Ateliers d’écriture créative, de fictions, animés par Francis Mizio

Catégorie : CatNov2015

Texte de Groux

Un soir de décembre, le vent et la neige se mêlent. Elle se dépêche de rentrer chez elle. Elle remonte le col de son manteau contre elle. Ses longs cheveux flottent au vent et s’emmêlent en une danse sans fin.

Enfin, elle pousse la porte de sa maison. La douce chaleur de l’intérieur l’envahit et la réconforte.

Ce soir, elle est seule chez elle. Cela faisait longtemps que ça ne lui était pas arrivé. Son mari est à un séminaire et ses enfants sont chez ses parents.

Elle se love dans son canapé, le plaid sur ses jambes, une tasse de thé aux épices de Noël dans la main. Son regard est happé par les flammes qui dansent dans l’âtre.

Elle se sent bien, elle se laisse bercer par le crépitement de la cheminée. Son esprit vagabonde, elle repense aux gens qu’elle aime, ceux qui sont toujours là, ceux qui sont malheureusement partis trop tôt.

Un désir nostalgique l’envahit et elle part chercher ce qu’elle appelle sa malle aux trésors. A l’intérieur de ce vieux coffre en bois, tout ce qui lui est cher, tout un tas de souvenirs mélangés dans un joli fouillis. Des dessins, des cartes postales, des coquillages et un peu de sable, quelques bijoux, son premier rouge à lèvres. La liste est longue de ce qu’elle a amassé au cours de ces années.

Et, tout au fond, une vieille pochette en cuir qui renferme plusieurs photos jaunies par le temps.

Elle les regarde tendrement une à une, se remémorant les instants passés et le bonheur ressenti. Elle tombe soudain sur une photo de ses grands-parents. Ils sont assis sur un banc, dans un parc aux couleurs d’automne. Leurs doigts sont entrelacés et ils se sourient tendrement.

Elle se rappelle de cette journée. Une des dernières qu’elle avait passée en leur compagnie. A tour de rôle, elle leur avait tenu la main pour les aider à marcher. Et surtout, pour le plaisir du contact avec eux. Cette sensation d’être tenue et de compter pour quelqu’un.

Son regard se pose alors sur leurs mains.

Elle se rappelle les mains de sa grand-mère, si douces. Ces mains qui caressaient, ces mains qui rassuraient. Ces mains qui lui préparaient de si bons gâteaux. Ces mains qui lui tricotaient de jolies écharpes colorées. Ces mains qui l’aident à habiller ses poupées. Ces mains qui quelquefois la punissaient mais ne pouvaient jamais s’empêcher de venir la câliner.

Elle repense aux mains de son grand-père. De grandes mains, des mains avec des callosités. Des mains qui disaient le travail de la terre. Des mains qui la tenaient pour l’emmener en balade, qui la soulevaient de terre pour qu’elle ramasse les cerises. Des mains qui la portaient et la faisaient tournoyer quand elle était enfant. Des mains qui la tenaient lorsqu’elle apprenait à faire du vélo. Des mains qui sculptaient l’argile et lui inventaient de jolis pots qu’elle rapportait à sa mère.

Leurs mains sont nouées, elles disent tout l’amour qu’ils ont l’un pour l’autre. Elles montrent la tendresse, les années passées ensemble. Elles racontent une famille, un foyer. Elles rappellent aussi les épreuves traversées. Les moments où ils ont eu envie de tout lâcher et de se lâcher la main. Mais elles respirent la force et tout une vie côte à côte.

Elle regarde alors ses mains à elle. Qu’ont-elles construit ? Que racontent-elles ?

Ses mains sont fines, soignées. Manucurées. De jolies bagues ornent certains de ses doigts.

Puis une cicatrice est là pour lui rappeler qu’elle aussi a vécu. Cette brûlure lui rappelle le gâteau qu’elle a préparé pour sa fille. Cette ampoule raconte les jeux dans le jardin et les chasses au trésor faites avec son fils.

Ses mains ont caressé le front de ses enfants lorsqu’ils étaient malades. Ses mains les ont retenus lorsqu’ils se mettaient en danger.

Elle pense aux mains de sa fille. De jolies mains aux doigts très fins. Des mains pour jouer du piano. Il faudra qu’elle lui dise qu’elle est vraiment douée pour ça.

Celles de son fils lui rappellent celles de son grand-père. Ce sont des mains qui bricolent, des mains qui créent. Demain, elle fera de la poterie avec lui.

Enfin, elle pense aux mains de son mari. Ces mains qui l’ont soutenue. Ces mains qui l’ont caressée. Ces doigts qui se nouent aux siens. Ces mains qui se posent sur elle lorsqu’elle ne va pas bien, qu’aucune parole n’a à être prononcée. Ces mains qui quelquefois se font tempête mais qui jamais ne l’abandonnent.

Une vague d’amour l’envahit.

Demain, quand ils rentreront, elle leur demandera qu’ils mettent tous leurs mains ensemble, nouées, entrelacées. Et elle fera une photo…

Par Groux

Texte de Schiele

Boum,

Boumboum,

Boum.

Les mains vissées sur sa vodka red bull, Mèl se fraie un chemin sur le dance floor. Direction le DJ, pour se planter bien en face. Un samedi soir sur la terre dans un club branché, elle va pouvoir se prendre du son plein la tête et les oreilles toute la nuit. Au milieu de la faune nocturne parisienne, elle veut s’oublier dans les rythmes binaires de l’électro., Rien ne comptera plus que les fameux beats par minute, ces BPM assourdissants qui feront vibrer ses tympans , même une fois la fête finie , des heures durant. Pendant ces heures de danse, Mèl ne pensera plus, elle n’aura qu’à se laisser entraîner dans le tourbillon des montées tribales. Il n’y a que là et comme ça qu’elle y parvient.

Pour ça, toujours le même plan. La soirée commence en groupe autour de coupes de champagne. On se retrouve entre bons représentants du parisianisme : un gay, la trentenaire starfuckeuse incapable de se caser, le loup du marketing qui n’aime que faire du chiffre et un bobo qui a quitté la banque pour ouvrir son resto bio. L’apéro s’ agrémente vite d’un coup pouce chimique : traces de coke, aux toilettes. Tellement cliché, mais tellement courant.

