Texte de Schiele

Il suffira de fermer les yeux.

De penser à l’après, à cette trajectoire du destin déviée par ma seule volonté.

Heureusement je n’ai jamais été une grande romantique.

La vie s’est chargée de m’endurcir et de m’apprendre à ne pas trop rêver.

Pourtant j’ai décidé d’infléchir l’inéluctable .

J’ai beau aimer la littérature, ce n’est pas elle qui me sauvera de la misère ambiante.

Business is business. Même en Roumanie on connait cette expression. Elle me va bien.

J’y pense depuis mes 15 ans. Après cet après midi où on avait pu regarder le DVD piraté de proposition indécente. Macha, quelle idéaliste, c’est pour ça qu’elle est mon amie, avait juré que jamais elle ne pourrait faire ça. Que l’amour, le vrai, supporte la pauvreté. Que son corps était trop précieux. Qu’elle avait une dignité et un honneur hors de prix.

Je n’ai jamais mangé de ce pain.

Maman me dit que j’ai toujours été terre à terre, même petite je ne m’embarrassais pas d’affect.

Mais malgré ma ténacité, comment espérer devenir plus et mieux qu’elle? Qui pourrait m’ouvrir les portes de grandes écoles? Comment rentrer dans le cercle des privilégiés dont les seuls soucis ne sont pas de remplir le frigo mais de choisir la bonne tenue pour la prochaine réception.

Pas mes bouquins en tous cas.

Je l’assume, je rêve de vie facile, de beau, de brillant. Pas de Lada et de potées quotidiennes.

Alors je prends ce droit sur mon corps.

Merci les réseaux sociaux, les enchères n’ont pas cessé d’augmenter depuis que j’ai mis l’annonce de ma virginité en ligne.

Je suis presque curieuse de savoir qui me la prendra. Enfin qui je vais délester d’un paquets de billets?

J’aurais mal. La belle affaire, même avec un Roméo désiré et choisi, je souffrirais.

Pourquoi sacraliser autant ce passage? Combien de filles l’ont fait ivre avec le premier profiteur qui passait par là et n’en gardent aucun souvenir. Combien ont offert ça à un beau parleur qui, une fois le plaisir obtenu, ne leur a plus jamais accordé aucune considération. Autant rentabiliser!

*****

Ma Cristina, mon bébé.

Elle n’a pas voulu me dire quand se passerait la transaction mais Macha n’a pas pu tenir sa langue. Je ne peux nommer ce qu’elle est en train de faire autrement que « transaction », sinon je laisserai un tourbillon sombre retourner mes tripes de maman. Et je lâcherais des larmes amères. Celles de notre impuissance à lui offrir l’espoir d’une plus jolie vie. Du constat désabusé que mêmes des études et un métier respectable ne nous sauvent pas des fins de mois à l’arraché, dans notre pays désolé. Peut être aurions nous du fuir mes arbres tant aimés de Marisel ? peut être aurions nous du tout recommencer, là où les rêves se réalisent.

De cela nous n’avons rien risqué, j’ai continué à enseigner avec ferveur Rousseau, Descartes et Pascal. Sans jamais envisager que son opiniâtreté et son pragmatisme lui ferait monnayer sa pureté une fois devenue majeure.

Elle n’a jamais été comme ses cousines, habillant leurs poupées, jouant à la dinette , minaudant et pleurnichant à la moindre contrariété. Non elle voulait toujours apprendre, comprendre, combattre. Ses colères noires face à l’injustice.

Je tente de chasser ces images où elle subit les assauts d’un type qui peut tout acheter.

Elle a pourtant tenté de me rassurer, inlassablement. Nous aurons une belle maison. Nous irons découvrir la France que je n’ai jamais connue autrement que dans mes ouvrages . J’ai si peur qu’elle ne le fasse d’abord que pour nous, ses piètres parents. Je voyais bien qu’elle avait honte de ses vêtements parfois rapiécés. Qu’elle refusait que je la dépose devant le lycée à cause de ma voiture hors d’âge. Je pensais que ça passerait, que ça se tasserait. Elle est bien trop fougueuse pour la médiocrité ma Cristina.

*****

On m’avait pourtant prévenu. Les fantasmes c’est toujours plus jouissif en rêve. Et ça retombe aussi sec quand on passe la seconde.

