Texte de Mistouflonne *

« Surprise sur le chantier : une correspondance secrète dans le faux-plafond ! Lundi dernier, sur le chantier des anciens bureaux de La Poste destinés à être transformés en appartements luxueux, un ouvrier a fait une découverte surprenante. Dans le faux-plafond de ces locaux désaffectés depuis une dizaine d’années, une boîte métallique était dissimulée. Il s’agit d’une boîte en fer qui contenait à l’origine des biscuits. Mais en lieu et place des sablés bretons, l’ouvrier a découvert une bien curieuse correspondance : les lettres d’Antoinette à Ernest, datées de l’année 1922. Émue par la découverte, l’entreprise de bâtiment lance un appel pour essayer de retrouver la trace des familles des deux mystérieux correspondants… »

Depuis quand une entreprise peut-elle être émue ? Cette approximation linguistique des rédacteurs de Nice-Matin agace toujours autant Andrée, mais elle ne peut s’empêcher de réprimer un petit sourire à la lecture de cette information insolite. On ne soupçonne pas tout ce qui se trame derrière les murs…

Elle referme son quotidien, le replie soigneusement parce qu’elle a horreur des journaux chiffonnés et range enfin ses lunettes de lecture dans l’étui rouge. Il est 10h27. Elle doit encore s’installer dans son fauteuil confort et se brancher sur Antenne 2 si elle ne veut pas rater Monsieur Beccaro, ses mots et ses boules noires. Elle sait bien qu’on ne dit plus Antenne 2, mais ce n’est plus à son âge qu’elle va faire l’effort de s’adapter. Après tout, qui est-ce que ça peut déranger ? Elle vit seule depuis longtemps et même quand René était encore vivant, il n’était pas du genre à prêter attention à ce genre de détails.

Celui que ça fait le plus rire, c’est son petit-fils, Alexandre. Le choc des générations : ils en ont parlé récemment dans le supplément magazine du dimanche. Marronnier de journaliste ! Le fait est qu’Alexandre prend soin de sa grand-mère, du haut de son adolescence. Il la maintient dans le cours du temps qui passe trop vite et veille à ce qu’elle ne reste pas sur le bord du chemin. Elle ne comprend pas toujours tout et même souvent rien, mais elle aime qu’il prenne le temps de lui expliquer tous ces appareils modernes. C’est un peu abstrait et finalement, elle ne l’écoute souvent que d’une oreille. Surtout, elle partage du temps avec lui. Elle profite de sa présence et de ses boucles blondes qu’il a conservées de l’enfance.

D’ailleurs, le lendemain, c’est jour de visite. Le mercredi, entre les cours et le basket, il aime bien venir se faire offrir un petit steak chez mamie : ils échangent une bise chaleureuse et les dernières nouvelles. Il entre dans l’appartement avec toute sa jeune vitalité avant de balancer sur la table son sac à dos en toile et le quotidien gratuit récupéré dans le tramway. Andrée remarque tout de suite qu’eux aussi ont relayé l’appel de la boîte à biscuits. Quand il la surprend en train de loucher sur le titre un peu ridicule, « Le faux-plafond cache t-il un vrai secret ? », il sourit et lui demande si elle a déjà entendu parler de cette histoire, quand elle travaillait encore dans ces locaux.

Jamais. Et comment aurait-elle pu être au courant puisqu’elle a été mutée à Nice seulement deux ans avant de prendre sa retraite ? Autant dire qu’Ernest et Antoinette devaient déjà avoir quitté ce bas monde depuis belle lurette ! Pourtant, depuis ce matin, elle a repensé à cette petite histoire. Dire que pendant qu’elle s’occupait de trier des tas de lettres, d’autres dormaient peut-être au-dessus de sa tête au milieu de miettes au beurre salé ! C’est alors qu’Alexandre, sans prévenir ni se départir de son sourire qu’elle aime tant, lui lance distraitement mais sûrement: « Et si tu essayais de percer le secret d’Ernest et Antoinette ? »

Il est fou ce gosse ! Elle ? Andrée ?! Se mettre à jouer les enquêtrices à deux sous alors qu’elle ne parle à personne et ne s’aventure guère au-delà du bout de la rue ? Ridicule !

