Texte de Fantomette44 – « Méfiez-vous de la femme qui a faim » *

Charlotte ouvre les rideaux d’un coup sec et cligne immédiatement des yeux. Le soleil est plus haut qu’elle ne l’imaginait et l’épaisse couche de neige qui recouvre la route et une partie de son petit balcon réverbère une lumière blanche redoutable.

Quelle heure est-il donc ? Elle se retourne vers sa table de chevet et attrape sa montre-bracelet. Les sourcils froncés, incrédule, elle rapproche l’écran de ses yeux. Quoi, 10h45 ? Ça alors, elle avait dormi comme une pierre, ça faisait des mois ou des années qu’elle n’avait pas dormi aussi longtemps. Les cocktails de la veille y étaient-ils pour quelque chose ? Certes, le barman avait eu la main un peu lourde avec le rhum mais elle avait apprécié ce salon-bar cosy, le feu de cheminée et les deux types qui jouaient au poker pas très loin d’elle. Ils ne lui avaient pas parlé mais ils étaient jeunes, rieurs, exhalant la certitude d’une vie qui ne leur réserverait que de bonnes surprises. Comme elle aurait aimé être à leur place, grisée d’espoir et d’envie, légers, insouciants. Elle s’était prise à rêver à de nouveaux départs, à des décisions fortes. Le troisième cocktail avait presque réussi à gommer de son esprit l’image de sa patronne, ses petits yeux cruels et son ricanement odieux lorsqu’elle déversait sur son bureau une tonne de notes à traiter chaque matin, avec le mouvement implacable d’une benne à ordure. Elle l’avait surnommée Babayaga, le nom d’une ogresse qui lui faisait peur quand elle était enfant. Et contrairement aux jeunes hommes du salon qui se voyaient déjà rois du monde, sa seule aspiration était de balancer les dossiers à la tête de Babayaga et de lui crier, tiens bouffe-les tes satanés papiers, espèce de morue. Quelle tristesse.

Vous approchez du burn out avait diagnostiqué, quinze jours plus tôt, sa généraliste en lui tendant un mouchoir en papier, alors qu’elle sanglotait nerveusement. Faites une pause, prenez une semaine de vacances, un bon dépaysement, puis vous aviserez.

Quand elle avait posé sa demande de congés, Babayaga avait eu l’air estomaqué, comment ça une semaine de vacances ? En ce moment ? Mais l’ogresse n’avait pas pu refuser. C’était ça ou l’arrêt maladie, avait prévenu Charlotte. En tant que fonctionnaire, elle ne pouvait pas être virée, même si l’envie de démissionner la tenaillait quotidiennement. Mais elle n’avait pas le choix. L’État civil était loin d’être un tremplin vers d’autres carrières prometteuses. Et comme tout le monde, elle avait besoin de manger.
Ensuite, elle avait hésité. Thalasso ou séjour à la montagne ? Elle avait opté pour l’air vivifiant des Pyrénées. L’idée de se retrouver avec des petits vieux qui trainaient dans des bassins avec des charlottes en plastique sur la tête l’avait révulsée. De l’air, de l’espace, des gens dynamiques et sains, et qui sait, une belle rencontre.

Elle prend une douche rapide, se maquille et s’habille. Le pantalon fuseau qu’elle enfile la comprime. C’était une occasion, une marque trop chère pour son budget, mais miraculeusement soldée. Il ne restait qu’une taille, nettement en-dessous de ce qui lui convenait mais elle s’était convaincue qu’elle perdrait un ou deux kilos avant son départ. Bien sûr, elle avait choisi d’ignorer combien le stress la poussait à picorer, grignoter, puis boulotter fruits sec, biscuits, gâteaux. Et dieu sait si sa mégère de patronne l’avait stressée ces derniers temps.

Elle soupire, enfile un sous pull, puis un gilet en polaire. Le miroir lui renvoie une silhouette replète, pas désagréable, plutôt attendrissante, elle ressemble à une poupée un peu dodue, mais à son âge, 45 ans, et encore célibataire, on ne veut pas attendrir, on veut séduire. Elle pulvérise sur ses cheveux, et dans son cou une eau de toilette au cœur fruité.

