Texte de Melle47 – « La Panne » *

Clémentine ferme les yeux, gonfle ses joues, soupire bruyamment. Elle laisse glisser son dos contre la paroi jusqu’à poser doucement ses fesses au sol. Elle ramène ses jambes contre elle, les serre, cache son nez dans ses genoux, se donne un moment. Elle se sent abandonnée, tout est si calme autour d’elle, il fait si sombre. Le souffle d’une respiration lente caresse à peine ses oreilles. Elle lève la tête, ouvre les yeux. Devant elle, l’autre lui sourit. Elle lui rend son sourire.
« Hey, je m’croyais seule ».
Nouvel échange de sourires timides. Clémentine se détend, elle n’est pas seule finalement. Elle déplie alors ses jambes, les agite pour faire circuler le sang puis les croise en tailleur. Le sol est froid, ça n’est pas très agréable. L’autre jeune fille, qui en a fait de même, grimace.
« T’as raison, heureusement qu’on n’s’est pas mise en mini-jupe ce matin », approuve Clémentine.
Elles rigolent. Le silence revient. Elles ont posé leur sac à côté d’elles. Se font face, s’observent, se jaugent peut-être, se questionnent sans doute. C’est presque si elles pourraient se toucher du bout des doigts, mais aucune ne semble vouloir bouger.
Clémentine frotte ses mains sur ses cuisses, pour se détendre, se réchauffer. Pour se donner contenance aussi. Elle n’ose pas trop… L’autre non plus. Alors, elle se lance, lève les sourcils en forme d’interrogation.
« Je t’propose un truc. En attendant… Hum, je n’sais pas trop quoi d’ailleurs… On pourrait se faire un brin de méditation ? ».
Elle accompagne sa proposition d’un hochement de tête enthousiaste. Cette fois, c’est elle qui sourit. L’autre acquiesce excitée, avec toutefois une question au bord de ses grands yeux.
« T’en as jamais fait ? Hum… pas grave… moi j’en ai besoin en tout cas. Si t’es ok, tu me suis ».
Clémentine se tortille sur ses fesses pour s’installer au mieux. Se redresse. La jeune fille en face l’imite.
« Ouai, j’avoue… Avec tout ce silence tout autour, y’a de quoi être un peu tendues » admet Clémentine. « Regarde, fait comme moi. Tu poses tes mains sur tes genoux, bien à plat. Ferme les yeux, prend conscience de la chaleur de tes mains sur tes cuisses. Fait comme si nous n’étions plus ici. Respire… Laisse remonter doucement tes mains jusqu’à ton bassin. Tourne-les, paumes au ciel. Parait que ça laisse échapper les énergies négatives ».
Clémentine ouvre un œil, vérifie si l’autre suit. La prend sur le fait. Saisit qu’elle a fait tout pareil pour voir si elle fait bien comme il faut. Leur sourire semble moins craintif.
« Chut… On se concentre. Inspiiiire profondément par le nez. Expiiire doucement… Tu y es ? »
Elle perçoit leur lente respiration simultanée.
Clémentine essaye de se détendre, mais c’est compliqué soudain. L’angoisse monte, insidieuse. Elle étouffe, oublie qu’elle n’est pas seule. Son cœur s’emballe. Elle perd le fil des respirations amples et calmes qu’elle enseigne à l’autre. Ouvre les yeux. Le regard en face est tout aussi effrayé. Sans doute ne comprend-elle pas.
« Non, ça ne va pas ». Clémentine paniquée referme les yeux, baisse le nez, secoue la tête. « On nous a oublié ». Elle entend la petite voix qui la presse.
« Oui, je t’écoute… J’inspire… Un, deux… J’expire… Un, deux… »
Clémentine garde les yeux clos, retrouve peu à peu son calme, remercie sa compagne et laisse filer ses pensées noires loin d’elle. Ils vont venir, elle en est convaincue. Forcément. Elles ne peuvent pas rester enfermées comme ça pour toujours. Elle s’accroche à ses respirations, aux consignes, inspire, expire. Elle patiente, patiente encore…
Dans un bruit infernal, la vie reprend autour d’elle. Comme un parfait ensemble, synchronisé à merveille, la lumière crue cligne et s’allume. L’ascenseur reprend sa course là où elle s’était arrêtée il y a si longtemps. Les câbles secoués, grincent, freinent, la sonnette stridente la rappelle au monde des vivants et la porte s’ouvre enfin. Personne à l’étage. De nouveau, c’est le silence. Elle ramasse son sac, adresse un dernier sourire à son reflet dans le miroir et quitte les lieux.


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Une façon bien à toi (c’est à dire originale) de traiter le thème de la panne.
Sympa la façon de nous faire douter de la personne avec laquelle se trouve Clémentine. Je suis passée par quelques hypothèses foireuses, y compris la bonne, le reflet, mais sans être sûre de rien. Et je n’ai pas vu arriver l’ascenseur (si j’ose dire) !