L’envie était pourtant trop forte : enchérir, surveiller la côte, la voir monter jour après jour. Penser se faire arracher sous le nez ma petite roumaine tant convoitée pour finir par l’emporter sur la dernière ligné droite. Ca m’a donné plus de plaisir que ce coït sans âme. Une vraie feuille morte. Ca m’a bien excité 5 minutes de tripoter son petit cul ferme et de la perforer en tirant sur sa crinière blonde mais il est loin le feu d’artifice que j’avais cru me payer. Elle ne s’est même pas donné la peine de simuler, pire qu’une escort de bas étage. Au final, je prends dix fois plus mon pied quand j’appuie sur le champignon de ma Porsche…

Par Schiele

0 0 votes
Évaluation de l'article
6 Commentaires
le plus ancien
le plus récent le plus populaire
Fil de retours
Voir tous les commentaires

Schiele nous propose ici un texte « choral », selon le terme consacré. Un texte à 3 voix, chacune donnant son avis (différent) sur le même évènement. C’est un texte assez noir je trouve, fort, où la voiture, pour le coup, n’est pas centrale, mais s’avère être un symbole parlant (oui, clairement, la Lada, ça n’est pas synonyme de grand luxe…). Les trois parties se distinguent je trouve par des tonalités de ressentis différentes : la détermination ; la peur et la tristesse ; un cynisme claquant. L’ensemble forme un texte très en relief, du coup, que l’on se prend un peu « dans la face », qui aborde frontalement un sujet délicat, et qui fait ça plutôt bien, je trouve.

Je me demande, Schiele, si à la manière d’autres textes de ce mois-ci, il ne faudrait pas que ton texte « boucle » en revenant à la jeune fille à la fin. Finalement, c’est elle le chef d’orchestre de ton histoire, et pourtant on ne sait pas au bout du compte comment elle l’a vécu, si l’objectif est atteint pour elle ou si finalement elle a été plus atteinte par tout ça qu’elle ne l’aurait voulu. Il ne s’agirait sans doute pas de repartir dans un long paragraphe, mais juste de claquer 2 ou 3 phrases bien pensées pour que l’on sache si le fait qu’elle soit une « vraie feuille morte » était un calcul de sa part (bien fait pour lui) ou si c’était parce que finalement, elle regrettait, par exemple.
Par ailleurs, dans la mesure où tu as trois personnages, trois « je » différents, tu pourrais je pense travailler encore davantage sur une langue propre à chacun, pour mieux les différencier. Mais il me semble que c’est une remarque que je t’ai déjà faite sur d’autres textes, tu vas finir par croire que c’est une marotte (ce qui est, je l’avoue assez vrai… Je pense que des « je » différents, lorsqu’ils renvoient à des personnages très différents, doivent parler différemment. Ça donne d’emblée une épaisseur et une cohérence inimitable à une narration 🙂 ).

Bonjour Schiele, ton texte m’a intriguée et ce réalisme « noir » m’a fait redescendre de mon petit nuage !! Bravo… J’ai dû reprendre cependant deux fois la lecture car en effet les pointillés séparent les voix mais il est vrai que des tons différents, un jargon propre à la jeune fille, encore plus de cynisme chez elle ou encore plus de mépris chez le type, un phrasé plus émotif chez la mère éventuellement faciliteraient la compréhension … et donneraient davantage de mordant et d’acuité à ton travail… Merci pour ton texte qui ouvre des horizons car moi, vois-tu , je suis en mal d’inspiration depuis quelques années !!!

texte à 3 voix et 3 voies finalement, 3 destins qui se croisent, 3 façons très différentes d’aborder des choix de vie, sans jugement, c’est vraiment bien mené. Effectivement, tu pourrais différencier plus les styles des 3, mais légèrement alors, pour ne pas tomber dans une caricature qui pourrait vite poindre son nez. J’aime bien cette version en fait, je crois.

merci Ann Et Patchwork
En effet Gaëlle, je m’attendais à ce conseil. Comme dit Anne, c’est pas évident de différencier sans trop forcer le trait, j’ai quelques idées cependant. Et why not pour boucler avec la fille mais je crois que j’ai plutôt envie , quand la thématique m’en donnera l’occasion, de poursuivre sur un autre atelier pour faire parler Cristina. Je me rends compte que plusieurs de mes personnages re toquent souvent à la porte, pour que je les fasse continuer …

Ce que dit Ann est très juste, il ne s’agit pas de « forcer » le trait, et il faut se méfier de ça, juste de le différencier. ça peut tenir à peu de choses (des phrases courtes/des phrases longues, par exemple), et bien évidemment, le but n’est pas de caricaturer. Mais c’est vraiment un exercice intéressant que de ne pas écrire « tout le monde pareil », je persiste 😉 (et c’est aussi une bonne façon d’élargir petit à petit le spectre de l’écriture). C’est une bonne idée, Schiele, de laisser Christina pas trop loin des ateliers. C’est un personnage qui pourrait revenir nous dire des trucs, en effet 🙂

Bon ben moi aussi je vais redire encore la même chose : j’ai adoré ton texte Schiele, ce sujet si complexe (et original !) que tu abordes avec beaucoup de pudeur, j’ai presque envie de dire de la douceur, sans pathos. Le cynisme et le courage de Christina sont marquants, tout comme l’impuissance de cette mère et la froideur de l’homme. Retrouver Cristina dans un autre atelier : chouette ! Je pense que la piste de Gaëlle est intéressante et j’ai l’impression que, tu le fais déjà : un style simple et direct pour Cristina, un peu plus recherché pour la mère et grossier pour l’homme. En accentuant juste un peu le trait pour chacun (notamment avec le style gouailleur que tu manies bien pour l’homme) ce serait parfait :-)! You can do it ;-)!