Mais Alexandre sait ce qu’il fait. Il lui propose de l’aider. De nos jours, avec ces histoires de toile et de réseaux sociaux auxquelles elle ne comprend toujours rien, ils devraient y arriver ! Elle a sa mine renfrognée de grand-mère qu’on ne chamboulera pas si facilement, mais il est déjà en train de pianoter frénétiquement avec ses deux pouces sur son écran. « On lance l’opération Biscuit postal ? ». Elle lève les yeux vers Son Grand, comme elle l’appelle depuis qu’il est tout petit. Elle ne dit pas oui, mais on ne l’entend pas vraiment dire « non » non plus…

Par Mistouflonne

0 0 votes
Évaluation de l'article
11 Commentaires
le plus ancien
le plus récent le plus populaire
Fil de retours
Voir tous les commentaires

Mistouflonne le dit elle-même dans son texte : ce qu’elle fait mine de nous raconter là, c’est le « choc des générations ». Alors elle commence en feignant d’installer justement chacun dans « sa »génération : La grand-mère a ses petites manies et sa rigidité qui ne changeront plus « à son âge », et le petit fils… Ah mais tiens, le petit fils n’est pas forcément un archétype. Car au fond, très rapidement, Mistouflonne prend elle-même le contre-pied de ce qu’elle semblait commencer à installer, et c’est tant mieux ! Non ce n’est pas le « choc » des générations, qu’elle nous conte ici, c’est au contraire la complicité, l’admiration, l’affection inter-générationnelle. C’est un texte à la fois doux et vif, je trouve, qui dégage une sorte d’espièglerie bien agréable et une vraie tendresse. Il y a des jolies formules (« Elle profite de sa présence et de ses boucles blondes qu’il a conservées de l’enfance. », « Elle lève les yeux vers son Grand, comme elle l’appelle depuis qu’il est tout petit. », je trouve ça très beau, et ça dit beaucoup en peu de mots). Et au bout du compte, peut-être qu’on aimerait bien suivre leurs recherches, à tous les deux, parce qu’ils sont quand même drôlement attachants, ce petit-fils et sa grand-mère !

Outre le fait que c’est un texte, comme celui de Melle47, que tu pourrais tout à fait poursuivre, Mistouflonne, il me semble que tu pourrais aussi essayer d’installer un peu plus la réciprocité de « tendresse » entre Alexandre et Andrée. Tu as pris le parti de raconter l’histoire davantage du point de vue d’Andrée, mais même à travers ses yeux, tu pourrais raconter quelques anecdotes, qui assoiraient cette tendresse dans du factuel. Par exemple, tout comme tu as trouvé de jolies formules quand Andrée parle d’Alexandre, tu pourrais trouver quelques tournures plus « vives », à la fois tendres et adolescentes, qu’Alexandre pourrait utiliser pour apostropher sa grand-mère, et qu’Andrée pourrait rapporter dans le fil de cette histoire (ceci n’étant qu’un exemple). L’idée, un peu comme pour le texte de Raminagrobis, est qu’en renforçant un peu le personnage « secondaire », tu renforces finalement aussi ton personnage principal, et l’ensemble de ton intrigue, puisqu’elle repose sur un duo.

Un sujet en apparence banal, me suis-je dis au début. Mais les personnages sont vraiment tellement attachant. Dans les 4500 caractères, difficile de décrire davantage les relations petits fils/grand-mère, le texte foisonne déjà de détails qui nous les présente si bien. Pourtant, je suis d’accord, ils méritent plus et on en attend davantage.
Et, oh surprise, Andrée a travaillé exactement là ou la boîte a été trouvée. Ils vont lever le mystère ces deux-là, entre le caractère vif et intelligent d’Andrée et la disponibilité d’Alexandre vis à vis de la vieille dame, ça ne fait aucun doute!

j’adore! Les habitudes de cette petite mamie la rendent très attachante, et l’affection de son petit fils le rend également « trop mignon ». On a hâte de connaître la suite, de voir comment ils vont s’y prendre et ce que le décalage des générations va pouvoir apporter

J’ai bien aimé la tendresse qui se dégage de ton texte, ainsi que tous les détails qui parsèment la « présentation » d’Andrée (une entreprise émue, un étui rouge, 10h27, Antenne 2, etc…) Cela rend vraiment « réelle ».
Bon, maintenant, j’ai aussi envie de savoir la suite….