Le même rituel, on rentre à 2 ou 3, comme des ados, ricanant de braver les limites. On sort la poudre, une CB pour tracer de belles lignes, on roule un bifton à la va vite, et c’est parti pour autant de petits flashs que de snifs. Effet rapide et immédiat.

On est vif, tout est encore sous contrôle. On  se sent intelligent, dissert, les idées fusent. Avant que ça redescende, on y retourne. Et on y retourne. Une fois qu’on a fait le tour de tous les ragots, autres vanités et platitudes, on court se réfugier dans la pénombre de la boite pour se perdre dans la foule anonyme des hipsters. Bien évidemment, on n’aura pas fait la queue au milieu de la plèbe, on connait le videur, on lui claque même la bise. On n’est pas n’importe quelle pouf.

Devant sa cabine, le poing en l’air, rageur, qui bat la mesure, Mèl observe le chef de cérémonie. Celui qui en manipulant ses vinyles fait l’amour aux clubbeurs. Celui qui en variant les rythmes, les tiendra en haleine, fera se mouvoir leurs corps selon le tempo qu’il voudra bien donner à ses disques. Il est courbé, concentré sur ses machines. Elle ne voit que sa nuque et ses mains, qui triturent les boutons des platines.

Et maintenant elle attend sa montée de MDMA pour vibrer encore plus fort, partir encore plus loin.

Elle bloque sur ces mains qui détiennent le pouvoir de sa transe.

Il accélère la cadence, ses bras et ses jambes suivent. Sa tête avec. La drogue monte, la connecte davantage encore à la musique. Elle fait corps avec , sa pensée s’en mêle et s’emmêle .

Les mains du Dj, son poing.

Le tempo se hâte encore, les basses tambourinent jusque dans ses tripes. C’est tout son corps qui oscille en bloc, par saccades. Une fraction de secondes, le doigt expert interrompt la musique. Tous sont suspendus, et , brutalement, comme un coup de rein, ça repart plus fort, plus vite encore.

Comme prise par une décharge électrique, Mel bascule et reprend sa danse, les yeux plongés sur ces mains qui jouent si habilement avec son plaisir. Calquées sur les flashs des stroboscopes qui accélèrent , ses pensées, boostées par la chimie qui opère, défilent à la vitesse de l’éclair. Elle voit, avant de vite les repousser, les mains noueuses et terreuses de sa grand mère qui épluchent les pommes de terre.

Ses bras se dressent en l’air, accompagnent l’envolée effrénées des BPM.

Elle tente de les chasser, mais les images réquisitionnent son espace mental.

Telles les pages d’un catalogue feuilletées frénétiquement, surgissent les mains de sa mère qui lui massent son ventre de fillette angoissée, celles perdues de son amour qui lui caressent la joue, la paluche carrée et massive de son père qui la gifle, les menottes de sa poupée qui grandit trop vite. Trop de pensées.

Une grosse gorgée de vodka, puis une autre, et enfin le verre cul sec chassent enfin ce flot et aide son cerveau à revenir à un mode reptilien. La danse reprend de plus belle, et enfin Mel, les yeux mi clos n’est plus qu’un corps en mouvement, dans le présent total de son mouvement. Elle a débranché. Le temps n’existe plus.

Boum boumboum boum.

Retour à la réalité, brutal.

Le son s’arrête, en plein milieu d’une boucle énorme.

Les lumières se rallument.

La nausée monte.

Mèl, la main devant la bouche, se retient de vomir.

Combien de temps s’est il passé?

Peu importe.

Il est l’heure de rentrer.

Par Schiele

Texte de Laurent

Les habitués du Hijack le savent quand ils voient Ricardo manipuler ses pièces d’échecs de cette façon c’est qu’il est en confiance. Ricardo est la vedette du Hijack, un bistrot de la rue Balzac. Le patron s’est pris de tendresse pour les joueurs d’échecs. Au début, cela lui faisait peur ces hommes fascinés par les 64 cases de l’échiquier qui parlaient et consommaient tout aussi peu. Mais ils remplissaient les après-midi souvent désertes avant l’arrivée des lycéens.
Ricardo est la star incontestée du bar, il faut voir ses mains virevolter au dessus de l’échiquier dans les parties blitz de 5 minutes, un virtuose dans la saisie des pièces qu’il joue à la vitesse de l’éclair sans les faire tomber. Aujourd’hui, il affronte depuis une heure un jeune qui veut en découdre. C’est un espoir du club officiel de la ville, qui travaille avec un ordinateur et des bases de données de millions de parties. Face à Ricardo ce n’est pas suffisant, celui-ci joue à l’instinct, il ne cherche pas le meilleur coup mais le coup qui embête, si on ajoute la parole pour commenter les coups, ce qui est interdit en compétition officielle, la déstabilisation est totale. Le jeune rentre chez lui sur un cinglant 8-2… Les supporters de Ricardo ne cachent pas leur contentement, leur champion vient une nouvelle fois de triompher.
Ricardo s’appelle en fait Jacky, il fut un très bon joueur jeune. Les chemins de traverse de la vie l’ont éloigné peu à peu du jeu. Chômage, divorce, puis la descente vers l’alcool, son surnom vient de sa passion pour un apéritif bien connu. C’est toujours mieux que Guignolo si c’était le guignolet….
Au Hijack, il attend le client. Mise a un euro, tout pour le gagnant, et on double en cas de partie nulle. Dans les bons jours il peut gagner 40 euros, suffisant pour vivre avec le RSA. Son niveau de jeu étonne. Il accroche des forts joueurs de passage sûrs de pouvoir battre ce joueur de café mais repartent avec quelques dizaines d’euros en moins. Parfois, il joue le « client », quand il sent l’arrogant venu étaler sa science du jeu, il le laisse gagner, maintient un équilibre légérement en sa défaveur et quand la mise devient conséquente il broie son adversaire. Hélas, ce genre de client devient rare.
Ce vendredi pourtant est différent. Il va affronter un fort joueur, toute la ville en parle, on lui a dit. D’habitude, Ricardo est serein quant à ce genre d’annonce, ce ne sera pas le premier à vouloir son heure de gloire. Son intuition lui disait de se méfier.
La rencontre est prévue pour 21 heures. A 20h45, l’arrière salle du Hijack est comble, l’affiche a attiré les passionnés. Ricardo est assis. Il attend. A 20h59, l’étranger arrive. Ricardo le juge. 40 ans, les sourcils épais sur un front large, un rictus lui donne un air suffisant. Il est grand, ses épaules sont larges. Il est vétu d’un épais pardessus noir. Le regard est perçant. Il va droit sur la chaise et s’assoit face à Ricardo. Il est décidé que les parties se joueront à 10 euros. Il est rare que Ricardo accepte cette somme. La première partie commence. Au grand étonnement de l’assemblée, Ricardo s’impose facilement, pourtant l’étranger semble avoir un bon niveau, il est à l’aise avec les pièces, ses mains posent les pièces avec assurance sur les cases. Certes son coup de cavalier a étonné, certains y ont vu une habile manœuvre de contournement mais Ricardo a démontré très vite que ce n’était pas bon et a remporté la partie rapidement, les victoires s’enchaînent pour Ricardo. Après cinq parties toutes perdues. L’étranger sort une liasse, il y a 1000 euros. Nous y voilà pense Ricardo, je suis le « client » ! L’assistance le regarde. Il a déjà gagné 50 euros, son chiffre habituel. Mais 1000 euros ! Il analyse les précédentes parties, son adversaire a joué faiblement, sans doute trop, il y a anguille sous roche, forcément. Peut-il décevoir l’assistance en refusant le combat ? L’étranger le fixe. Il y a longtemps qu’il n’a pas eu à prendre de décision autre qu’une routine huilé. Il plonge dans une réflexion sous le regard fixe de l’étranger. Ses mains sont moites. Puis il se décide, il va accepter. Il réajuste sa position sur la chaise et tend la main droite pour accepter l’offre. A ce moment dans un fracas, cinq hommes dont deux en blouses blanches débarquent et embarquent l’étranger sous les regards interloqués. L’une des deux blouses blanches explique que l’étranger s’appelle Manuel et qu’il s’est échappé d’un hopital psychiatrique il y a une semaine, un fou en quelque sorte.

