Ateliers d’écriture créative, de fictions, animés par Francis Mizio

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Texte de Colette

                  Autour de moi, la foule déambulait, allait et venait. J’étais venue pour ça moi aussi. Et puis. Et puis… En traversant le rez-de-chaussée du grand magasin, ça a été soudain. J’ai été happée par ce halot. Je me suis vue absente de toute réalité consciente. Enlevée par une substance délicate qui avait réveillée, à elle seule, des années minutieusement enfouies. Volontairement rayées. Effacées avec application. Si seulement ça avait été possible… Fallait-il que je respire encore ? Au risque d’y retourner ?

                  Petite, déjà, mon regard était animé d’une volonté profonde. Les choses devaient se dérouler telles que je les avais organisées dans ma tête. J’étais solitaire. Mon esprit débordait d’une sorte d’imagination mystique. Je vivais loin de la réalité que m’offraient mes parents. Bien trop fade à mon goût. J’errais d’époque en époque ; de territoires perdus en contrées inconnues. Je saisissais chaque rencontre comme une aventure. Je me plaisais à être Christophe Colomb pendant que d’autres rêvaient de princes et de fées. J’intriguais. J’éveillais la curiosité. Je buvais les livres comme mes camarades de lycée commandaient des bocks en terrasse. Je déplorais le manque criant de passion chez mes amis et leur inventais secrètement des vies parallèles, trépidantes, toutes plus extra-ordinaires les unes que les autres. Jamais à la hauteur de celle que je m’étais crée.

                  Quelques gouttes infimes sont venues chatouiller l’épithélium. Le tapis cilié s’est laissé inonder par une substance magique. La potion était puissante. Véritable prédateur lancé dans mon corridor olfactif. Rien ne pouvait l’arrêter.

                  Après avoir brillamment réussi mon bac littéraire, après m’être laissée pénétrée par l’ivresse de Rimbaud, par le pragmatisme de Rousseau et par l’humanisme de Voltaire, j’avais désormais une idée plus précise, du moins, moins floue, de ce qu’allait être ma quête. J’étais passionnée par les mots et par l’immensité de ce qu’ils pouvaient traduire. Leur pouvoir était infini. Néanmoins, pour moi, il leur manquait quelque chose d’essentiel. Le regard. L’image. La netteté qui viendrait confirmer l’idée que chacun pouvait se créer. Je voulais fixer ces représentations fugaces qui naissaient à la lecture d’une combinaison parfaite. J’espérais parvenir à capturer l’image qui saurait traduire la sensation subtile d’une émotion pure. Les visages en étaient la matière brute. Sans filtre. Au contact de la vie, multiples et sensiblement uniques, eux seuls étaient susceptibles de nourrir mon appétit d’œil insatisfait. A l’époque, plusieurs s’y étaient risqués. L’entreprise était ardue et nombreux s’étaient noyés dans des faux semblants faciles. Rares étaient ceux qui avaient su offrir des images nettes. Sans équivoque. Je savais alors qu’il me faudrait du temps et de la persévérance. J’étais prête à tous les sacrifices pour tenter d’accéder à l’Image.

                  J’étais comme pénétrée par une drogue au pouvoir puissant. Le liquide concentré de la seringue avait diffusé son principe, grâce à ses arômes, dans les confins de mon hippocampe. Les limbes et les méandres de mon système mnésique s’étaient activés au contact du sirop. Inspirés par les effluves.

                  Après mes années d’hypo et de khâgne, j’avais débuté Sciences Politiques à Paris car il fallait parfaire mon bagage. Je ne pouvais prétendre à cueillir la perfection des choses sans avoir l’intime conviction que j’avais suffisamment exploré les voyages littéraires de mes maîtres. L’école Nationale supérieure de la photographie d’Arles m’avait ensuite ouvert ses portes. J’y avais passé les plus belles années de ma vie d’étudiante. Là-bas, les images parlaient pour les êtres. J’avais trouvé des pairs animés par la même passion. Je parcourais la vie avec mon réflexe autour du cou. J’avais délaissé mes livres pour étirer mes pellicules. Je passais mes nuits dans la chambre noire. Sous la lumière rouge mon regard étincelait. L’iris était connecté avec l’index. Le premier saisissait la lumière. Le second la fixait d’un clic. J’avais intégré l’équipe d’un hebdomadaire réputé pour lequel je réalisais des reportages. Je couvrais l’actualité internationale. J’appréciais mon métier. Du jour au lendemain, on pouvait me demander de m’envoler pour l’autre bout de la planète. Je servais l’événement pour informer le monde. Chaque séjour était différent. Je saisissais les émotions. La palette était large. Les mélanges subtiles faisaient se côtoyer le bonheur avec la tragédie, la guerre avec la beauté, la force avec la maladie. Je me devais d’être la plus juste au travers de l’objectif. Sans artifice. Les visages parlaient tous seuls.

                  Etui Noir. Subtile alliance de cuir tanné. Chaleur moite inhalée à l’encens noir. Vapeurs de musc et de cèdre. Bois mouillé.

Je suis là-bas.

« Madame, souhaitez-vous découvrir la dernière création de Miller Harris ? »

                  Cette fois-ci, l’appel avait été bref. Il fallait se décider immédiatement. Départ imminent pour l’Amérique du Sud. Le potentiel était énorme. A la hauteur du danger. N’était-ce pas ce risque qui conférait ce pouvoir hypnotique aux clichés ?

J’avais accepté sans hésiter. C’est ici, à cet instant, que tout à commencé.

«  Madame, est-ce que tout va bien ? »

Je me retourne machinalement en direction de la vendeuse. Je balaie rapidement du regard sa silhouette fine et apprêtée. Brusquement, je fixe ses yeux. Face à moi, deux canons chargés. Prêts à tirer. Il n’y a pas de hasard. Je suis face à un cas rare. Similaire au mien. Une dualité que tout oppose. Elle me tend une touche imbibée du puissant liquide. Je ne peux quitter les nuances que m’offrent ses deux billes incandescentes. Quel est le sens de cette rencontre… Aussi improbable soit-elle ? Je perçois sa gêne. Elle présente une hétérochromie saisissante. Son iris droit est revêtu d’une délicate fourrure aux nuances de gris et de roux. Le gauche arbore fièrement un manteau royal, teinté de saphir et d’émeraude. Lentement, je soulève mes lunettes noires.

                  Je suis assise à droite du hublot. Mon réflexe autour du cou. Comme avant chaque reportage, je suis partagée entre une sorte d’excitation addictive et une angoisse profonde liée à l’inconnu. Parfois, nous partons à deux. Aujourd’hui, je suis seule. Je scrute les visages des passagers derrière mes carreaux sombres. Comme à la grande époque, je leur prête des existences variées. Ce 21 février, je dois atterrir à 15h25. Un chauffeur m’attendra en bas du terminal 2B pour me conduire à mon hôtel. Ce sera à moi de développer la suite.

                  Malgré son allure guindée et ses bonnes manières d’usage, elle ne peut dissimuler sa surprise. Le malaise est partagé. J’ai pris l’habitude de ne jamais sortir sans mes lunettes noires. Dans le métier, on me surnomme « L’œil Masqué ». Je filtre ce qui cherche à atteindre mon regard. C’est parce que je suis née ainsi que j’ai choisi de grandir autrement. Cette différence de patrimoine génétique, longtemps, je l’ai subie. Puis, au fil de mon parcours, j’ai appris à la cultiver. Je me suis construite avec elle, grâce à elle. Par définition, c’est l’œil qui caractérise le photographe. Je suis née avec les yeux vairons. Vert pour le droit. Gris pour le gauche.

Elle ne me regarde plus et devient maladroite dans ses gestes. Je baisse mes lunettes, reprends ma carte de crédit et me hâte de sortir de cet endroit, le flacon dans mon sac, mon sac à la main.

                  Température annoncée, 18C° à Bogota El Dorado. Je repère sans problème le jeune chauffeur venu m’attendre. Une ardoise à la main avec mon nom et le logo de l’hebdo. Lorsqu’il me voit avancer vers lui, il esquisse un sourire. J’ai été envoyée en Colombie pour couvrir la campagne d’une politicienne candidate à la présidence. Je la connais bien car j’ai déjà effectué des clichés d’elle pour un papier l’année dernière. Je suis fascinée par sa détermination. Beaucoup l’admirent et envient son courage. Elle mène une lutte opiniâtre contre la corruption. Demain, elle doit s’envoler pour San Vincente Del Caguan pour affirmer et saluer l’éviction des Forces Armées Révolutionnaires et rejoindre un des membres de son parti sur place. Je serai avec elle. Je deviendrai son ombre, discrète et invisible. Je ramènerai mes clichés à Paris pour témoigner de son engagement.

                  J’avais le sentiment d’être une fugitive. Je cherchais à fuir un souvenir lointain. Soigneusement détruit par une volonté à toute épreuve. L’instant d’après, je brûlais d’envie de laisser resurgir ces images et ces sensations cachées. J’étais telle une alcoolique en proie à un dilemme de taille. J’avais ma « dose » avec moi ; allais-je réussir à ne pas y toucher ; saurais-je résister ? Je savais bien, au fond de moi, quel était « le prix » de la transe. L’ivresse était de courte durée. L’instant d’après, tout le reste allait me gicler en pleine figure. Annihiler des années d’efforts. Me faire descendre plus bas que terre. Au fond du fond comme ils disent. Si seulement les quelques effluves de cet élixir dangereux ne m’avaient pas atteinte. Si seulement j’avais su… Partir. Fuir. Plus tôt. Je n’avais malheureusement plus le choix. Je suis arrivée chez moi en nage. Perdue dans un dédale de bribes qui rejaillissaient à mesure. J’ai déposé le paquet sur la table. J’ai fermé les yeux.