Elle descend dans la salle à manger. Une serveuse finit de débarrasser. Une autre pousse les larges tables à roulettes où étaient disposés les mets du petit déjeuner. Il reste quelques croissants, des quignons de pain, des petits pots de miel entamés. Elle essaye de barrer le chemin de cette dernière.
« C’est trop tard pour le petit déjeuner ? »
– Oui Madame, c’est jusqu’à 10h 30 et il est 11 heures 20. »
Le ton est poli mais ferme. Aucune pitié pour la cliente paresseuse. L’envie de tendre la main et de chaparder un croissant dont il manque le bout la tenaille, mais elle n’ose pas. Quand la fille s’éloigne, elle arrive toutefois à saisir une banane oubliée sur une table. Franchement, ce n’est pas normal ce manque de souplesse. Et si on ne veut pas être les premiers sur les pistes, pourquoi ne pourrait-on pas faire la grasse matinée et manger un bon petit déjeuner ? Elle ne manquera pas de partager son ressentiment sur Trip Advisor. Cela leur fera les pieds.

Elle remonte dans sa chambre et mange la banane en trois bouchées. Elle aurait du dire quelque chose, protester, se plaindre. Elle réprime trop. Cette journée commence mal. Elle regarde à nouveau par la fenêtre. Il doit bien y avoir une boulangerie dans ce village? Elle remarque une devanture et un petit groupe qui se presse sur le trottoir. Des spécialités de la région ? Elle enfile son anorak, ou plutôt sa parka, là aussi elle s’est un peu laissée aller, mais elle n’allait tout de même par mettre son caban pour aller en montagne. Le col en fourrure rousse fait ressortir ses yeux mordorés. Dixit la vendeuse. Tant pis, à son retour elle ne mangera que des pâtes pour rétablir ses finances. De toutes façons, elle adore çà. Surtout recouvertes de fromage râpé.

Lorsqu’elle se retrouve dehors, elle avance précautionneusement sur la route enneigée. Ce n’est pas le moment de glisser et de tacher sa jolie parka. Elle se concentre tellement sur chaque pas qui s’enfonce en crissant dans la neige fraiche qu’elle découvre tardivement que la boutique en question est un office de tourisme, et non une boutique pleine de victuailles. Le groupe s’est rassemblé de côté, une majorité de femmes, deux hommes d’un certain âge, une adolescente maussade. Elle décide de rentrer dans l’établissement, on lui donnera peut-être l’adresse d’un salon de thé où elle pourra manger quelque chose. À peine le seuil franchi, un homme l’apostrophe.
« Hé bien, la voilà, notre dixième candidate ! ».
Elle sursaute, regarde autour d’elle, mais non, il n’y a personne d’autre, il ne s’adresse qu’à elle. Les sourcils haussés, elle dévisage l’homme qui lui fait face, il est grand, cheveux bouclés bruns virant vers le gris, des yeux bleus plutôt lumineux. Il lui décoche un sourire enthousiaste qu’elle ne s’explique pas mais qui la charme. Elle remarque ensuite une jeune femme derrière un comptoir circulaire, un stylo à la main, prête à l’action.
« Pour le circuit en raquettes, c’est dix personnes minimum. Avec vous, le compte y est. Vous êtes partante ? »

Charlotte reste interdite. Elle ne sait que répondre. Devrait-elle leur expliquer, là, maintenant, qu’elle n’a pas eu le temps de prendre un petit-déjeuner, elle ne dort pas si tard d’habitude, c’est même exceptionnel, mais elle était à bout, sa patronne la tyrannise, et la direction de l’hôtel n’est pas souple, alors elle a un peu faim, peut-être un autre jour…. Ses yeux vont de la jeune femme qui attend, le stylo pointé sur une liste, au grand type qui la scrute comme si elle était Sainte Thérèse de Lisieux, prête à exécuter un miracle. Elle s’entend dire :
« Un circuit en raquettes ? Je ne suis pas très bien équipée, mais pourquoi pas. »
Le type s’enthousiasme
« C’est formidable, vous allez voir, vous ne le regretterez pas, je le fais chaque année, le paysage est d’une beauté à couper le souffle ». Charlotte sourit gracieusement, ils sortent ensemble de l’office de tourisme, le gars annonce au groupe figé, grâce à Madame, nous pouvons faire l’excursion, et tout le monde d’opiner de la tête à son attention, bref hommage qu’elle reçoit avec plaisir. C’est si rare qu’on l’approuve. Elle mangera plus tard. Elle peut bien tenir un peu.