Par Laurent

Texte d’Ariane

Elles se lèvent le matin, préparent le petit-déjeuner, portent la cuillère à la bouche, lavent les dents et le corps, tiennent le sèche-cheveux puis la brosse, enfilent un pull. Elles tournent la clé dans la serrure, conduisent la voiture, tapent à l’ordinateur, serrent d’autres mains, rangent des papiers, écrivent puis font la cuisine quand, le soir, il rentre chez lui, ce jeune ingénieur.

Elles se sont glissées sur l’accoudoir d’un cinéma, fébriles, espérant toucher enfin cette autre main si belle. Plus tard, elles l’ont serrée, bien fort pour ne pas la perdre, chaudement l’hiver et délicatement l’été. Elles ont essayé à leurs petits doigts de multiples bagues pour choisir celle à la hauteur de la main-belle. Elles ont tenu l’heureuse élue quand il tremblait d’émotions d’offrir sa plus grande preuve d’amour, ce jeune fiancé.

Elles étaient moites quand elles ont touché pour la première fois la petite Hannah, déjà si belle, si douce. Elles ont brossé d’autres cheveux que les siens, ont appris à changer des couches, à porter des cuillères dans d’autres bouches, à tâtonner dans le noir quand il était réveillé par des pleurs. Elles se sont mises à raser sa barbe pour mieux câliner et l’ont aidé à dissimuler sa bouche quand il baillait, ce jeune papa travailleur.

Elles se sont faites mouchoirs pour essuyer les larmes de sa belle qui s’inquiétait. Elles ont enfoncé leurs ongles dans leurs paumes pour ne pas taper du poing sur des bureaux de pédopsychiatres accusateurs, de médecins au serment d’Hypocrite. Elles ont chiffonné des papiers sur lesquels était écrit « Trouble Envahissant du Développement trouvant son origine dans une piètre qualité de la relation précoce parents-enfant ». Elles se sont cognées quand il trouvait que la vie était trop dure, ce jeune papa en colère.

Elles ont passé des appels téléphoniques, parcouru les sites médicaux, ont appelé au secours sur des forums, ont croisé leurs doigts. Elles ont été apaisantes et rassurantes quand il tenait la main-belle dans de nombreuses salles d’attente, toujours trop impersonnelles. Elles se sont mises à tapoter, à se tordre, à se triturer, se sont senties impuissantes et inutiles quand ils attendaient les résultats des examens génétiques. Et elles ont continué à bercer la petite Hannah quand il a dû arrêter de travailler, ce jeune papa soucieux.

Elles ont essayé d’imiter celles de sa fille qui, sans cesse, s’agitent, tournent et retournent, se tapent, tournicotent, se frottent l’une à l’autre, sans repos. C’est cette image qui dansait dans ses yeux embués quand il a ouvert son courrier, ce jour-là. Ces mains qui ne serviront pas à porter une cuillère à une bouche, à tenir un crayon, à laver un corps ; ces mains qui ne tiendront jamais la main d’un garçon car elles sont trop occupées à tournoyer en vain. Ces mains devenues calleuses à force d’être manipulées par leur jumelle. Elles se sont transformées en volets pour cacher ses yeux rouges quand sa femme se réveillait et qu’il la consolait, ce jeune papa d’une fille Rett.

Elles se lèvent le matin, préparent le petit-déjeuner, portent la cuillère à la bouche, tiennent la brosse à dents, coiffent des cheveux en bataille, enfilent un pull. Elles tournent la clé dans la serrure, conduisent la voiture qui les amène dans de nouvelles salles d’attente, davantage chaleureuses, davantage choisies. Elles serrent d’autres mains, sortent la carte vitale, applaudissent les progrès de la petite Hannah, la rattrapent quand elle trébuche. Puis, elles changent des couches, lavent un petit corps, caressent et se reposent enfin, quand il a terminé sa journée, ce jeune papa au foyer.