                  Le lendemain, je l’ai retrouvée chez elle. Je fais partie des rares à qui elle a accordé sa confiance. Nous devions préparer ensemble le déroulement du reportage. A ses yeux, dès mon arrivée, j’ai compris qu’il y avait un problème. J’ai enlevé mes lunettes et elle m’a fait signe de la suivre. Le programme avait changé. Il nous faudrait faire la route en voiture. L’entreprise était très risquée. Les rebelles pouvaient surgir de nulle part, et ce, malgré les dispositifs militaires du gouvernement. Elle m’a laissé le choix. J’étais venue sur place pour figer ces visages tendus. J’avais accepté parce je savais que c’était cette adrénaline qui, au contact du négatif, révélait l’Image. Il s’agissait certainement d’un des voyages les plus dangereux que j’avais effectués. Beaucoup auraient reculé. A contre courant, animée par une inconscience inconsidérée, je me suis lancée. J’ai accepté. Quelques heures plus tard, je suis assise à l’arrière d’une Jeep, à côté d’elle. Des soldats. Partout. Des armes autour d’eux. Prêts à tirer. Nous arrivons au premier barrage militaire.

                  Minutieusement, j’ai retiré le film qui protégeait l’écrin. J’ai sorti la fiole. Je ne pouvais plus reculer. Les mains tremblantes, j’ai déposé quelques gouttes à l’intérieur de mon poignet. L’infusion du mélange au contact de ma peau avait provoqué une fumée enivrante. Invisible. Seule, les narines collées sur la peau, je suis retournée là-bas. J’ai fermé les yeux à nouveau. J’aurais voulu ne jamais les rouvrir.

                  Après avoir contrôlé nos identités, les militaires nous ont laissé poursuivre en nous engageant à la plus grande prudence. L’ambiance est tendue dans l’habitacle. Je baisse la vitre de ma portière pour sortir mon objectif tel un tireur sortirait son fusil. Aussitôt, le chauffeur de la voiture s’arrête et se retourne. Il m’ordonne violemment de refermer cette fenêtre. Il me fixe du regard. Nous ne devons prendre aucun risque. Il reprend le volant en énonçant ce qui semble être un proverbe, dans un dialecte que je ne connais pas. Elle prend ma main et la serre fort. Mon sang se glace.

                  Je me suis servie un verre de vieil écossais. Je l’ai senti s’écouler dans ma gorge comme la lave du volcan se propage sur les terres. J’aurais voulu brûler tout entière. Je me suis revue dans la voiture…

Je l’ai su après. « C’est à ses yeux vairons qu’on reconnaît le diable »…

                  Je tangue. Je flotte. J’ai la sensation d’avoir avalé des litres d’alcool. Ma tête est une balançoire. Un pendule perdu. Je peine à ouvrir un œil. Mon corps ne me répond plus. Je sombre. Un cri étouffé me ramène à un semblant de réalité. Je sens mon corps humide qui s’anime de tremblements saccadés. Des gouttes de sueur s’étirent lentement de front jusqu’au creux de mon cou. J’ai terriblement soif. J’imagine mes lèvres blanchies par le sel que je transpire, gercées par la déshydratation avancée. Où suis-je ? Que s’est-il passé ?

                  C’est la voix de Marc qui me sort d’un sommeil lourd. « France Infos, bonjour et bon réveil, il est sept heures. » C’est le seul homme qui me réveille chaque jour de la semaine. Je ne connais que sa voix. Je me suis habituée à elle. Elle m’est devenue familière. Presque rassurante. En tentant de me lever, je renverse le verre de scotch et la bouteille vide elle aussi. La nuit a été longue. Agitée par des cauchemars sans nom dont les stigmates se lisent sous mes yeux ce matin. Je suis encore groguie par la torpeur dans laquelle je me suis plongée. Je ne sais s’il faut que je regrette…

                  Je suffoque. Il fait une chaleur mouvante. Je me sens paralysée. Je tente de passer ma main sur mon visage et la réalité se révèle. En une prise de vue tout se dessine. Mes poignets sont liés au-dessus de ma tête. Chacun attaché à un anneau. Je suis assise dans une pièce qui semble petite, plongée dans une obscurité trouble. Je me sens aveugle. Mon corps tout entier me fait mal. Je ne parviens pas à bouger la jambe droite. Je voudrais appeler « à l’aide ». Aucun son ne sort de ma bouche. Mes yeux se ferment. Je revois le chauffeur de la voiture se retourner vers moi, puis reprendre la route. J’entends des tirs. Sa main n’a pas quitté la mienne. J’ai peur. La voiture s’arrête brusquement. Trois hommes cagoulés ouvrent les portières et nous tirent de l’habitacle. Je sens ses doigts disparaître comme le sable qui glisse. J’entends le chauffeur crier cette phrase curieuse, la même que tout à l’heure. Je sens un coup violent sur ma tête. Puis plus rien. Le vide.

                  Il faut que je me dépêche. Je n’ai pas le temps de penser. De toute façon, à l’évidence, cela ne m’amènerait à rien de bon aujourd’hui. J’appuie sur le bouton de la cafetière. Mes yeux s’arrêtent sur le flacon déposé sur la table basse. Véritable madeleine. Empoisonnée ? Passer à autre chose. Essayer. Je le saisis et le range sur l’étagère de la salle de bains. La tasse à la main, je choisis ma tenue et mes lunettes noires du jour. J’ai rendez-vous dans une heure à la galerie. Derniers réglages avant l’inauguration de l’exposition. Je suis tendue.

                  Soudain, la porte s’ouvre et le néon du plafond s’illumine. J’ai l’impression que l’orage s’abat sur moi. L’éclair me foudroie par son intensité. Je suis éblouie. Deux hommes entrent. L’un s’adresse à moi en jetant une assiette remplie d’une bouillie blanchâtre à mes pieds. Son regard est noir. Perçant. Les capillaires qui irriguent ses yeux semblent injectés par la colère qu’il éprouve. Dans sa main, il tient un pistolet et me désigne avec. Il se tourne vers l’autre homme et lui ordonne de me détacher un poignet pour que je puisse saisir la nourriture. Petit à petit, je découvre mon corps. Il porte les traces de cette violence. Maintenant, la peur à annihilé la douleur. Les plaies suintent. Les hématomes sont parés de nuances colorées semblables à celles d’un ciel d’orage. Encore lui. Le deuxième homme s’approche de moi et me tend un verre. Je tourne la tête. Le reste d’instinct de survie que je possède en moi m’empêche de tremper mes lèvres dans le récipient rouillé. Le liquide est trouble. Le premier s’énerve et m’assène un violent coup de crosse sur la pommette. Je dois faire ce qu’il dit. Il sort de la pièce en confiant ma surveillance à l’autre. A ce moment, je voudrais mourir. Maintenant. Sans attendre. Le liquide saumâtre entre dans ma bouche. Je m’aperçois que je suis en train d’uriner. Sur moi. Puis-je avoir atteint l’apogée de la souffrance ? De l’humiliation. Je ne suis donc plus rien. Si je ne meurs pas d’empoisonnement, je mourrais de désespoir. Après pas mal d’incertitudes, il devient évident que tout cela finira mal.

                  « Maman ! Je suis vraiment la bourre là ! Tu peux me déposer devant le bahut ? » Elle hurle de sa chambre. Je souris. Je la vois surgir dans le couloir. Enfilant maladroitement une jambe de son jean usé. Elle est grande et arbore une longue crinière brune. Ses yeux noisette pétillent et… me rappellent tant…. « Allez maman, dis oui ! steuplé ! » Evidemment que je vais la déposer. Même si à cause de ce crochet, c’est moi qui arriverai en retard. Même si cette semaine, c’est déjà la troisième fois qu’elle est « à la bourre ». Elle, c’est ma Lou. Elle a quinze ans. Elle incarne la Liberté.

                  Les jours se succèdent. Je perds peu à peu la notion du temps qui passe. J’ai survécu au liquide et à la terrifiante pâtée gluante. Je me force à les avaler. Je sais qu’il faut tenir. Parfois, personne ne vient de toute la journée. Ce n’est qu’au bruit qui change, que je comprends que nous sommes le soir et que c’est la nuit qui commence de tomber. Je vis enterrée dans une cave. Attachée. Ils m’ont amenée ici après une semaine environ passée dans le premier endroit. Personne ne doit savoir où je suis. J’ai rapidement compris que mes ravisseurs faisaient partie des FARC. J’étais leur monnaie d’échange. Ils avaient tous les droits sur moi. Ils possédaient ma vie. Maintenant, je ne pleure plus. Au début, je ne pouvais pas m’arrêter. Je m’en suis terriblement voulu. J’avais tout sacrifié. J’avais pris tous les risques. Pour quoi ? Quelques clichés tout au plus, dont personne ne se serait souvenu de toute façon. J’ai des hallucinations. Je m’invente une vie. A moi maintenant. J’imagine que mon mari va venir me chercher, que je vais rentrer à la maison, que ce soir je… Tout cela n’est rien. Je n’ai ni mari, ni maison. J’ai toujours aimé être seule. Aujourd’hui, je le suis plus que jamais. Je dois attendre. Tenir. Attendre.

                  Habilement, elle envoie valser son sac à dos sur la banquette arrière. Je démarre et savoure la douceur de ce moment. Désormais, je m’applique à enregistrer chaque instant. Chaque souvenir est bien rangé. Enfoui. L’exercice consiste à retrouver le chemin qui y conduit, la clef qui déverrouille le coffre mnésique.