C’est frais et léger, bien amené cette panne d’ascenseur… pour moi qui suis phobique, la méditation serait un des moyens pour m’échapper, aller au-delà de la peur. Merci pour ce moment de lecture

Je ne l’avais pas vu venir non plus cet ascenseur. Il est rondement bien amené. C’est ce qui s’appelle détourner l’attention. Focus sur Clémentine et la jeune fille en face d’elle. Je me suis imaginée aussi d’autre situations. Bravo Melle 47.

Même si j’avais vu le truc du reflet, je me suis demandé tout au long de la lecture où elle(s) étai(en)t ! C’est bien vu et bien amené. Un texte court mais efficace.
Je ne me suis jamais trouvée dans cette situation, mais je retiens la méditation.
Bravo Melle47 !

Tu m’as bluffée. Cette histoire de miroir et d’ascenseur. On ne s’y attend pas du tout. C’est parfaitement amené dans un style concis et super efficace. Bravo!

je n’ai moi non plus pas vu venir la panne d’ascenseur ! Quant au reflet de Clémence pas immédiatement non plus ! c’est subtil et cet instant de médiation reposant ! une belle écriture comme toujours.

En terminant la lecture du texte de Melle47, j’étais carrément jaloux : j’aurais adoré avoir cette idée sur ce thème. C’est très très bien vu — toujours le talent de Melle47 pour nous décomposer visuellement les multiples détails de l’action, et l’astuce consistant à cacher quelque chose de primordial au lecteur (ce qui est une tricherie usée et vraiment déconseillée d’ordinaire parce que du ressort des débutants) a fonctionné à plein. Déconseillée parce que le lecteur sent la tricherie, et se sent désagréablement floué ; là le talent est qu’il se sent dupé avec plaisir parce qu’il y a une deuxième couche : le coup du miroir malgré l’indice du tout début. Double filouterie. Ce genre de manipulation du lecteur n’est pas toujours aussi réussi, loin s’en faut. Comme quoi, hein, ce n’est pas une science exacte. Ça ferait un excellent court métrage (si on mettait vraiment deux jeunes femmes face à face). Court, efficace, enlevé et très malicieux. Félicitations.

Oui j’avoue je ne suis pas précis ou assez clair. Tu as raison. Ce qui est mauvais et est une erreur hyper courante de débutant c’est de révéler à la toute fin un truc qui a été tout le temps caché complètement. Exemple courant caricatural : « ah finalement, c’était un chien (un martien, un enfant, un mort… que sais-je) qui parlait » sans qu’à aucun moment il y ait eu un indice quelconque. Ou alors trimballer le lecteur dans un polar et faire apparaître ex nihilo le coupable ou un élément clé (qui du coup ne sert qu’à s’en sortir pour l’auteur, ou qui crée une surprise artificielle) dont on n’avait absolument jamais entendu parler à la toute fin. L’auteur croit faire preuve d’astuce mais en fait c’est frustrant car c’est trop facile et le lecteur le vit mal. Je lis des nouvelles depuis 30 ans en atelier ou pour des revues jadis et ce genre de combine (comme le « Ah c’était un rêve en fait ») est hyper courant chez les débutants.
Et donc tu as raison : oui, balader le lecteur et le surprendre, mais en mettant des indices et c’est ce que tu as fait dès le début par exemple le « Ah je me croyais seule », sinon c’est tricher. Là, OK.
C’est ce que j’ai dit (quand je parle de ta double filouterie installée) mais je n’étais pas clair, je le reconnais. Et quand je dis que ce n’est pas toujours réussi loin s’en faut, c’est lorsque l’auteur veut mettre des indices (ne pas tricher donc) il se plante aussi (ça se voit, on devine). C’est donc un exercice de dentelle que de le réussir.

Là en l’occurence c’est parfait. Pas besoin de mentir. Tu avais distillé des indices (et manipulé en entretenant l’ambiguité sur qui était l’autre fille) et juste caché le lieu alors que le miroir aurait dû nous mettre la puce à l’oreille (même si on n’aurait pas deviné complètement). Intrigué par l’autre fille, on oublie la question du lieu, et donc ça marche impec. Si tu me dis que ce n’est pas fait exprès, je suis surpris…
Je ne sais pas pour les autres, mais moi, j’ai l’impression d’une préméditation diabolique dans la construction 🙂

Édité 2 années depuis que c'est paru - par Francis

Curieusement, j’ai tout de suite pensé au miroir (quelques petits indices disséminés ça et là), mais jamais à l’ascenseur, et le fait de ne le découvrir qu’à la fin me paraît assez jubilatoire. c’est une belle réussite.

Il n’y a pas de problème avec l’ascenseur. Pourquoi dis tu qu’il pose problème ? Au contraire c’est toute la bonne surprise du texte.