Elles sont devenues rugueuses, ces mains d’ex-ingénieur qui retapent maintenant des maisons pour prendre soin de sa fille et de ses mains qui tournoient. Elles se sont réfugiées dans d’autres mains quand elles étaient déboussolées ; elles se sont endurcies. Elles ont accompagné la main-belle et, ensemble, elles en ont soutenu d’autres, les ont guidées doigt à doigt. Elles se sont surprises à se joindre en des prières muettes pour que la petite Hannah prononce enfin un mot et continue à pouvoir marcher, à rire. Pour qu’à quatre mains, ils gardent la force de veiller sur ses deux mains calleuses.

Par Ariane

Texte de Colette

Bip… bip… bip… vous avez un message.

Zut, encore raté ! En même temps, ils sont bien gentils les gens ! Ils m’appellent au milieu de l’après-midi ! Mais qu’est-ce qu’ils croient ?! Je bosse moi ! C’est monsieur Martin qui est sur la table. Je l’aime bien monsieur Martin. Il a fait partie de mes premiers patients… Il y a dix ans de ça, j’étais jeune diplômée. Difficile de débarquer dans ce petit village d’Eure et Loire, reprendre la patientèle d’un docteur apprécié. Il m’est arrivé de douter à l’époque. Grâce à monsieur Martin et à d’autres habitants, j’ai réussi à me faire accepter. Il a fallu du temps, de l’écoute, de la douceur et énormément de patience.

C’était il y a longtemps…

Je renouvelle l’ordonnance de monsieur Martin, lui prescrit de surtout « prendre soin de lui » et le raccompagne. « Au revoir ma petite Marie. Vous savez, sans vous… Vous avez vraiment le cœur sur la main… » Nous échangeons un sourire et je file vite sans regarder « l’état » de la salle d’attente ; puisqu’évidemment, je suis en retard, comme d’habitude !

J’attrape mon téléphone enfoui sous l’amoncellement de paperasse. C’était Sacha. Comme chaque année, il avait lancé la machine. C’est mon tour.

« Non les gars, M…. ! C’est toujours moi qui m’y colle ! » J’en ai marre de tout ce boulot. Je passe ma vie au poste et maintenant, en plus des vols à main armée, je dois aussi gérer les mains courantes.

Café noir, cigarette. J’ouvre la fenêtre à la recherche d’air « plus pur »… L’hiver arrive. Ca pique. La journée d’hier a été dure. Un viol, deux agressions et une filature. Je revois ces visages, témoins d’une société en perdition. Quand j’ai commencé, j’avais la foi, j’y croyais dur comme fer. Animé d’une flamme que je peine à rallumer, j’étais convaincu que chaque individu en valait la peine. Aujourd’hui, je croise mon regard dans le miroir… Je suis moche. Fatigué. Triste et presque vieux.

Soudain, une voix me sort de mon marasme : «  Antoine ça sonne là ! » Je reviens à la réalité en une demi-seconde. J’écrase mon mégot. « Antoine, c’est Marie… » Sa voix était douce. L’entendre éloignait mes idées noires. Elle me rappelait mes grandes années. Elle me ramenait aux sources. A la source. La conversation ne dura pas. J’entendis son sourire lorsqu’elle me dit au revoir. Maintenant, c’est mon tour.

Je la regarde. Je pourrai passer ma vie à la regarder. A contempler ses mains. A observer chaque mouvement de ses doigts. Ils sont animés de grâce. Elle effleure les blanches et les noires comme le sol glisse au début de la portée. Ses ongles vernis sont comme un clavier qui danse. Les notes s’envolent dans une chorégraphie précise et parfaitement réalisée. L’harmonie est telle que la mélodie semble improvisée par un génie. Elle seule a le pouvoir de me transporter ainsi. La musique me soulève. Immobile, je danse. Elle avait été mon élève. Très vite, j’avais compris qu’elle était portée par la délicatesse de la musique. Très vite, j’avais senti quelque chose de fort. Une sorte de merveille à laquelle un homme ne peut résister. Les effluves de ses harmonies m’ont conquis tout entier. La beauté de son corps m’a envouté. Aujourd’hui, notre vie se joue chaque jour comme un soir de première. Nous traversons le monde sur du Mozart. Aujourd’hui, nous avançons l’un sous la baguette de l’autre. Nous sommes chefs de notre partition de vie. Nous inventons ensemble le concerto de notre existence commune. Dans quelques minutes, je la rejoindrai sur le banc pour notre « quatre mains ».

Je sens une vibration dans ma poche. Qui pour perturber cet instant ? Le nom d’Antoine s’affiche sur l’écran. Je passe vite la porte du sas pour décrocher. Les flocons volent et s’évanouissent au contact de la nuit qui tombe. C’est mon tour.

Les gouttes d’eau bouillantes viennent piquer mes épaules. Mon corps s’autorise à profiter de cet instant. Ma main droite vient lentement caresser mes cheveux. La buée envahit la pièce. Je souffle sur cette fumée rassérénante. Je dessine les contours abrupts de cette vie pointue. Je m’accomplis dans l’oxymore auquel j’assiste avec délectation. La femme froide et cassante baisse les armes devant la chaleur et la douceur du moment. C’est bref. C’est intense. Mes yeux se ferment. La nuit a été courte. Rentrée à 4h. Je n’ai pas fermé l’œil. Je vis à Londres depuis deux ans maintenant. En réalité, j’hiberne dans un sous-marin revêtu d’écrans. Les chiffres ne cessent de défiler. Je ne perds jamais le fil et garde toujours un œil sur le cours. A n’importe quelle heure. N’importe où. J’obéis aux fluctuations et j’agis en fonction. C’est moi qui donne les ordres. J’ouvre un œil et songe à ce qui m’attend. Je m’apprête à enfiler mes gants de velours noirs. L’hiver a déjà commencé. Les mains de fer sont précieuses…

C’est mon vieux blackberry français qui me sort de mes pensées. Je réponds. La voix de Nico nage dans un océan de notes de piano… C’est mon tour.