« Dis-donc, c’est quoi ce nouveau parfum posé dans la salle de bain? Tu ne m’avais pas dit que tu en avais acheté un nouveau. Tu me le feras sentir ce soir ?! »

                  Je peine à ouvrir les yeux. Mes deux boules de cristal sont engluées dans un marasme. Chaque cil semble fournir un effort surhumain pour dissiper le brouillard dans lequel je suis plongée. J’essaie de constater objectivement l’état de mon corps. Entre deux délires. Mes os sont saillants. Mes articulations sont entourées de halots sombres. Mélanges de crasse et stigmates de quelques coups dont je n’ai aucun souvenir. J’aimerais observer mon visage. Je ne possède que mes sensations pour tenter de me créer un reflet. Je devine l’horreur. Au toucher. Je suis perdue dans un labyrinthe de miroirs ensorcelés. Mon corps se dérobe comme une gelée fondante. Je passe mes doigts dans mes cheveux. Je retire ma main recouverte de suie, inondée d’insectes. Je sais que je ne reverrai plus la lumière. Je veux m’éteindre.

                  La main sur la clef, je la regarde courir pour rejoindre le grand portail de son lycée. Je l’admire. Sa légèreté innocente me transporte avec elle. J’avais longtemps hésité à repartir. Beaucoup n’avaient pas compris. Trop bien installés dans un monde sans relief. Sans heurts. Sécure. Pour elle, pour moi, je devais faire ce voyage. Renouer avec ce passé. Rouvrir les plaies suturées à la hâte. Faire jaillir le poison pour amorcer une cicatrisation. Etait-ce possible ? La catharsis ne pouvait s’opérer sans savoir ce qu’Il était devenu. Il avait changé ma vie. Il avait créé la Sienne. Sauvé la mienne. C’était il y a un mois, j’étais repartie pour Bogota sous bonne garde. Avec mes lunettes noires et mon réflexe. Comme il y a quinze ans. Je voulais pouvoir présenter à Lou ce bout du monde. Cette autre vie sur laquelle elle m’avait tant questionnée. Je savais que sans ces images, elle ne pourrait pas construire ce mystérieux puzzle. Je le lui devais ce voyage. Quinze jours durant, j’ai tenté de capturer la lumière du pays. A travers l’objectif, je m’adressais à elle. J’illustrais l’histoire.

                  C’est le tremblement sourd de mon téléphone qui m’a tiré de ce semblant de rêve éveillé. La galerie ! J’étais attendue pour le calage. En entrant, je suis saisie par le réalisme du spectacle qui s’offre à moi. Une pellicule de ma vie dévoilée aux yeux du monde. Un juste retour aux sources. Un clic de fin sur le reportage de mon existence. Je m’arrête sur la dernière photo. Une brève légende « L’homme Libre ». Au-dessus, la silhouette floue d’un bagnard qui regarde l’objectif à la recherche de la lumière. Ce n’est que le dernier jour que j’ai eu la force d’y aller. L’ambassade française de Colombie avait réussi à m’obtenir un droit de visite.

Le bruit de la clef dans la serrure m’avait sortie du demi-coma dans lequel j’étais plongée. Je redoutais un nouveau transfert vers un endroit encore plus lugubre. J’étais terrifiée à l’idée de ce qui m’attendait à chaque nouveau grincement. Cette nuit-là, j’ai vu ses yeux scintiller derrière la flamme vacillante de la bougie qu’il tenait à la main. C’était l’homme de l’ombre. Celui qui exécutait les ordres. J’ai compris à ce moment-là, que lui seul avait décidé de mettre fin à ma lente agonie. Il n’a pas prononcé un mot. Moi non plus. Délicatement, il m’a détaché les poignets. Il s’est assis en face de moi. Il a plongé son regard dans le mien. Hypnotisé par ma différence. Après quelques secondes, il a passé sa main sur ma joue. Au contact de cette peau tannée, blessée par l’horreur de ce qu’on lui avait fait accomplir, j’ai su qu’il n’était pas venu me tuer. Il a serré ma main comme elle l’avait serrée le jour de l’enlèvement dans la voiture. Un contact intense. Il fallait faire vite. La menace était partout. Constante. Nous sommes sortis de l’entrepôt dans lequel j’étais restée enfermée soixante-dix-neuf jours. Il m’a regardé de nouveau et m’a fait signe de monter à l’arrière de sa Jeep. Je me suis couchée au sol. Sous une bâche. Il a pris le volant. Nous avons roulé. Un temps infini. Vers ma liberté.

                  Mon cœur battait la chamade. Tous les sentiments que j’avais pu éprouver jusqu’à présent se mélangeaient. On m’a ouvert des grilles. Maintes fois, on a contrôlé mon identité. Je suis entrée dans une salle minuscule, borgne. Assis de dos. Je l’ai reconnu immédiatement. Derrière mes verres noirs, des fleuves ont coulé. Ils ont lavé des années de souffrance. J’ai pris sa main. J’ai senti sa peau. Je lui ai tendu une photo de toi ma Lou… il a serré ma main aussi fort que ce jour de mai. J’ai respiré son corps sous les yeux avertis des gardiens. J’ai recouvré l’odorat qui m’avait tant manqué pendant ces années. Séquelle du traumatisme m’avait-on dit. Etait-il fini alors ? Je redoutais cette fin. Il sentait l’encens noir, le musc et le cèdre. J’avais chaud ; comme cette nuit de liberté où il avait fait revivre mon cœur meurtri. Comme cette nuit où la passion m’avait enivrée avant de me ramener à la réalité.

                  J’enfile une robe noire et colore mes lèvres de rouge. Je l’observe sur le bord de la tablette de la salle de bains. Il m’appelle… Lou entre. Je saisis le flacon et asperge quelques gouttes derrière chaque oreille et dans le creux de ma poitrine. C’est le premier parfum que je m’achète seule depuis quinze ans. Avant je ne sentais rien. Je prends sa main et y dépose l’onguent délicat. « C’est lui. C’est son odeur… » Nous échangeons un regard mouillé. Je la serre fort dans mes bras. Il est temps de partir pour la galerie.

                  Une fois arrivée, Valérie, la responsable, me tend un courrier arrivé il y a quelques jours pour moi. Elle avait hésité à me le remettre, pensant, agacée, que jusqu’au bout, il y avait eu des imprévus dans cette histoire. Elle avait volontairement attendu ce soir pour me la donner, présentant, au vue du cachet, qu’elle contenait une nouvelle part de mon mystère.

« Mon amour,

Je sors demain. Le juge a accepté ma demande de sortie du territoire. Je tiens à la main le billet que tu m’as remis lors de ta visite. Je serai là. »

                  « J’ai toujours su, au plus profond de moi, que j’étais différente. Je m’appelle Mariline. Je suis photographe. Il y a quinze ans, j’étais grand reporter. Je suis partie en Colombie couvrir la campagne d’une candidate à la présidence. Il y a quinze ans, j’ai été enlevée par les FARC. Captive. Otage. Il y a quinze ans, je me suis vue mourir. Il y a quinze ans, il y a eu cet homme. Celui qui a pris tous les risques. Il y a quinze ans, il a renoncé à sa liberté pour que je retrouve la mienne. Il y a quinze ans, il m’a offert le plus beau des cadeaux, ma fille…

A ces deux êtres qui ont changé ma vie, à toi ma Lou, à Lui… Je dédie cette exposition. »

Je pose le micro. Je sens sa main douce qui vient prendre la mienne. Simultanément, je sens une main rugueuse qui passe dans mon dos.

Ensemble.

Toujours désormais.

Je tangue.

Texte de Colette

Paul. A cette heure-ci, les touristes dorment encore. Seul, je gravis les marches qui me mènent chaque jour au palais. Je prends garde à chaque détail. Je veille à m’émerveiller de tout. Je savoure ma chance. Je vis mon rêve. La belle m’ouvre ses portes et m’enserre de ses bras raidis. Au cœur du métal, nombre de petites mains sont déjà à l’ouvrage. Au fil des étages, je me faufile dans les jupons de sa vaste robe et je glisse sur ses jambes glacées. Elle m’offre le luxe d’un tête à tête quotidien. Je grimpe et son corps tout entier se dévoile. Depuis six mois, j’ai quitté ma Bretagne pour élire domicile au sommet de sa couronne. De là haut, les lumières de la ville crépitent telles les papilles qui s’éveillent au contact des sucs qui les chatouillent. Arrivé dans le temple du goût, j’enfile mon habit au col ajusté. Fin prêt, je m’en vais faire connaissance avec mes invités du jour. Tel un couturier aiguisé, je m’apprête à leur tailler un habit sur mesure pour le défilé du déjeuner, à la hauteur de celle qui nous abrite.

Aloïs. Chemin Vert. Route de l’espoir. « Pied sous terre » du jour. Une de mes haltes préférées. Il est dix heures. La frénésie des travailleurs pressés a laissé place à la curiosité des touristes. J’ai appris à décrypter chaque flux de personnes. Je scrute leurs pas et croise leurs visages. Nombreux sont ceux qui m’évitent. Je baigne dans cette atmosphère chargée de destins hétéroclites. Je les invente pour eux après les avoir finement et délicatement observés. Je me plais à croire que j’ai raison. L’odeur synthétique des arômes artificiels de la croissanterie du coin de tunnel se mêle avec talent à celle de l’huile lourde du rail. Surprenant mélange, que seuls les nez nomades sont habilités à étudier. J’ai rejoins les sols de la RATP quand le comité de direction de mon entreprise m’a indiqué la porte. J’ai erré pendant des mois, entre falaises abruptes et limbes profondes. L’alcool m’a souvent réchauffé. Lorsque la nuit tombe, souvent, je change de station et dépense ma récolte du jour pour contenter un estomac vide habitué et un sang imbibé.