Une jeep s’arrête devant eux. La porte s’ouvre et un homme à la carrure impressionnante s’extirpe du véhicule et lui bouche l’horizon. C’est le guide. Il regarde sa montre, et claque des mains. Les raquettes sont à l’arrière, servez-vous et on part, on n’est pas en avance avec tout çà. Charlotte se demande à qui est la faute. Il est gonflé ce type. Tout le monde se sert et chausse les raquettes. Elle ne sait pas par quel bout les prendre alors l’homme aux cheveux bouclés vient à son secours. Il s’agenouille devant elle, il rit, et dit, vous allez voir, au début cela fait bizarre comme impression mais on s’habitue très vite. Et grâce à ces raquettes, on ne s’enfonce pas et on peut emprunter des chemins restés vierges. Il se redresse, l’encourage à tester son équipement et la regarde soulever malhabilement ses pieds de l’œil attendri de la biche qui observe les premiers pas de son faon. Elle est touchée par sa sollicitude, elle adore son grand sourire triomphant quand elle lève un pouce vainqueur après quelques pas.

Deux heures plus tard, elle est au bord du malaise. Personne ne l’avait prévenue que la promenade durait plus de trois heures et que c’était loin d’être une marche anodine. L’exploration des sous-bois avait impliqué un effort physique qu’elle n’avait pas appréhendé. Elle avait du se courber sous les branches, franchir des fossés, gravir des talus. Une ou deux fois, le guide, grand seigneur, lui avait tendu son bâton pour l’aider à gravir une pente trop raide, mais avec ses jambes de sept lieues, il ne prenait pas en compte les efforts qu’elle devait produire pour suivre la cadence du groupe. Son pantalon lui étrangle la taille, les coutures lui frottent l’intérieur des cuisses. Elle sent la sueur qui imprègne son sous-pull. Ses cheveux poissent sous son bonnet bordé de fausse fourrure. Elle a l’impression d’avoir une bouillote sur la tête. Si seulement elle pouvait l’enlever mais elle n’a pris aucun sac. Juste une petite pochette qu’elle porte en bandoulière avec son téléphone et sa carte bancaire. Et personne ne la regarde ou lui parle. Le grand bouclé caracole en avant, pointant ici et là, un écureuil qui tournoie sur le tronc d’un arbre, un milan noir qui flotte au-dessus des cimes.

Le guide, qui a l’air de s’ennuyer ferme, lève une main, à la manière d’un chef sioux, et dit sobrement, pause-collation. Le groupe circule pour trouver où s’asseoir, rocher découvert, tronc d’arbre, tout le monde trouve un siège de fortune, sauf elle. Elle réalise que chacun porte un petit sac à dos. Sauf elle. Dans un bel ensemble, les bouteilles d’eau ou les gourdes apparaissent et se collent aux lèvres des excursionnistes. Elle a soif. Non, elle crève de soif. Et de faim. Elle se rapproche du grand type aux cheveux bouclés qui l’a harponné pour cette balade cauchemardesque.

Après tout, il est responsable de ses souffrances. Il la salue avec son thermos.
« Alors, je n’avais pas raison ? Ce n’est pas magnifique ? C’est un vrai bon décrassage, non ? ».
Il boit de grandes gorgées, puis fait claquer ses lèvres.
« Ah ça fait du bien ».
Il farfouille dans son sac et sort un sac en plastique où elle aperçoit un énorme sandwich. Il le sort, l’inspecte consciencieusement, le renifle. Il lève les yeux et éclate de rire.
« Ah, cette odeur, ça me transporte. C’est important d’utiliser tous les sens avant de manger, non ? »
Il mord dans le pain, elle devine la croute dorée, la mie élastique. Il mastique rêveusement et continue la bouche à moitié pleine :
« Je reconnais, je suis un peu maniaque avec la nourriture. Je suis capable de faire des kilomètres pour trouver le vrai jambon de la région, du fromage fermier, un pain au levain de qualité. »
Charlotte a la tête qui tourne, son estomac rugit de colère. Elle se retourne, un bref instant, se penche pour ramasser une poignée de neige qu’elle se fourre dans la bouche. Elle a tellement soif. Et faim. La neige a un goût métallique désagréable qui ne l’apaise en rien. Le type se lève, le sandwich à la main, elle imagine qu’il va lui en proposer, après tout c’est lui qui l’a entrainée ici, il a peut-être remarqué son désarroi. Ce serait bien le seul car le reste du groupe s’est rassemblé autour du guide en mangeant des barres de céréales ou des fruits, personne ne se préoccupe d’elle. Elle le regarde s’avancer en retenant sa respiration. Peut-elle accepter son offre immédiatement sans paraître vorace ?