Je m’appelle Sacha. J’ai trente-huit ans. Je dirige le foyer de la « main tendue ». Je suis leur dénominateur commun. Le plus ancien c’est moi. Je suis arrivé ici il y a vingt-cinq ans, après avoir erré de familles d’accueil en foyers de l’état. Ici, j’ai trouvé des repères. J’ai grandi. Et surtout, je les ai rencontrés. Nous sommes tous arrivés la même année. Un soir de décembre, nous nous sommes promis de toujours rester liés comme les cinq doigts de la main. Chacun peut compter sur celui qui le suit. Tous peuvent compter sur chacun. Chaque année, à l’approche de Noël, notre téléphone arabe se met en marche pour organiser nos retrouvailles. A cinq. Comme avant.

« Sachaaaa, téléphone pour toi ! » Je décroche. C’était Iris. C’est bon. Le tour est terminé. La machine a bien fonctionné. Nous serons bientôt là. Ensemble. Comme avant.

Par Colette

Texte de Nolwenn

Les mains de Mamie-Rose

Elles reposent sur la couverture à carreaux rouges et bleus. Sans bouger. Elles sont maigres et ridées. Les veines qui les parcourent saillent, bleues. Les articulations ressortent, pointues. Les ongles sont courts et propres.

Ma grand-mère, Mamie-Rose, dort. Dans son lit médicalisé, à la maison de retraite. Je n’aime pas ça. Je n’ai jamais vu Mamie-Rose malade. Depuis quelques mois, elle est là, avec un cancer, plus faible de jour en jour. Amaigrie. Ses mains que j’aimais tant ne sont plus que l’ombre d’elles-mêmes. Aujourd’hui elles ne font plus rien. Elles ne sont qu’un membre de son corps comme un autre. Pourtant, avec son sourire, ce sont ses mains que je préfère. Sans elles, Mamie-Rose serait autre.

Avant son cancer, sa main droite s’accrochait fermement à une canne en bois. Qu’elle perdait régulièrement près d’un placard de la cuisine, à côté du râteau. Ou qui tombait lorsqu’elle s’endormait devant la télé, la réveillant alors en sursaut. La gauche passait souvent sous mon bras pour aller se promener dehors.

Avant sa canne, ses mains passaient plusieurs heures par jour à couper, désherber, tailler, retourner, planter… Avec ou sans gants mais elles finissaient toujours sales. J’ai souvent vu Mamie-Rose se curer les ongles pour enlever la terre accrochée dessous. C’est grâce à de nombreux étés chez elle que j’aime avoir les mains griffées, piquées par la cueillette de mûres.

Avant qu’elles ne réduisent un potager trop grand, ses mains récoltaient tomates, poireaux, raisins, pommes de terre et transformaient le tout dans la cuisine. Ce que je préférais c’était les gâteaux. Elles pétrissaient énergiquement la pâte avant de l’étaler avec un grand rouleau à pâtisserie pour en faire une tarte à la rhubarbe, une tarte de Lintz ou une galette coup de poing.

Avant qu’elles ne sachent plus cuisiner pour douze, ses mains peignaient. Elles ont toujours peint, avec de jolis pinceaux. D’abord des natures mortes, puis des gens et enfin des icônes. Le trait était précis, sûr. Les tableaux ornent les murs de toutes les maisons de la famille.

Avant que les tremblements ne leur fasse abandonner la peinture, ses mains ont touché à tous les travaux manuels. Les maquettes, les origami, la couture, la broderie, les mobiles. Je n’ai jamais été très douée pour tout ça, trop impatiente, pas assez minutieuse. Mais j’aimais regarder Mamie-Rose couper, plier, tricoter. Ses mains allaient tellement vite avec les aiguilles !

Avant que ses mains ne délaissent les origami car les petits-enfants devenaient ado, elles jouaient aux dames chinoises. De belles billes rondes en verre de différentes couleurs qui me faisaient paraître ses mains très longilignes et anguleuses. Son pouce et son index droits attrapaient la bille, la laissait en l’air le temps de la réflexion et rapidement faisaient le chemin jusqu’au nouvel emplacement.

Avant les dames chinoises, les mains de Mamie-Rose se posaient sur mes deux joues, elle souriait et me disait « Donne-moi un baiser. » Elles ont bercé tendrement 21 petits-enfants, puis enlacé des bébés devenus enfants puis serré les mains des amoureux(ses) qu’elle rencontrait pour la première fois.

Avant de devenir grand-mère, ses mains ont tendu des mouchoirs à des couples en difficulté. Elles ont souvent repositionné l’écharpe de maire qui s’envolait. Elles ont élevé 7 enfants. Elles ont aimé mon grand-père.

Avant de reposer sur cette couverture à carreaux rouges et bleus, les mains de Mamie-Rose ont surtout aimé. Les autres et la vie. Aujourd’hui, je n’ose plus les prendre dans les miennes. Elles me font peur. Elles sont vieilles, abîmées et ne veulent plus s’activer. Je le comprend, elles ont tant fait. Mais je ne veux pas que ses mains disparaissent, qu’elles ne peignent plus, qu’elles ne jardinent plus, qu’elles ne bercent plus. Qu’elles ne m’aiment plus.

Par Nolwenn

Texte de Pink lady

Je me souviens des mains de ma mère.

Sûrement parce qu’elles m’ont longtemps manqué.

Elle avait cette manie de les tenir fermées, avec le poignet en flexion vers l’intérieur, comme pour se protéger.

Elle n’avait pas de jolies mains, elles étaient rêches, sèches à cause de son travail dehors.

Ca m’agaçait, je trouvais ça moche, pas classe…l’intransigeance de l’adolescence.

Ma mère n’était pas très «tactile» ni très tendre, elle ne pouvait sans doute pas donner au delà de ce que sa propre vie lui apportait…les fameux vases communicants.

Pourtant je me souviens de sa douceur lorsque j’étais jeune. Elle chantait, souvent, riait…et puis, elle me grattait le dos. Lorsque je la voyais assise, inoccupée, j’allais m’allonger sur ses genoux et lui réclamais:»maman tu peux gratter mon dos s’il te plait». J’adorais ça.

Plus je grandissais, plus elle semblait s’éloigner; s’éloigner du lien, de la tendresse… Je pouvais aller contre elle pour demander du réconfort, elle restait de marbre.