Rodolphe. Longtemps j’ai conservé cette boule dans le coin à gauche sur mon bureau. Petit, je me souviens l’y avoir déposée tel un trophée. Maman me l’avait rapportée d’une de ses formations. J’étais fasciné par ces petits flocons de plastique qui s’éparpillaient de toutes parts lorsque je secouais l’objet pour finalement revenir s’échouer sur le Sacré Cœur miniaturisé pour l’occasion. C’est avec un plaisir délicieux que je songe à ces moments. Aujourd’hui, j’ai le loisir d’aller flâner en haut de la bute quand j’en ai envie. Lorsque j’ai appris que j’étais accepté à Sciences Po’, c’est la première chose qui m’a traversé l’esprit ! Au cœur de la capitale, je déambule, je note, je photographie… Chaque image capturée fait écho à un souvenir…

Isis. Quel temps ! On n’a pas idée de ce que c’est un froid pareil ! Depuis que nous vivons ici, tout a changé. Le climat certes, mais bien plus. Chaque sortie nécessite une attention soutenue. Il me faut sans cesse être aux aguets. La vigilance doit être constante. Il suffit d’un passant un peu trop pressé (et ici c’est fréquent !) et je me retrouve la patte écrasée. J’aimerais bien les voir eux, à quatre pattes sous la pluie ! Et qu’on ne me parle pas de liberté ! Ici c’est port du collier obligatoire et laisse indispensable. Plus moyen d’aller renifler de-ci-delà. Les rues que je traverse sont vieilles et usées. Il me faut chaque soir soigner mes coussinets mouillés et fatigués. J’ai perdu la douce sensation de l’herbe qui les chatouillait jadis. Quant à mes congénères, ils sont rares. Ici on préfère les « mangeurs de souris » qui restent bien sagement assis dans les appartements. Heureusement, mes maîtres sont dingues de moi ! Ils m’emmènent partout et ne me laissent jamais. J’ai un rythme infernal, mais je m’adapte. J’essaie !

Solange. Je suis stressée. Ca fait tellement longtemps que j’attends ce moment. Je chante depuis l’enfance. La musique a toujours bercé ma vie. Ce soir, on m’a proposé de donner un concert dans un bar sympa du 11ème. Je connais bien le patron. Ici les gens vont et viennent _ boivent un verre. La salle baigne dans une lumière tamisée. L’ambiance est feutrée. Dehors les lampes réchauffent la terrasse. J’enfile mes collants bleus aux mille paillettes et noue mes souliers vernis. Je m’apprête à rejoindre la petite estrade faisant office de scène.

En une fraction de seconde tout a basculé. Les premières notes résonnent, j’avance lentement en murmurant la douce mélodie de « piensa en mi ». Puis le bruit assourdissant des tirs _ les corps qui s’affalent _ les cris _ la stupeur_ le monde tout entier qui s’effondre.

Et toujours, la bande son derrière « quand tu veux ôte-moi la vie. Elle ne sert à rien sans toi ».

Ils étaient quatre.

Ils ont tiré.

Ils étaient soixante-deux.

Ils sont morts.

Parce qu’ils étaient là, ce soir, dans ce café, dans la rue.

Je suis restée là, face à ce chien qui me regardait. Seul. Son maître allongé, la laisse dans la main.

Nous y étions. Paul, Aloïs, Rodolphe, Isis, Solange. Certains n’en sont pas revenus.

Par Colette

Texte de Colette

Son désespoir était contenu dans cette goutte…

Dimanche, mai 2015.

Je me suis levée décalquée ; à quatorze heures. La nuit a été longue. L’oxygène était rare. Hier, j’ai fini mon dernier cours aux alentours de dix neuf heures trente. Je revois ma peau recouverte de petits points en surface. J’ai froid. La serviette crisse sur mon corps. Je frotte plus. L’intérieur de la bête demeure humide. En sortant du bassin, l’appel était trop fort. J’ai cédé.

Je nage du matin au soir. Quand ce n’est pas moi qui m’entraîne, je donne des cours. Je vis désormais dans cette bulle remplie d’eau. Un poisson dans son bocal. Qui tourne. Toute la journée. Ma vie est hyper réglée, hyper cadrée. Rien ne dépasse. Rien d’autre non plus d’ailleurs.

J’ai voulu fuir. Je me suis noyée. Sans résister. J’ai bu la tasse. Celle de trop. J’avais rendez-vous là-bas, avec mes anciens copains. Ca faisait longtemps qu’on s’était perdus de vue. Je me suis assise au comptoir. J’ai pris des nouvelles de chacun. Ils n’avaient pas changé. Leurs saveurs étaient intactes. Les sensations que je percevais me semblaient familières. Doucement, j’ai lâché prise.

Dimanche, décembre 2015.

Seule une larme coule le long de ma joue. Tout est là. Je tourne la tête et regarde dehors. Me yeux se perdent dans l’immensité du paysage. Les gouttes ruissellent sur les carreaux. Je ne sais plus vraiment qui je suis. Une autre peut-être. Je voudrais tout arrêter. Débrancher. Quelque chose ne va pas. Je ne vais plus depuis ce soir de mai. Depuis cette noyade programmée…. Je plonge. Impossible de nager en surface. Les mouvements ne s’enchaînent plus. On a coulé le moteur. Je suis engluée, prisonnière de mon corps, incapable de me mouvoir dans l’océan de mon existence. Parfois, j’aperçois le reflet de la lumière au-dessus de moi. Mes yeux sont embués. J’ai dû rêver. Le cauchemar continue. Personne pour me sortir de ce gouffre. Je suffoque. J’étouffe. Entre deux sanglots, j’essaie de reprendre mon souffle. Rien n’y fait. Avant, j’étais bien, l’eau me portait. Maintenant, je traîne ma carcasse nulle part. Je me perds. Je me suis privée de tout. Je n’ai plus rien. Qui suis-je devenue ?

Lundi, avril 2016.

Je m’appelle Mia. Pour m’éloigner de toi, je me suis parée d’écailles et j’ai élu domicile dans un autre liquide. Tu as été mon meilleur ami. Tu es devenu mon pire démon. Dualité incompatible. Aujourd’hui j’ai fait le grand saut. Je suis assise au milieu de mes compagnons d’infortune, ceux qui ont cru au rêve que tu vendais. Aujourd’hui je veux reprendre le dessus, réussir à te quitter à jamais.

Une page se tourne. Je m’appelle Mia, je suis alcoolique.

Par Colette

Texte de Colette

            Par la fenêtre du salon, je l’aperçois. Elle est assise au milieu de ses roses. Seule. Elle parle. Peut-être qu’elle leur confie ses secrets. La douceur de ce mois de septembre, le reflet de son visage…Cela suffirait à mon bonheur. Le sifflement de la bouilloire me décolle de la vitre. Je prends soin de choisir son thé préféré, celui qu’elle a toujours bu. Délicatement, j’inonde les fines feuilles vertes. Un parfum suave et fleuri s’échappe, tandis que les petites fleurs bleues nagent à la surface de la théière. Nous avions tant apprécié la cérémonie du thé… Je dépose nos deux petites tasses en fonte sur le plateau de service. J’ajoute deux sablés au citron sur une petite assiette. Je voudrais avoir le talent de Proust. Que cette madeleine « la réveille ». Je la rejoins sur le banc en mosaïque sous la glycine. Elle me regarde, surprise : « Mais qui êtes-vous ? ».

            « Gabriel, n’auriez-vous pas vu mon peigne ? » Nous prenons tous les matins notre petit déjeuner ensemble, à huit heures trente. Peut-être qu’aujourd’hui les tartines avaient un peu trop grillé… ? Ou bien le café était-il trop corsé… ? Elle se lève et se dirige vers le réfrigérateur. Après avoir séparé tous les yaourts les uns des autres, elle se retourne et me regarde. Je vais chercher son peigne l’air de rien et le lui remets. France Inter, il est neuf heures. Elle s’assied et attrape le pot de confiture de fraises. Elle était bonne sa confiture. Elle prenait soin de choisir des fraises bien rouges, mûres, sucrées… L’aventure commençait le matin de bonne heure. Le secret était, selon elle, de prendre soin de ses fruits. Elle disait qu’elle les faisait tourner lentement dans la marmite comme elle avait bercé ses enfants… La maison s’emplissait d’une douce effluve sucrée. Et ce n’était qu’après une journée de travail que le délicieux mélange prenait place dans de petits bocaux. Je me souviens du plaisir qu’était le petit déjeuner du lendemain. J’allais chercher de la brioche fraîche et encore tiède et nous avions le privilège de goûter la cuvée de la veille… Ce matin, ce n’est qu’en la regardant tremper ses doigts à l’intérieur du pot, sans précaution aucune, que je pris conscience que quelque chose de bizarre se déroulait. La paume de sa main recouverte de la mixture sucrée est allée caresser sa fine chevelure blanche. Elle s’est ainsi fait sa mise en plis. Sans sourciller. Coiffée d’une charlotte aux fraises revisitée, elle s’est dirigée vers le miroir, s’est tournée de profil et a déclaré : « Je la trouve très réussie ! Qu’en pensez-vous Gabriel ? » J’ai souris et acquiescé d’un hochement de tête. Elle était si belle… Sans songer à la manière dont nous allions nous débarrasser de tout ce sucre capillaire, je me suis levé et lui ai demandé de m’accorder une danse. Nous avons valsé ensemble sur le parquet de la salle à manger.