Comment va-t-il rompre le sandwich ? À la main, ou bien peut-être avec un Opinel, ce serait bien son style d’en avoir un dans la poche. Elle devrait peut-être hésiter trente secondes pour la forme, vous êtes sûr ? Vous en avez assez ? Elle esquisse un sourire.

L’homme la dépasse et se plante sous un arbre.
« Regardez ce pin sylvestre, sentez son odeur ! Je ne m’en lasse pas. Comment ne pas se sentir profondément heureux dans un tel environnement ! »
Il tourne sur lui-même, il tient son sandwich comme une baguette de chef d’orchestre, battant une ode à la nature. Elle se sent devenir chienne, à guetter les miettes qui pourraient tomber. Ce type est odieux.
Le guide a déplié son grand corps, et invite la troupe à reprendre la route. Elle hésite à se laisser tomber dans la neige, à se rouler dans la poudreuse en poussant des cris de rage, non, je n’en peux plus, je suis fatiguée, affamée, je ne bougerai plus tant qu’on ne m’aura pas donné à boire et à manger. Mais elle ne dit rien, comme abasourdie par tant d’égoïsme généralisé. Ils avaient besoin d’elle pour faire l’excursion et maintenant, ils n’ont cure de savoir si elle souffre ou pas. Tous des rats. Le type aux cheveux bouchés suspend ses gestes, regarde fixement son sandwich comme si celui-ci allait prendre la parole, puis annonce, bon, bah, je le finirai plus tard, la nature nous attend, et il le range à nouveau dans son sac. Des larmes viennent aux yeux de Charlotte. Elle frissonne, une crise d’hypoglycémie la guette, c’est certain. Quand elle sera aux urgences, elle les dénoncera tous.
Seule consolation, le chemin est plus aisé, car ils amorcent une descente. Le guide regarde sa montre, il faut accélérer, j’ai un autre groupe qui m’attend, et la nuit tombe vite. Elle hausse les épaules. Quel blaireau. Il se fout du monde, ce type. Il ne s’occupe pas de savoir si les gens suivent ou pas, il ne montre ni n’explique quoi que ce soit. Il veut seulement enfiler les sorties pour se faire plus de fric. Lui non plus n’échappera pas à son commentaire acéré sur Facebook.

Ils arrivent devant une grande étendue immaculée. Le guide fait de nouveau une halte, et désigne la prairie d’un mouvement ampoulé.
« Regardez cet espace vierge, intact. N’est-ce pas merveilleux ? Enivrant ? Allez, profitez-en. Il est à vous !».
Charlotte lève les yeux au ciel. Mais qu’est-ce qu’ils ont tous à vouloir jouer aux poètes ? Elle s’en contrefout de la beauté de cette immensité virginale. Elle veut rentrer au plus vite, un point c’est tout. Elle pense déjà à la tartiflette qu’elle va ingurgiter. À son tour, elle regarde sa montre. 15 heures. Enfer et damnation, l’heure bâtarde par excellence. Les restaurants auront fini le service du déjeuner, et l’heure du diner était encore loin. Seul espoir : un salon de thé où elle choisira une grosse tarte aux myrtilles. Pour commencer.

Le groupe s’est disséminé pour traverser la plaine. Chacun veut laisser l’empreinte de ses raquettes dans cet espace si pur. Seul le grand type ne s’est pas élancé, il semble évaluer ces options. Il se tourne vers elle, et lui glisse en mode confidentiel.