Idem plus tard encore lorsqu’elle venait me chercher à la gare lors d’un de mes retours «pour le we»; je montais dans la voiture, elle se plaignait de la circulation, ne m’embrassait pas.

J’ai essayé, de me lier à elle, comme je l’aurais aimé moi, comme j’en avais besoin. Ce fut en vain.

Plus tard, mes études terminées, devenue adulte, nous avons réussi, un peu, à évoquer tout ça: «je ne sais pas comment faire avec vous quand vous grandissez». Au moins c’était dit.

C’est peut être pour cela qu’elle eût 4 enfants. Moi l’aînée, et mes 3 petits frères. Je l’ai finalement toujours vue câline,maman,  avec un petit dans les bras. Antoine mon plus jeune frère était contre elle en permanence. Dans ses bras il suçait son pouce et frottait son doigt contre sa lèvre supérieur comme si elle était son doudou. Nous en riions. Mais je ne pouvais m’empêcher de penser dans ma logique de «grande fille» d’alors que ce manque de tendresse m’était destiné.

Adulte, j’ai donc pu savoir que non.

Au fil des années elle avait développé un tic. Elle s’était mise à dormir avec une vieille couverture venant de je ne sais où qu’elle frottait entre ses doigts. La couverture en était trouée et se disloquait en morceaux.

Ca nous faisait rigoler.

A cette époque là, elle ne riait plus guère. Nous la trouvions «à l’ouest», «déprimée», «sans entrain». Elle était de plus en plus distante. Nous étions sans trop de pitié, surtout  mes deux plus jeunes frères qui vivaient encore à la maison et ne la lâchaient pas.

Moi je travaillais, je vivais mon premier grand amour, nous parlions mariage; je mettais ma mère et sa dépression, j’en étais convaincue, à distance.

Le week-end de Pâques de cette année là, je me retrouvais seule, mon amoureux ayant accompagné mon père et mes frères skier dans une station proche de chez nous.

Il fut donc convenu que j’irais chez ma mère.

J’étais heureuse, amoureuse, je me réjouissais de ces quelques jours avec elle. Je fis le marché, achetant ce qu’elle préférait, bien décidée à m’occuper d’elle entièrement.

Ce fut une catastrophe.

Elle n’était pas là. Ailleurs. Dans un autre monde.

Je passai ces quelques jours à la supplier de se soigner, d’aller voir quelqu’un pour sa dépression, de consulter un ostéopathe pour ses douleurs dorsales qui l’empêchaient de marcher correctement. Je me débattais, lui disant que si elle continuait elle ne pourrait pas s’occuper de ses petits enfants, qu’il fallait qu’elle se bouge, que la vie n’était pas finie, qu’elle était jeune encore.

Je sais maintenant qu’elle savait qu’elle ne verrai jamais aucun petit enfant…

Je suis rentrée chez moi avec une tristesse sourde collée au fond du bide.

J’ai continué de regarder les robes de mariée.

Une semaine plus tard, mon père, contre sa volonté la fit hospitaliser, elle avait développé d’autres symptômes. On ne parlait plus de dépression.

Je suis allée la voir le soir même, elle semblait sereine, apaisée. Elle me dit qu’elle se sentait bien ici, que les gens étaient gentils avec elle.

Elle avait soif, je lui passai un linge humide sur les lèvres. Enfin elle me laissait m’approcher.

Je lui dis que je reviendrai le lendemain, que je l’aimais, elle répondit qu’elle savait.

Il n’y eu pas de lendemain. Il fut brisé en plein vol à 6 heures du matin par une infirmière.

Ma mère était morte dans la nuit.

Toute la semaine je suis allée la voir, j’ai tenu des heures ses mains dans les miennes tant que je le pouvais.

Au moment de refermer son cercueil, nous glissâmes sa couverture entre ses mains.

Par PinkLady

Texte de Justine

Elle frappa à la porte et sans attendre la réponse elle entra.

Elle profita que sa grand-mère ne l’ait pas entendue pour l’observer. Elle était allongée sur le lit, en peignoir, malgré l’heure avancée de la matinée. Elle avait les mains jointes, posées tranquillement sur son ventre, qui montaient et descendaient au rythme de sa respiration.

Julie eut les larmes qui lui montèrent aux yeux. Elle avait du prendre son courage à deux mains pour venir jusque ici. Lorsque le métro ne s’était pas arrêté à Brochant mais deux arrêts plus loin, ses mains s’étaient crispées sur la barre du wagon et sa gorge s’était nouée.

« Mamie »

Sa grand-mère se retourna et son visage s’éclaira. «Ma chérie ! »

Julie se dirigea vers le lit et aida sa grand-mère à se relever. Elles s’étreignirent, longuement. Julie s’emplit de l’odeur de fleur d’oranger de sa grand-mère, qui malgré celle âcre de la chambre, n’avait pas disparu. Elles s’assirent au bord du lit et leurs doigts s’enlacèrent.

Julie sonna à la porte de chez sa mamie, les odeurs de cuisine envahissaient la cage d’escalier. Elle entendit son pas décidé sur le parquet. Elle entra, embrassa sa grand-mère. Elles se dirigèrent vers la salle à manger tout en papotant. De sa main, Colette lissa la nappe, s’assit et se remit à éplucher les pommes de terre pour les frites du repas de midi. Julie admirait sa rapidité et sa dextérité. Elles attaquèrent ensuite le dessert. Elle la regarda pétrir la pâte de sa fouace aveyronnaise avec sa cuillère en bois, songeant qu’elle avait bien plus de difficultés qu’elle à maintenir le rythme pour brasser cette pâte épaisse. Elle sourit, elle avait toujours admiré sa Colette pour sa robustesse. Elle songea qu’une enfance à la campagne et une famille nombreuse à élever avaient dû endurcir sa mamie. Elle ne lui proposa pas son aide, sachant qu’elle aurait le droit à une pique bien envoyée « gourmande mais pas costaud pour un sous ! ».