            Il lui arrive de me confondre avec son père. Parfois, je suis son fils. J’ai même été l’aide ménagère ! Souvent, je suis un « meuble ». Je fais partie de la maison. Je suis là, toujours. Elle m’appelle quand elle a besoin. Hier, le vingt-quatre septembre, nous avons eu cinquante ans. Cinquante ans d’amour. Le soir venu, je l’ai invitée à dîner aux chandelles. Elle est venue s’asseoir en face de moi. A cet instant, je suis sûr que les pépites qui illuminaient ses yeux traduisaient sa joie. Comme le jour où je l’ai demandée en mariage, j’avais « caché » un écrin sous sa serviette et déposé une rose dessus. Jamais je n’oublierai son sourire lorsqu’elle a ouvert la boîte… Des larmes ont coulé sur ses joues rosées. Je lui ai passé l’anneau à l’annulaire et ai été transporté un demi-siècle en arrière. Pendant toutes ses années, elle a été ma raison de vivre. Ma joie. Mon épaule. Nous avons tout partagé. Aujourd’hui, nous partageons la maladie. Ensemble. Pour les autres, elle est devenue une étrange étrangère. Ils l’observent comme un fantôme. Ils ne la reconnaissent plus. Leurs yeux sont des poignards. Leurs regards me transpercent. Je crois qu’elle ne s’aperçoit pas pleinement de tout ça. Elle nous a inventé un autre monde. Une bulle imaginaire dans laquelle elle m’invite parfois. Je ne suis pas nostalgique. Je savoure chaque instant passé ensemble. Là est mon bonheur.

            Ce matin, je me suis tourné vers elle. J’ai caressé délicatement sa joue. J’ai déposé un baiser sur ses lèvres.

Elle ne s’est jamais réveillée.

J’ai crié de toutes mes forces. Rien ne s‘est produit.

Ils sont tous là. Pour Vous. Pour moi. Je les observe. Ils ne sont personne. Je suis chez nous. Je suis envahi d’étranges étrangers. Je n’ai besoin que de Vous. Mon Amour. Ma Vie. Mon Double.

Par Colette

Texte de Colette

Welcome.

Où suis-je ? Avez-vous déjà connu cette sensation étrange d’arriver à un endroit sans savoir pourquoi ? Moi, quand je suis arrivé ici, je ne savais ni où je me trouvais, ni pourquoi… A vrai dire, je ne savais pas grand-chose. Ce n’est qu’après quelques jours passés dans un sommeil profond, que je me suis réveillé et que j’ai enfin compris.

Cela faisait des mois et des mois qu’ils l’attendaient…

Cela faisait des mois et des mois que j’avais déposé mon dossier à l’agence. Je n’en finissais pas de toute cette paperasse ! Information personnelles, situation familiale, professionnelle, loisirs… Sans parler des enquêtes sociale, judiciaire… Tout avait été contrôlé, disséqué minutieusement et dans les moindres détails avant qu’on me confirme que j’étais sur liste d’attente. Cela pouvait aller très vite … ou pas ! Tout était fonction de l’avancement du projet. Personnellement, j’avais opté pour une demande dans du neuf, n’ayant jamais été occupé pour éviter les travaux de rénovation. Un matin de janvier, on m’a appelé pour m’annoncer que mon tour était enfin arrivé ! J’allais être conduit directement dans mon nouvel appartement par un chauffeur un peu « spécial » …

Ils vivaient dans une petite maison à l’abri de la ville. Ensemble, ils avaient fait le choix de devenir des insulaires. Ici c’était leur paradis. Chaque jour qui passait, ils ne cessaient de contempler ce qui s’offrait à eux. De la fenêtre de la chambre, l’horizon était peint telle une toile de maître. Leurs regards s’y perdaient. Elle aimer se nicher sur la rambarde. Elle sentait l’iode fouetter ses joues. Lorsque le vent se réveillait, les embruns venaient chatouiller son visage. Elle fermait les yeux. A l’écoute de ce qu’elle avait toujours espéré. Le jardin s’étendait jusqu’aux premiers grains de sable de la dune. Derrière elle, majestueuse et solennelle, la Mer. Elle leur avait promis de veiller sur eux.

Oulala, c’est tout noir ici ! J’avais demandé du neuf… Je pensais quand même que l’électricité fonctionnerait. Pff… manquait plus que ça ! Bon sinon ça va. Il règne une atmosphère paisible. La décoration est sobre et épurée. A moi d’ajouter ma touche personnelle. L’air chaud me rassure. L’espace n’est pas très vaste, mais en fonction de ma position dans la pièce, j’ai l’impression qu’il s’étire. Pour l’instant, je ne connais pas mes voisins. Je crois qu’en fait je suis seul dans la résidence. Je profite de cette tranquillité. J’ai choisi l’option « all in utero » (c’était compris dans le pack de bienvenue !) qui me permet de savourer de délicieux repas livrés à domicile. Le personnel est disponible et ponctuel, c’est appréciable. Je jouis également d’un mini bar à ma disposition 24 heures sur 24. Lorsque j’ai besoin de quelque chose, je sollicite le concierge. Il est très serviable. Nous avons établi un code ensemble : je donne quelques coups de pieds et il vient à ma rescousse.

J’avais tout de suite compris. Aux pépites dorées qui luisaient dans ses yeux, j’avais su. C’était un soir de grande tempête. Pour une fois, elle était rentrée tôt. Ensemble nous avions rassemblé du bois dehors pour faire une flambée. Elle était venue se lover contre moi. Je l’avais serrée comme jamais. Je voulais l’inonder d’amour. Nous n’avions pas parlé. Nos regards s’enlaçaient. Seul le crépitement des branches complices occupait de cet instant.

Non mais ça ne va pas la tête ! On n’a pas idée de réveiller les gens ainsi ?! Alors que je profitais de ma troisième sieste quotidienne, un rayon lumineux du style sabre de Dark Vador est venu m’éblouir. Au départ, j’ai cru à un cauchemar, mais une fois bien réveillé, impossible de lui échapper. A croire qu’il me traquait. Ca a bien duré vingt minutes l’histoire. Il faudra que j’en parle au concierge. Autant au début, j’ai vraiment apprécié cet endroit, autant maintenant que je me suis bien reposé, je n’ai qu’une envie c’est d’en sortir. J’ai envie de découvrir ce qu’il y a dehors. Il me faut encore patienter. J’ai signé un bail de neuf mois.

Le printemps pointe le bout de son nez. Enfin. Nous sommes au mois d’avril. Le soleil baigne la maison. La nature a repris le contrôle. La rudesse du climat de cet hiver n’a pas eu raison des derniers semis. Le potager reprend des couleurs.

Ding Dong ! Tiens ? Qui sonne donc à cette heure-ci ? Et puis c’est bizarre, je ne souviens pas d’avoir déjà entendu la sonnette depuis que je suis arrivé. Je croyais que j’étais seul à cet étage.

« Salut ! Je suis « Ta Ju » ! On m’a dit qu’on était voisins. A ce qu’il paraît, nous sommes arrivés en même temps ici. Toi aussi tu restes là jusqu’en octobre ?! »

Jamais je n’oublierai ton visage. La pièce était petite, plongée dans une obscurité intimiste. L’air était chaud. L’écran s’alluma. Nous attendions cet instant avec impatience et envie. Sur ton ventre arrondi glissait ce télescope aux supers pouvoirs. Nous apercevions des formes curieuses. Nous étions attentifs et perdus. Ce n’est qu’une fois que l’image s’est stabilisée que le médecin s’est tourné vers nous. Ta main est venue chercher la mienne… Bientôt, nous serions quatre !

 Par Colette

Texte de Colette

Il est six heures. Comme chaque matin, cela fait déjà de longues minutes que mes yeux scrutent les mouvements des petits bâtons rouges sur le réveil… J’aime savourer cet instant. En observant les lumières qui décorent la nuit, je pense. Je m’égare. Ma main vient machinalement attraper une capsule de café. Je m’installe à table. Les jambes en tailleur. Humant les arômes délicats offerts par la potion noire.

Il est là. Déposé négligemment sur le plan de travail. Tel un miroir, il renvoie des reflets tranchants. Ses courbes sont précises. Le fil de coupe ne laisse aucune place au hasard. Il transperce sans hésitation. J’aime cet objet. J’aime l’idée de pouvoir le posséder. Chaque jour, il cache son jeu. Se plie aux préparations. Cisèle. Epluche. Découpe. La face cachée du miroir est tout autre…Secrète. Elle réside dans le pouvoir que ressent celui qui se saisit du manche. L’image est alors celle d’une arme blanche. Le geste doit obéir à une perfection sans faille. Il suffit d’un coup. Bref. Efficace. Net. « Je serai content d’avoir ta peau vieux chameau ».

A cette heure-ci l’appart est calme. Lui n’a pas encore ouvert l’œil. Je passe un orteil sous l’eau glacée qui s’écoule puis je m’y jette tout entière. J’ai besoin de ça. De sentir cette douleur. Des dizaines de stalactites se cassent. Ils se brisent et s’enfoncent sous ma peau. Je ne pense à rien. Je suis anesthésiée…

Par terre, il traîne. Englouti par une éruption de légos. Pedro n’aime pas ranger. Il préfère « tout laisser sorti pour pouvoir tout voir ! ». Ayant trouvé l’argument plutôt convaincant pour un gosse de quatre ans, j’ai laissé faire. Ce matin, le flingue de Batman m’appelle. Je fais rouler le barillet. Je gère. J’aime l’idée de toute puissance qu’il confère à celui saisit la poignée. Je voudrais être cette balle tirée de sang froid. Celle qui atteint la cible. Celle qui n’hésite pas. La course est rapide. Rien ne dépasse. J’appuie sur la gâchette. Boum ! Les ailes de la chauve-souris se déploient. C’est l’étendard du maître. Sa signature. « Tu ne perds rien pour attendre, je saurai bien te descendre ».

