Ce soir, on m’a proposé de donner un concert dans un bar sympa du 11ème. Je connais bien le patron. Ici les gens vont et viennent _ boivent un verre. La salle baigne dans une lumière tamisée. L’ambiance est feutrée. Dehors les lampes réchauffent la terrasse. J’enfile mes collants bleus aux mille paillettes et noue mes souliers vernis. Je m’apprête à rejoindre la petite estrade faisant office de scène.

En une fraction de seconde tout a basculé. Les premières notes résonnent, j’avance lentement en murmurant la douce mélodie de « piensa en mi ». Puis le bruit assourdissant des tirs _ les corps qui s’affalent _ les cris _ la stupeur_ le monde tout entier qui s’effondre.

Et toujours, la bande son derrière « quand tu veux ôte-moi la vie. Elle ne sert à rien sans toi ».

Ils étaient quatre.

Ils ont tiré.

Ils étaient soixante-deux.

Ils sont morts.

Parce qu’ils étaient là, ce soir, dans ce café, dans la rue.

Je suis restée là, face à ce chien qui me regardait. Seul. Son maître allongé, la laisse dans la main.

Nous y étions. Paul, Aloïs, Rodolphe, Isis, Solange. Certains n’en sont pas revenus.

Par Colette

Proposition 06/2016

Bonsoir, 

Voilà, comme prévu, nous sommes dimanche soir et l’atelier prend fin. Les commentaires ont été clos sur l’ensemble des textes, mais vous gardez bien entendu la possibilité de les consulter. 

Merci pour votre participation à cet atelier !

 

Ecrire-en-ligne aborde l’été (du moins s’il accepte de se montrer réellement), et je vous proposerai dans les jours qui viennent le programme que je suis en train de concocter.

Les ateliers mensuels reprendront en septembre

Bonne fin de soirée et bonne continuation à vous tous!

Gaëlle

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Les hasards du calendrier font que ce mois-ci, je corrige mon prochain manuscrit pendant que je réfléchis à la proposition d’écriture que je vais vous soumettre… Alors il fallait s’y attendre: l’un déteint sur l’autre. Et puisqu’en fil rouge, je croise deux personnages dans les rues de Paris, je vous propose donc de nous parler vous aussi… de Paris.

Voilà, c’est dit, Paris, la ville, comme sujet d’écriture. Que ce soit un Paris aimé, détesté, méconnu, ou fantasmé. Un Paris actuel, médiéval, ou des Années Folles. Un Paris simple décor ou vrai acteur de votre texte: tout est possible. Brodez, enjolivez, ou soyez dans une sobriété parfaite: c’est vous qui choisissez.

Et puisque l’actualité, c’est que Paris est en partie sous les eaux, et que parfois, cela inspire les artistes, je vous soumets comme écho complémentaire cette belle photo d’un ami (http://www.desnoulez.fr)

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Bref, avec ou sans crue, laissez vagabonder votre imagination dans les rue d’un Paris réel ou imaginaire, installez-y votre histoire, et invitez nous à y déambuler avec vous!

Bonne écriture à tous!

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