« Mamie que fais tu encore en peignoir à cette heure ci ? »

Elle l’aida à enfiler son pantalon et ses pantoufles. Sa grand-mère la regarda faire mais ne put retenir « oh ma chérie je suis vieille mais quand même, pas encore au cimetière ! »

En descendant du bus 66, elle lui prit par la main fermement (il ne s’agissait pas de se perdre dans la foule) et elles se dirigèrent toutes deux vers le Sacré Cœur. Colette lui promit un tour de manège sur les chevaux de bois après l’ascension de Montmartre. Tout en trottinant pour suivre le rythme, Julie lui serra la main un peu plus fort, pour la remercier. Au retour, elles s’arrêtèrent au marché. Elles remplirent un panier que Julie aurait été incapable de soulever mais que Colette portait sans aucun effort.

Elle l’accompagna à la salle à manger pour le déjeuner et elles s’assirent avec les autres convives. Colette, un voile de tristesse sur son visage, regarda sa petite fille « ce n’est pas aussi bon que rue des Batignolles, mais ce n’est pas mauvais. »

Toute la famille ou presque était présente, enfants, petits et arrière petits. Colette en bout de table, fière de sa richesse comme elle aimait dire. Elle attrapa la louche en argent qu’elle plongea dans le faitout et les servit un à un du plat traditionnel « l’estofisch ».

Au dessert, elle coupa en parts égales les tartes aux pommes et au fromage blanc que Julie et elle avaient préparées dans la matinée. Colette avait posé ses mains sur les siennes, et ensemble elles avaient pétri, roulé et étalé.

Elle resta assise à ses côtés le temps du repas. Colette prit sa cuillère, son geste était assez lent et peu sûr, sa main tremblait légèrement. Tout en souriant Julie lui dit « Mamie tu as mis un peu de soupe sur ta chemise ». Colette sourit à son tour, secoua la tête et frotta la tâche sur son chemisier.

Leurs doigts se mêlèrent, Colette posa un baiser sur la joue de Julie.

« A bientôt ma grande »

« A bientôt mamie, prend soin de toi »

Les mains vides, Julie referma la porte de la chambre de sa grand-mère.

Par Justine

Texte de Pilly80

Il arrive le premier, comme souvent. Il ouvre la petite salle et va poser son manteau tout au fond. Les premiers spectateurs entrent timidement et s’assoient. Son cœur bat un peu plus vite parce qu’il sait qu’elle ne va pas tarder. Il se trouve parfois ridicule, avec son grand corps devenu tout juste adulte. Il s’étonne encore parfois d’avoir déjà vingt ans. Et puis soudain, il la voit arriver, un peu essoufflée parce qu’à peine en retard. Elle a les joues toutes roses et lui dit bonjour en souriant. Elle pose ses affaires et s’assoit face à lui, tout près. Il ose à peine lever les yeux vers elle. Il ne la regarde jamais quand elle est si proche de lui. Elle le trouble tellement. Il sait qu’elle l’aime bien mais que ça n’ira jamais plus loin. Elle, elle les a eus déjà deux fois ses vingt ans. Elle a sa vie, son mari, ses enfants. Et lui, il n’a que ces quelques minutes avec elle, trois après-midi par semaine. Trois jolis et doux moments où pendant le spectacle qu’ils vont jouer, leurs mains vont se frôler, se toucher et leurs doigts s’emmêler parfois.

Le rideau va s’ouvrir et l’histoire va commencer. Les enfants sont impatients mais lui l’est plus encore. Il éteint les lumières de la salle et elle allume la petite lampe devant eux. Il écarte le rideau et, un peu tremblant, commence à placer ses doigts et ses mains face à la lampe. Un petit lapin apparaît alors sur l’écran. Il remue son majeur et son annulaire et les enfants voient le lapin bouger ses oreilles. Elle approche ses mains à son tour et place ses doigts. Les enfants poussent un cri d’effroi : C’est le Loup ! Vite, le petit lapin doit s’enfuir ! Le petit rongeur disparaît alors de l’écran. Les enfants soupirent, soulagés. Mais le jeune homme aux mains timides, lui, aurait bien voulu que le loup croque le lapin.

Ils font ensuite s’envoler deux oiseaux. Il aime ce moment car leurs doigts doivent se toucher quelques secondes. Il frémit un peu, elles a les doigts tièdes.

Puis le conte se poursuit dans le désert. Elle recule alors ses mains pour lui faire place. Il modifie la position de ses doigts et descend sa main gauche. Un profil de dromadaire se dessine. Elle ramène ses mains près de lui. Les enfants voient un homme boire un thé brûlant près de la bête.

Au cours de l’histoire que leurs mains racontent, il espère et attend toujours l’arrivée de l’ours. Il leur faut mêler leurs doigts et presque plaquer leurs paumes. C’est aussi cette partie du spectacle qu’il déteste parce que c’est la fin et parce qu’il sent son alliance, dure et tellement présente, contre son auriculaire à l’ongle rongé.

Voilà, le spectacle est terminé et les enfants s’apprêtent à partir avec leurs parents. Il regarde les mains de la femme assise face à lui. Elles ne virevoltent plus. Il ne peut lever les yeux vers elle. Il remarque pour la première fois qu’elle a une petite cicatrice juste sous l’ongle du pouce gauche. Elle lui dit que c’est la marque d’une vilaine chute de vélo quand elle avait 7 ans. Il ya 30 ans. Il n’était même pas né. Il soupire doucement et lève les yeux vers elle. Mais elle s’est déjà tournée vers son sac et son manteau. Elle enfile ses gants et tend une joue distraite vers lui pour lui dire au revoir.

Elle est déjà partie. Il se dit que c’est bien triste tout ça mais qu’il la reverra demain et qu’il pourra alors faire danser ses mains avec les siennes. Il inspire bien fort et se promet de lui parler, demain. Ou bien la semaine prochaine.

Par Pilly80

Texte de Mimosa45

La main sur le cœur

Confortablement pelotonnée dans son fauteuil, elle regarde avec tendresse la sculpture posée sur la table basse. Émouvant cadeau de son garçon. Le moulage de trois mains différentes. Celle de sa mère, de son fils, et la sienne. Des mains blanches qui s’enlacent, s’élèvent vers le ciel comme trois ailes diaphanes. Symbole familial d’une affectueuse et immortelle union. Trois générations, trois brins d’âmes, trois fleurs à cinq pétales qui se prolongent en un lien éternel. Écrins de souvenirs, de soleils et d’orages, écrins de vie.