Midi. Pause déjeuné. Sortir. Aspirer l’air. J’observe les foules qui s’agglutinent autour de la porte. Comme les guêpes sont attirées par le sucre du miel. J’ai besoin de me mettre à l’écart. A mon tour j’allume ma cigarette. Je me délecte un instant. J’aimerais que cette plénitude dure. Pourquoi la sérénité est-elle si fugace ? Plus loin, on m’interpelle. « Tu as du feu ?! ». Si seulement. Si je pouvais posséder ce feu… Je coupe court et tends mon briquet.

Longtemps, je me suis demandée comment les flammes pouvaient faire table rase. Il suffit d’un clic. Un frottement rapide entre la lèvre rouge de l’allumette et le corps ébréché de la boîte. Ils échangent un baiser. Intense.ils font ainsi naître la flamme. Mélange d’un désir ardent et d’une violence extrême. Alliage parfait à température bouillante. Rien ne résiste. « Je t’aurai vite refroidi, vieux bandit ».

Ce soir, je rentre de nouveau dans la nuit noire.

J’ai décidé de tout arrêter. Saletés pour oublier.

C’était il y a un an. C’est comme si c’était hier : « Je serai contente quand tu seras morte ».

Trinquons à ta santé. Champagne pour « la plus belle cuite de ma vie, le jour de tes funérailles, vieille canaille. »

Par Colette

Texte de Colette

Bip… bip… bip… vous avez un message.

Zut, encore raté ! En même temps, ils sont bien gentils les gens ! Ils m’appellent au milieu de l’après-midi ! Mais qu’est-ce qu’ils croient ?! Je bosse moi ! C’est monsieur Martin qui est sur la table. Je l’aime bien monsieur Martin. Il a fait partie de mes premiers patients… Il y a dix ans de ça, j’étais jeune diplômée. Difficile de débarquer dans ce petit village d’Eure et Loire, reprendre la patientèle d’un docteur apprécié. Il m’est arrivé de douter à l’époque. Grâce à monsieur Martin et à d’autres habitants, j’ai réussi à me faire accepter. Il a fallu du temps, de l’écoute, de la douceur et énormément de patience.

C’était il y a longtemps…

Je renouvelle l’ordonnance de monsieur Martin, lui prescrit de surtout « prendre soin de lui » et le raccompagne. « Au revoir ma petite Marie. Vous savez, sans vous… Vous avez vraiment le cœur sur la main… » Nous échangeons un sourire et je file vite sans regarder « l’état » de la salle d’attente ; puisqu’évidemment, je suis en retard, comme d’habitude !

J’attrape mon téléphone enfoui sous l’amoncellement de paperasse. C’était Sacha. Comme chaque année, il avait lancé la machine. C’est mon tour.

« Non les gars, M…. ! C’est toujours moi qui m’y colle ! » J’en ai marre de tout ce boulot. Je passe ma vie au poste et maintenant, en plus des vols à main armée, je dois aussi gérer les mains courantes.

Café noir, cigarette. J’ouvre la fenêtre à la recherche d’air « plus pur »… L’hiver arrive. Ca pique. La journée d’hier a été dure. Un viol, deux agressions et une filature. Je revois ces visages, témoins d’une société en perdition. Quand j’ai commencé, j’avais la foi, j’y croyais dur comme fer. Animé d’une flamme que je peine à rallumer, j’étais convaincu que chaque individu en valait la peine. Aujourd’hui, je croise mon regard dans le miroir… Je suis moche. Fatigué. Triste et presque vieux.

Soudain, une voix me sort de mon marasme : «  Antoine ça sonne là ! » Je reviens à la réalité en une demi-seconde. J’écrase mon mégot. « Antoine, c’est Marie… » Sa voix était douce. L’entendre éloignait mes idées noires. Elle me rappelait mes grandes années. Elle me ramenait aux sources. A la source. La conversation ne dura pas. J’entendis son sourire lorsqu’elle me dit au revoir. Maintenant, c’est mon tour.

Je la regarde. Je pourrai passer ma vie à la regarder. A contempler ses mains. A observer chaque mouvement de ses doigts. Ils sont animés de grâce. Elle effleure les blanches et les noires comme le sol glisse au début de la portée. Ses ongles vernis sont comme un clavier qui danse. Les notes s’envolent dans une chorégraphie précise et parfaitement réalisée. L’harmonie est telle que la mélodie semble improvisée par un génie. Elle seule a le pouvoir de me transporter ainsi. La musique me soulève. Immobile, je danse. Elle avait été mon élève. Très vite, j’avais compris qu’elle était portée par la délicatesse de la musique. Très vite, j’avais senti quelque chose de fort. Une sorte de merveille à laquelle un homme ne peut résister. Les effluves de ses harmonies m’ont conquis tout entier. La beauté de son corps m’a envouté. Aujourd’hui, notre vie se joue chaque jour comme un soir de première. Nous traversons le monde sur du Mozart. Aujourd’hui, nous avançons l’un sous la baguette de l’autre. Nous sommes chefs de notre partition de vie. Nous inventons ensemble le concerto de notre existence commune. Dans quelques minutes, je la rejoindrai sur le banc pour notre « quatre mains ».

Je sens une vibration dans ma poche. Qui pour perturber cet instant ? Le nom d’Antoine s’affiche sur l’écran. Je passe vite la porte du sas pour décrocher. Les flocons volent et s’évanouissent au contact de la nuit qui tombe. C’est mon tour.

Les gouttes d’eau bouillantes viennent piquer mes épaules. Mon corps s’autorise à profiter de cet instant. Ma main droite vient lentement caresser mes cheveux. La buée envahit la pièce. Je souffle sur cette fumée rassérénante. Je dessine les contours abrupts de cette vie pointue. Je m’accomplis dans l’oxymore auquel j’assiste avec délectation. La femme froide et cassante baisse les armes devant la chaleur et la douceur du moment. C’est bref. C’est intense. Mes yeux se ferment. La nuit a été courte. Rentrée à 4h. Je n’ai pas fermé l’œil. Je vis à Londres depuis deux ans maintenant. En réalité, j’hiberne dans un sous-marin revêtu d’écrans. Les chiffres ne cessent de défiler. Je ne perds jamais le fil et garde toujours un œil sur le cours. A n’importe quelle heure. N’importe où. J’obéis aux fluctuations et j’agis en fonction. C’est moi qui donne les ordres. J’ouvre un œil et songe à ce qui m’attend. Je m’apprête à enfiler mes gants de velours noirs. L’hiver a déjà commencé. Les mains de fer sont précieuses…

C’est mon vieux blackberry français qui me sort de mes pensées. Je réponds. La voix de Nico nage dans un océan de notes de piano… C’est mon tour.

Je m’appelle Sacha. J’ai trente-huit ans. Je dirige le foyer de la « main tendue ». Je suis leur dénominateur commun. Le plus ancien c’est moi. Je suis arrivé ici il y a vingt-cinq ans, après avoir erré de familles d’accueil en foyers de l’état. Ici, j’ai trouvé des repères. J’ai grandi. Et surtout, je les ai rencontrés. Nous sommes tous arrivés la même année. Un soir de décembre, nous nous sommes promis de toujours rester liés comme les cinq doigts de la main. Chacun peut compter sur celui qui le suit. Tous peuvent compter sur chacun. Chaque année, à l’approche de Noël, notre téléphone arabe se met en marche pour organiser nos retrouvailles. A cinq. Comme avant.

« Sachaaaa, téléphone pour toi ! » Je décroche. C’était Iris. C’est bon. Le tour est terminé. La machine a bien fonctionné. Nous serons bientôt là. Ensemble. Comme avant.

Par Colette

Texte de Colette

Je suis tel Baudelaire, saoul, envoûté par le charme caché des substances. Poète des crus classés, je tente de deviner quels alliages se sont mêlés pour créer ces douces liqueurs. Je me plais à imaginer le grain depuis son cep. Je me surprends à retrouver la famille et la naissance de chaque cru. « Là, où tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté ».

Nous y sommes.

J’ai mal dormi. Ivre de cauchemars. Il me faut avaler ces idées noires pour conjurer les maléfices qui ont hanté ma nuit. Café noir, douche froide. Je suis tendu. J’observe du coin de l’œil ce qui sera ma tenue d’apparat pour la cérémonie du sacre. Je songe aux membres de cette confrérie magique. J’imagine leurs voix, je sens le poids de leurs regards. Dans moins de trois heures, je serai face à eux. Mon rêve est tout proche… Si palpable que j’en tremble. Je ne sais quelles potions miraculeuses les maîtres m’auront sélectionnées.

J’avance à pas feutrés tout au long du couloir jusqu’à la salle de la Vieille Lanterne. L’atmosphère est baignée d’effluves envoutantes. Je suis tel un explorateur qui évolue sur la pointe des pieds jusqu’à ce qu’il espère découvrir. Je m’arrête un instant devant la porte de l’antre secrète. J’inspire profondément. Je jette un rapide coup d’œil à ma queue de pie. La porte s’ouvre lentement. Mon cœur bat la chamade. J’accède à la première vision du cercle. Sobrement déposés sur une nappe tissée de velours rouge, les quatre élixirs me font face. A ma gauche, ils sont cinq. Parés de leur costume orné des plus grandes médailles, ils m’invitent à prendre place. Leurs visages sont cachés dans la pénombre. A moi de choisir le verre que je souhaite déguster. Mon angoisse est à la hauteur de ce qui se joue. Je suis l’acteur principal. Les autres attendent mon consentement pour ouvrir officiellement la cérémonie.