« Moi, je vais attaquer par les sous-bois. Je ne sais par pourquoi mais j’ai l’intuition que je vais faire quelques belles rencontres. Une marmotte, peut-être même un bouquetin».
Il lui fait un clin d’œil. Hébétée, elle le suit.

Comme on suivrait un animal étrange, en voie de disparition. Car ce type est quand même incroyable de suffisance dissimulée sous cette agaçante bonhomie. Il n’a évidemment pas remarqué qu’elle n’avait pas desserré les dents, que tout son visage était contracté par un mélange de faim et de haine. Elle va lui en faire part, elle va l’interpeller entre deux pins et lui lancer, jamais vous ne pensez aux autres ? Mais le type marche à grand pas, il a du repérer quelques bestioles tapies dans la neige, elle peine à le rattraper. Ils s’éloignent de plus en plus du groupe, cela ne lui plait pas, il ne manquerait plus qu’elle se perde, mais elle a trop envie de lui dire son fait. Espèce d’enfoiré égoïste, va-t-elle lui envoyer dans les dents quand elle sera plus près. Soudain, le type s’enfonce brutalement dans la neige. Il pousse un petit jappement, puis un cri. Il mouline des bras, il a de la neige jusqu’à la taille. Il tourne la tête autour de lui, comme une girouette, il l’aperçoit, il dit, son œil bleu écarquillé d’effroi, « il y a un ruisseau sous la neige, la neige a cédé. Je crois que je me suis fait une entorse du genou. » Il se démène, s’agite en grimaçant de douleur. Il ôte son sac à dos qui l’entrave. Il cherche à agripper les bâtons qu’il a perdus. « Ah, ça, je suis sacrément coincé. Je ne peux pas bouger la jambe ! Vous pouvez m’aider ? » Elle sourit en silence. Ah mais non, pas folle la guêpe, pour qu’elle se retrouve elle aussi avec de la neige sous le menton ? Elle se place dans le dos du prisonnier, avance un pied, attend un peu, puis l’autre. Elle sent la neige qui bouge. Elle s’accroche à une branche et projette son bâton en avant. Excellent ! Du premier coup !

Elle a réussi à planter son bâton entre les deux courroies du sac à dos, et très lentement, très calmement, elle arrive à faire glisser le sac vers elle. Le type n’arrive pas à la voir, il se tourne, à droite et à gauche, mais chaque mouvement le fait geindre.
« Ah bon dieu, j’ai sacrément mal. Peut-être que je me suis sectionné un ligament. Vous êtes où, qu’est-ce que vous faites ? Vous pouvez appeler les autres ? Je crois que je vais avoir besoin d’un brancard. C’est trop bête. »
Elle s’est éloignée presque à reculons, pas facile avec des raquettes, en restant toujours dans le dos du grand crétin pour qu’il ne puisse pas la voir. Elle est enfin sortie du sous-bois, les autres sont de l’autre côté du champ, ils escaladent une barrière en riant, le guide les houspille. Elle attend un peu, on dirait qu’ils font la course comme des mômes, bientôt elle ne les voit plus. Elle enlève sa toque et se positionne contre un petit arbuste.

Elle respire profondément, regarde autour d’elle, le groupe a bien salopé cette belle étendue virginale mais le paysage demeure splendide. Elle peut enfin l’apprécier. Goûter cette nature majestueuse qui sait se faire respecter. Si tranquille malgré les appels qu’elle devine vaguement et qui proviennent du sous-bois.

Elle tend son visage au soleil. Savourer ce moment. Prendre son temps. Elle avale la salive qui lui vient aux lèvres. Elle ouvre le sac à dos. L’odeur la frappe de plein fouet. Elle en chavire presque. Le jambon et le fromage exhalent une odeur animale qui lui donne presque envie de lancer un cri de guerre, ou plutôt un chant de victoire, de triomphe. Elle sort le sandwich, le regarde et le hume. Elle mime les manières du blessé. Et enfin, elle mord sauvagement dans le pain.


Photo by Holly Mandarich on Unsplash
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J’ai bien ri…moins noir que les autres textes, c’était sympa de suivre les malheurs de Charlotte (et pour avoir fait une sortie en raquettes en étant à la traîne, ça me parle!), et de saliver avec elle devant ce bon sandwich!