Il y a celle, hivernale, un peu froissée, qui a travaillé au jardin, ongles courts, où l’on décèle quelques rhumatismes déformants. Il y a celle, jeune et impeccable, masculine, forte et fragile à la fois. Et puis la sienne, crépusculaire, qui écrit des alexandrins, gracieuse, aux ongles longs, mais qui a perdu depuis longtemps ses vingt ans. On y voit le relief des veines, si précis qu’on s’attend presque à ce que les mains s’animent, si elles n’étaient pas si minérales.

Son regard descend sur ses propres mains croisées sur elle. Elles sont encore belles. Et surtout vivantes. Elle se souvient de l’automne dernier. La douleur, la peur, l’étouffement. La sirène qui hurlait son pin-pon, la vitesse sur la route. Le ciel qui n’en finissait pas de dérouler ses nuages. Puis on l’avait déposée comme un objet précieux sur un brancard, direction soins intensifs. Son bras droit pendait un peu en dehors, sa main était inerte, pâle. Les lumières du plafond des couloirs défilaient. On avait enrubanné sa jambe comme une momie avec des bandelettes comprimantes. On s’activait autour d’elle. Tension à 8, température à 35.4, électrodes qu’on lui laisserait sur le corps 24 heures sur 24. Radios, doppler, scanners, pilules, électrocardiogrammes, tensiomètre, prises de sang à n’en plus finir…

Elle avait entendu répéter les mots thrombose, embolie pulmonaire très sévère… Que des mots que l’on n’aime pas, que des mots angoissants, alarmants…On lui parlait du pire…

Les jours passaient, la narguant, jouant à la tortue, à la torture aussi. Ses bras étaient noircis, gonflés, veines claquées. Maman, bobo !!! Immobilité, solitude, temps lourd qui pesait sur les nuits silencieuses. Les heures semblaient ralentir, se fixer, se figer.

Murs blancs. Draps blancs. Elle s’ennuyait. Les visites, précieuses, étaient courtes.

Le jour, par la fenêtre, le ciel était beau dans ses couleurs. Elle s’accrochait à ses morceaux bleus.

Le soir, la lune était blafarde, comme ses joues, ses mains….

Enfin, elle avait eu la permission de bouger. Alors elle errait la nuit, à pas très lents et difficiles, seule et le souffle court, s’appuyant sur une béquille, dans le couloir blanc et désert. Ah ! Ces nuits, ces nuits qui duraient, qui se prolongeaient ! Et elle respirait comme elle pouvait. Elle se recouchait, entendait le vent au dehors, qui respirait bien mieux qu’elle. Son esprit vagabondait ailleurs, sur un autre rivage.

Elle imaginait des chevaux qui galopent, elle avait envie de voir des oiseaux et des arbres, des vagues…Elle regardait sa main bleuie, abandonnée sur le drap blanc, sa main vide, qu’aucune autre main ne tenait, ne réchauffait, ses doigts inertes qui voulaient s’entrelacer à d’autres. Elle sentait battre ses tempes où aucun baiser ne se posait. Elle attendait, fébrile, les messages, les appels, elle attendait le matin, le son des voix, et qu’on lui tienne la main.

L’aube arrivait avec ses seringues, ses odeurs, ses bruits, ses appareils, ses blouses blanches.

Elle était une funambule, sur le fil de la vie. Allait-t-elle basculer ou se maintenir ? Ses mains s’étaient jointes, faiblement, et elle avait prié : « Oh, mes poumons, mon cœur, tenez bon ! Et toi mon ange, enlève-moi ces caillots qui bouchent mon sang. Redonne-moi le souffle, envole mes peurs, et mes douleurs. »

Et il y avait eu miracle. Happy end. Retour dans les pénates. Longue convalescence bien sûr, mais ses mains s’étaient réactivées, avaient repris leur teint rose. Les fins ruisseaux de sang couraient librement dans ses veines. Ses doigts peuvent danser à présent sur le clavier, claquer au rythme d’une musique, tenir bien serrée la main de l’être aimé et lui donner sa chaleur.

Elle regarde encore la jolie sculpture. Elle soupire en souriant, puis se lève en pensant à tout l’amour qu’on peut avoir dans le cœur, aussi beau qu’un bisou imprimé dans le creux de la main, aussi beau que cette main qui se referme en emportant pour toujours ce bisou…

Par Mimosa45

proposition 11/2015

Bonsoir, 

Voilà, comme prévu, nous sommes dimanche soir et l’atelier prend fin. Les commentaires ont été clos sur l’ensemble des textes, mais vous gardez bien entendu la possibilité de les consulter. 

Merci pour votre participation à cet atelier !

Pour ceux qui le souhaitent, le prochain atelier commencera le vendredi 4 décembre, et les inscriptions sont d’ores et déjà ouvertes. Ce sera un atelier un peu « particulier », du moins en pensée: nous fêterons le premier anniversaire d’écrire-en-ligne!

Bonne fin de soirée et bonne continuation à vous tous!

Gaëlle

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Peut-être est-ce parce que je commence à me les frotter régulièrement au coin du feu, mais je vous propose ce mois-ci d’écrire autour des mains. Plus exactement, je vous propose de mettre en mots la façon dont les mains de votre personnage pourront être le reflet de la portion de vie que vous voudrez nous raconter.

Nous montrerez-vous des mains de travailleur, avec cicatrices ou cals, ou bien des mains hyper-soignées et apprêtées avec vernis à ongles et bagues de rigueur ? Des mains potelées d’enfants, ou des mains ridées de vieillard ? Des mains à la peau blanche, noire, métisse, des mains gantées, plâtrées, maquillées… ? Ces mains seront-elle le centre de votre récit ou un élément présent, mais accessoire ?

A vous de choisir !

A la manière d’un zoom, avant ou arrière (à votre guise), donc, parlez-nous d’un personnage à travers ses mains, racontez-nous ce que ses mains disent de lui et de son histoire.

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