Je me dirige vers le verre numéro quatre. Je le saisis et la magie opère… Mon iris est alors captivé par la divine couleur de la potion. La robe éblouit par sa brillance et sa féminité. Le jus délicieux s’envole dans une valse aussi légère que maîtrisée. La texture est juste. L’harmonie qui se dégage lorsque je hume le liquide éveille ma curiosité et m’oblige à réfléchir. Tel un oiseau, je viens poser mon bec sur le bord du verre et laisser ma langue ne faire qu’un avec l’élixir divin. A la fois suave et délicat, le liquide se révèle au contact de mes papilles. J’en sais désormais beaucoup sur le mystérieux… Il vient d’une côte robuste. Il a grandit sur une colline de cailloux. En bouche, c’est son terroir qui s’offre à moi. Nul doute, sa bouche est puissante et arrondie. Il n’est plus tout jeune. Nous nous sommes déjà rencontrés il y a quelques années… Il a mûri, il a bien vieilli… Evidemment un Saint-Estèphe. Mes lèvres effleurent de nouveau sa robe… Il est puissant et élégant. Nul doute, un Cos d’Estournel. Il est rare, sensuel et délicat. Il est celui que je voudrais être : un 2010.

Je m’incline face au cercle de mes maîtres et m’apprête à leur livrer l’identité de l’élu. Leurs mains se croisent et ils disparaissent pour un moment dans l’obscurité totale. A la lueur de la bougie, je déclame mon poème, mon ode à celui que j’ai reconnu. Après de longues minutes hors du temps, les cinq magiciens face auxquels je me trouve s’animent. La lumière revient peu à peu. L’un d’entre eux s’adresse solennellement à moi et me remercie. Sa voix est grave, cinglante comme un silex taillé. Le plus petit d’entre eux m’accompagne jusqu’à la sortie de la grotte secrète et me donne rendez-vous le lendemain pour la suite des épreuves.

« Jean eh oh ! »

Seulement après quelques secondes d’absence, je tourne la tête et je l’aperçois. Marie m’attend, un cornet de châtaignes grillées dans une main et un vin chaud dans l’autre. Tout à coup, le froid et la bise qui souffle viennent pénétrer mon corps. Je ne sais absolument pas quelle heure il est. Sur la place, des enfants construisent des bonhommes de neige.

« Alors raconte ! Comment ça s’est passé ?! »

Je m’appelle Jean. Je viens de débuter le concours du meilleur sommelier de France.

Par Colette

Texte de Colette

Un jour j’irai à New York avec toi…

Lui.

Il est assis à une petite table devant un café noir. Des raies de lumières viennent percer les baies vitrées du bâtiment. Il regarde dehors. Au loin, ses yeux se perdent. Il se prépare. Il essaie. Aéroport Roissy Charles De Gaulle. Destination : Ailleurs.

Jusqu’à Ce jour de janvier, Paul travaillait comme médecin généraliste dans un cabinet d’urgences. Il avait bien réussi. Il aimait son travail. Il vivait avec elle. Ensemble ils étaient heureux. Ils partageaient tout. New-York, ils en avaient toujours rêvé. Ils se l’étaient promis « un jour, ils iraient là-bas ».

Elle.

Elle est partie. Elle n’est plus. « Elle a vu son cœur se vider et saigner ». Jusqu’à ce jour de janvier, Marie était écrivain. Elle mangeait des livres et en cuisinait chaque jour de nouveaux. Elle jonglait avec les mots comme le chef peaufine ses recettes. Elle ne s’autorisait aucune imperfection. Les phrases devaient être justes, percuter le lecteur. Marie s’appliquait dans un travail d’orfèvre pour que ses mots chantent ensemble l’histoire.

Eux.

Elle avait été sa patiente au cabinet, un soir de bonne grippe. Il l’avait soignée. Leurs regards n’avaient pu se détacher. Pour faire passer sa fièvre, il l’avait invitée. Dans sa voiture, Téléphone les berçait. C’était l’hiver. Il neigeait. Ils s’étaient embrassés et ne s’étaient plus jamais quittés. Leur histoire ressemblait à un conte moderne. Elle se sentait princesse. Il savait qu’elle l’avait transformé. Il n’était plus crapaud. Un matin, après avoir soigneusement séparé les deux barres de chocolat de son pain, elle l’avait longuement regardé. Et elle s’était lancée : « je voudrais un mini nous ! ». Jamais il n’avait osé aborder la question avec elle. Par pudeur, par timidité…par connerie ! Ils avaient du chocolat partout, il la serrait dans ses bras et la faisait tourner tourner tourner.

Du café coula sur le parquet craquant. Et ils virent « leurs corps se serrer ».

Après 275 jours de rires, de joies, de peurs, de grandes folies et de petites peines, après presque 9 mois de révolution interabdominoplanétaire « made in » foeutusland, le big bang est arrivé ! Soudain ! Brutal ! Top départ. Pas le temps pour un compte à rebours. Réveil en sursaut pour Paul. Marie crie beaucoup. Beaucoup trop pour Paul. Beaucoup beaucoup trop pour le médecin. Arrivés à l’hôpital, Paul est prié de sortir. Marie s’est évanouie. Les portes se ferment. On l’appellera. On viendra le chercher quand ça commencera. Il ne comprend pas. Il ne veut pas réfléchir. On l’a appelé. Il est venu. Ca a commencé sans lui. C’était mieux comme ça.

Elle et lui.

Muse est née. Ils devaient être trois. Marie a été emmenée par in Farctus. Rare. Rapide. Violent. Méchant. Il s’est attaqué à son cœur. Paul a voulu partir avec elle. Muse l’a ramené à la vie. Rien ne sonne comme avant. La mélodie est nouvelle. Il faut suivre une partition inconnue. Et se surprendre à vivre. Muse a eu deux ans. Paul a décidé de partir avec elle, là où ils auraient dû partir avec Marie. New-York, Téléphone, le tourbillon de la vie… Tout quitter. Tout reconstruire ailleurs. Essayer.

« Tu m’emmèneras ! Emmène-moi » papa !

Par Colette
Lorsqu’elle écrit Colette n’a pas d’âge…
Les mots s’enfilent comme des perles sur un collier…
Les textes qu’elle écrit ne vivent que sur l’écran de son ordinateur ou sur les pages de ses carnets.
Aujourd’hui, elle décide de se lancer un défi,
Elle a envie,
Elle a peur,
Elle est impatiente,
Elle imagine,
Elle est heureuse d’écrire, là, maintenant, tout de suite ; de penser à ce qui l’attend…

Texte de Colette

« Faire du ciel le plus bel endroit de la Terre »

 Juin 2015.

Aéroport de Roissy Charles de Gaulle. 23h20. Vol AF442. Boeing 777-300.
Après 365 jours derrière ses barreaux. 365 jours « sans vie ». 365 jours sans goût. 365 jours seule. Fleur vient d’embarquer. Sans bagage. Seule, aussi.

La veille, elle avait ouvert la boîte. Elle avait trouvé l’avion. Elle l’avait déplié.

Aujourd’hui, elle était là.

Juin 2014.

Jules lui avait donné une boîte. Un carton. Vaguement scotché. Un peu abîmé. Comme lui.

Fleur ne voulait pas. Mais il lui avait fait promettre de le garder. De l’ouvrir. Un jour. Quand elle se sentirait prête. Quand elle en aurait envie.

Et puis, Jules est parti. Définitivement.

La douleur a été terrible. Fleur ne reconnaissait pas sa vie. Elle assistait à ce qu’il se passait telle une spectatrice discrète et distraite. Elle n’était pas là. Chacun se pressait, l’embrassait, lui assurait son soutien. Elle était étrangère. Elle était seule. Noyée dans le brouillard de sa vie. Déambulant dans une existence inconnue. Elle aurait voulu s’envoler avec Jules.

Ça a duré un an.

Juin 2015.

Aéroport de Rio de Janeiro. 05h30. Atterrissage.

Il y a un an, Jules a pris un billet sans retour. Otage du grand Glio. Anéanti par une tumeur cérébrale.

Jules et Fleur étaient des âmes sœurs. Jamais l’un d’eux n’avait vécu sans l’autre…

Et puis, cette boîte. Un matin de juin, Fleur avait eu envie de l’ouvrir. A l’intérieur, elle avait découvert un avion en papier. L’aéroplane était habillé d’un revêtement manuscrit. Une écriture maladroite et malmenée par les turbulences cérébrales. Cette flèche volante avait sorti Fleur de sa torpeur. Décollage immédiat…

Ma Fleur,

Si me duermo mi amor…

Aujourd’hui tes paupières s’ouvrent péniblement. Je voudrais être là et venir te chuchoter « si me duermo mi amor »…

Hier, après une furieuse bataille, j’ai rendu les armes. Malgré moi. Malgré l’amour dont tu m’inondes. Nombreux ont été à me soutenir. J’ai lutté. Sans haine contre mon adversaire. Avec rage et envie. Je suis allé au bout de moi-même.

Elle est arrivée dans notre vie brusquement. Sans prévenir. Elle a débarqué. Sans bagages. Après un atterrissage périlleux, elle s’est installée. Elle a fait connaissance avec l’ensemble de mes neurones. En cachette.
Quelque chose n’allait pas. Comment savoir? Pourquoi ne voulait-on pas savoir vraiment? Enfermer cette soirée aux urgences dans une valise. L’envoyer loin.
Trop tard. La tempête. La violence avec laquelle nous avons été heurtés venait d’ailleurs. Nous avons rapidement compris qu’il faudrait combattre avec force et envie. Ne jamais s’avouer vaincu. Saisir les courts répits comme des parenthèses enchantées. Lui envoyer notre bonheur en pleine figure. La mettre à terre. A son tour.
Malheureusement, ces phases ne duraient jamais. Il fallait rebondir. Toujours.
Chaque étape était plus ardue. Plus rude. Plus féroce. Je n’ai jamais perdu espoir. Tu étais là. Toujours. Ton amour me portait. Ta volonté et ton courage m’ont amené au bout de moi-même. Pour moi. Pour toi. Pour nous. Ta tendresse et ta folie m’ont animé tout au long de ce voyage.

Aujourd’hui, de mon hublot je t’aperçois. Tes larmes coulent. Ta peine est immense. Ta douleur semble insurmontable.
« Si me duermo mi amor »… Je voudrais faire briller le soleil plus fort que jamais. Te dire combien je t’aime. Te dire que là où je suis, dans cet avion de l’inconnu, j’ai trouvé le calme. Je suis assis. Je te regarde. Je souris.
Je me suis endormi avec ton visage. J’ai vécu un rêve depuis le jour de notre rencontre. Je relis notre vie. Tu es belle. Je suis là. Tout près. Toujours.

Jules

 

Fleur a décidé de continuer à vivre. Ailleurs. Autrement.

Jules aurait dû être muté au Brésil en juillet 2015. Evidemment, elle l’aurait suivi.

Alors elle y est allée. Elle ne sait pas ce qui l’attend. Elle ne sait rien en fait.

Elle n’a plus peur parce qu’elle sait qu’il est là.

Au dessus d’elle.

Là haut. Dans les nuages. Là, où il avait toujours voulu être.

« Et la mer, quelle saloperie ! »

 

Par Colette
Lorsqu’elle écrit Colette n’a pas d’âge…
Les mots s’enfilent comme des perles sur un collier…
Les textes qu’elle écrit ne vivent que sur l’écran de son ordinateur ou sur les pages de ses carnets.
Aujourd’hui, elle décide de se lancer un défi,
Elle a envie,
Elle a peur,
Elle est impatiente,
Elle imagine,
Elle est heureuse d’écrire, là, maintenant, tout de suite ; de penser à ce qui l’attend…

Texte de Colette

Pourquoi tout à coup, autant de monde après moi ? J’étais tranquille jusqu’à maintenant moi ! Je tiens quand même à vous préciser, mes chers, que lorsque je suis arrivée ici, personne ne s’est précipité pour m’accueillir. Il a fallu que ce soit moi qui organise une fête et qui pende la crémaillère.

Vous vous en souvenez de ce soir là hein ?!

Jules, la quarantaine, rentre, comme à son habitude, bien, 22h, dans ses baskets, après une bonne journée de boulot. Il est certes un peu tard ; mais on s’en moque. Il est heureux Jules. Il vit de sa passion et existe grâce à, avec, son âme sœur. Voilà. Jules est comme ça. Là, il a hâte de retrouver la femme. Sa femme. Fleur. Les ampoules des lampadaires de la rue clignotent. Ses yeux se posent sur l’un d’entre eux. Et… Ils s’arrêtent. Net. Plus rien ne bouge. Il se croit immobile. Pourtant, l’instant d’après, Jules est à terre. Paralysé ? Il est tombé de toute sa hauteur. Son corps s’est mis à trembler. Fort. Impossible pour lui de faire quoi que ce soit . Il est 22h15. Il est allongé sur le sol. Seul. Il convulse. Il « s’endort ». Depuis cette soirée là, leur vie, tout ce qu’ils s’étaient appliqués à construire, eux, Fleur et Jules, a basculé dans la terreur, l’angoisse.

Ben quoi ?! Il fallait bien que j’invite du monde à ma soirée ! Bon ok. Désolée, si en dansant, mes nouvelles copines et moi, on a un peu fait valdinguer le plafond. Mais bon, ce n’est pas une raison. Depuis ce soir là, vous ne me lâchez plus ! Articles de presse, reportages TV… Je suis une « people »  et les paparazzi me traquent. Ils feraient tout pour obtenir un cliché de moi. Une photographie bien belle, de près de préférence et surtout pas floue ! Pour ça je ne vous raconte même pas ce qu’ils utilisent… Le numérique c’est dépassé. Maintenant, ils sortent l’artillerie lourde, de vrais robots avec téléobjectifs intégrés. J’ai cru comprendre qu’ils appelaient cela IRM. La semaine dernière, je ne sais ce qui a déclenché la foudre, mais j’ai été victime d’une tentative d’assassinat au laser. Les agents de police du LCR m’ont indiqué qu’il s’agissait d’une arme produisant des rayons ciblés. Encore un truc de psychopathe ! Certainement un pervers dégénéré qui jalouse ma célébrité soudaine ! Bon, quoi qu’il en soit, j’ai bien compris la leçon. Pas d’inquiétude. En ce moment, je vis terrée dans ma substance blanche. Je fais timidement connaissance avec mes voisins. Je crois qu’ils m’aiment bien. Petit à petit, je « fais mon trou », comme on dit. Ils n’arrêtent pas de m’inviter chez eux. Tiens, hier, j’ai été conviée chez monsieur le maire. Bel homme ce monsieur Calleux. Et puis, il est tellement fédérateur. Grâce à lui, on peut traverser facilement les lobes, sans frontières, ni passeport (ce qui m’arrange bien… je suis arrivée précipitamment du pays de l’Infection et pour l’instant, je suis toujours sans papiers ici…).

Jules, couché dans un lit d’hôpital. Il pleut. Jules est gris. Moche. Flétri. Gonflé. Desséché. En quatre mois, il semble avoir pris dix ans.  Il ne vit plus vraiment. Un administrateur central a pris le contrôle de tout. De ce qu’il ressent. De ce qu’il dit. De son comportement. De sa vue. De tout. Seule, Fleur reste. Elle aussi on l’a dépouillé de tout. De sa vie. Et plus ils avancent, moins ils ont envie de savoir. Ils souffrent ensemble. Tentent d’affronter l’horreur.

Je m’appelle Glio. Aujourd’hui cela fait quatre mois que je vis dans la substance blanche de Jules. Je me sens bien ici. Je m’étale, je m’éclate, je défonce tout. Jules et les autres, les humains, ils veulent ma peau. Ils me détestent. Ils me trouvent horrible, méchante, dévastatrice. Physiquement, je ressemble à un papillon. Comme lui, je grandis et je me transforme. La chrysalide se méta-morphose. Je suis une nymphe au pays des neurones. Je laisse sur mon passage des bribes de cocon, des méta-stases. Partout. Je suis la reine. J’infiltre tout. Le cortex m’appartient.

Jules, la quarantaine bien tapée. Les yeux clos. Son cœur bat. Ses yeux ne s’ouvrent plus. Bientôt, il ne sera plus. Je l’ai bien bouffé.

Par Colette
Lorsqu’elle écrit Colette n’a pas d’âge…
Les mots s’enfilent comme des perles sur un collier…
Les textes qu’elle écrit ne vivent que sur l’écran de son ordinateur ou sur les pages de ses carnets.
Aujourd’hui, elle décide de se lancer un défi,
Elle a envie,
Elle a peur,
Elle est impatiente,
Elle imagine,
Elle est heureuse d’écrire, là, maintenant, tout de suite ; de penser à ce qui l’attend…

Texte de Colette

« Badi Bada Feu Clap Clap » .
Un tourbillon.
Une tornade.
Un engrenage complexe parfaitement réglé.
Et toujours ce moteur qui tourne en boucle.

« Badi Bada Feu Clap Clap ».

Lui.
Son corps ne cesse de bouger. L’œil de l’autre ne peut le suivre. Le sien ne peut fixer celui de l’autre. Il semble animé par une transe secrète. Lui-même possède-t-il la clef ? Simultanément ses mains claquent. Vite et fort.
Toujours cette chorégraphie mystérieuse,

« Badi Bada Feu Clap Clap ».

Peu importe ce qui l’entoure.
Peu importe ceux qui l’entourent. Jusqu’à épuisement il persévère. Se rassurer. Essayer.
On l’effleure. C’est un cataclysme qui survient. Il s’effondre et entraîne l’autre dans sa course infernale.
Toujours cette rengaine infernale.

« Badi Bada Feu Clap Clap ».

Des cris. Des onomatopées. Des gestes. De larges mouvements qui semblent déraisonnés.
La culpabilité est un gouffre dans lequel l’autre se noie. Je retiens mes sanglots. Mon cœur a pris l’habitude de battre la chamade au rythme de ce refrain lancinant. Si seulement je pouvais décrypter le code, identifier la formule, interpréter, mettre du sens. Je suis à la fois aveugle, sourde et muette face à lui. Je me déteste.
Toujours cette angoisse criante qui explose.

« Badi Bada Feu Clap Clap ».

Je m’appelle Zoé, j’ai 33 ans et je suis maman d’un merveilleux petit garçon, Pablo. Je l’aime plus que tout.
Aujourd’hui c’est l’anniversaire de Pablo. Il a cinq ans. Je voulais qu’il souffle ses bougies, sur son gâteau, comme un grand. J’avais fait une tarte aux fraises. Pablo adore les fraises. Enfin, Pablo adore surtout le rouge. De fait, il adore tout ce qui est rouge. Bref, c’était une mauvaise idée ce gâteau avec ces bougies. Pablo a eu peur.
Et comme toujours…

« Badi Bada Feu Clap Clap ».

Pablo a été diagnostiqué autiste l’année dernière. Je ne peux résoudre. J’ai peur moi aussi.
Toujours maintenant.

« Badi Bada Feu Clap Clap ».

Par Colette
Lorsqu’elle écrit Colette n’a pas d’âge…
Les mots s’enfilent comme des perles sur un collier…
Les textes qu’elle écrit ne vivent que sur l’écran de son ordinateur ou sur les pages de ses carnets.
Aujourd’hui, elle décide de se lancer un défi,
Elle a envie,
Elle a peur,
Elle est impatiente,
Elle imagine,
Elle est heureuse d’écrire, là, maintenant, tout de suite ; de penser à ce qui l’attend…

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