Merci pour vos retours, Gaëlle, Melle 47 et Ademar ! Déjà, j’ai oublié de mentionner que ce fait divers est réel, paru il y a quelques mois. Ca m’avait un peu fascinée, j’aimerais tant avoir le temps de mener ce genre d’enquête…
J’étais d’abord partie sur 45000 caractères (je trouvais quand même que cette limite était un peu large, je me suis dit « tiens, ça ferait carrément un livre si on va au bout, personne ne doit jamais tous les utiliser »). Prise d’un doute, j’ai finalement vu que c’était 4500 !! J’ai donc dû tailler dans le texte que j’avais déjà laissé se poursuivre, Andrée partant à la rencontre de l’ouvrier, Alexandre fouillant les archives,… Et je suis finalement arrivée à 4500 ! Je vais essayer de glisser un peu plus d’Alexandre, pour mieux faire ressortir Andrée comme tu le dis Gaëlle !

Ah oui, 45 000, tu présumais de nos forces de lecteurs 😉

Et au fait, je me rends compte que tout le monde s’est présenté (pour ceux dont c’est, comme pour moi, la première fois). J’avais un peu négligé cette case dans l’inscription ! J’ai 28 ans, je suis orthophoniste et je suis heureuse de m’être enfin lancée dans les ateliers de Gaëlle… Depuis le temps que j’en parle ! Je suis ravie de ces propositions d’écriture et des retours mutuels, j’ai complètement besoin de ce genre de choses pour oser écrire sans que tout reste dans ma tête !

Ils sont tellement attachants ces personnages, c’est pas une nouvelle, ça, c’est un teaser ! 😉
C’est doux, délicat et poétique, avec en même temps tous les ingrédients pour une belle enquête à venir, au delà des relations entre les personnages. Quel joli thème !

La suite ! La suite ! Non, ce n’est pas le plus important. J’ai adoré la complicité entre la grand mère et le petit fils. L’univers de la grand mère si bien campé avec ses petites manies « elle avait horreur des journaux chiffonnés »  » elle sait bien qu’on ne dit plus Antenne 2″, l’étui à lunettes rouge, le petit steak que son petit fils adore manger chez elle. Tout cela est tellement bien vu quand on connaît l’univers des personnes d’un certain âge, c’est très touchant.

Vite ! Avant qu’on soit dimanche soir, j’essaie de faire un peu plus de place à Alexandre. C’est le passage séparé du reste du bloc de texte, au milieu ! Je me suis attachée à ces deux-là, j’en ai encore beaucoup à dire sur eux !
En tout cas, cette expérience d’atelier était super ! J’ai souvent pensé à vos textes dans la semaine.

« Surprise sur le chantier : une correspondance secrète dans le faux-plafond ! Lundi dernier, sur le chantier des anciens bureaux de La Poste destinés à être transformés en appartements luxueux, un ouvrier a fait une découverte surprenante. Dans le faux-plafond de ces locaux désaffectés depuis une dizaine d’années, une boîte métallique était dissimulée. Il s’agit d’une boîte en fer qui contenait à l’origine des biscuits. Mais en lieu et place des sablés bretons, l’ouvrier a découvert une bien curieuse correspondance : les lettres d’Antoinette à Ernest, datées de l’année 1922. Émue par la découverte, l’entreprise de bâtiment lance un appel pour essayer de retrouver la trace des familles des deux mystérieux correspondants… »
Depuis quand une entreprise peut-elle être émue ? Cette approximation linguistique des rédacteurs de Nice-Matin agace toujours autant Andrée, mais elle ne peut s’empêcher de réprimer un petit sourire à la lecture de cette information insolite. On ne soupçonne pas tout ce qui se trame derrière les murs…
Elle referme son quotidien, le replie soigneusement parce qu’elle a horreur des journaux chiffonnés et range enfin ses lunettes de lecture dans l’étui rouge. Il est 10h27. Elle doit encore s’installer dans son fauteuil confort et se brancher sur Antenne 2 si elle ne veut pas rater Monsieur Beccaro, ses mots et ses boules noires. Elle sait bien qu’on ne dit plus Antenne 2, mais ce n’est plus à son âge qu’elle va faire l’effort de s’adapter. Après tout, qui est-ce que ça peut déranger ? Elle vit seule depuis longtemps et même quand René était encore vivant, il n’était pas du genre à prêter attention à ce genre de détails.
Celui que ça fait le plus rire, c’est son petit-fils, Alexandre. Le choc des générations : ils en ont parlé récemment dans le supplément magazine du dimanche. Marronnier de journaliste ! Le fait est qu’Alexandre prend soin de sa grand-mère, du haut de son adolescence. Il la maintient dans le cours du temps qui passe trop vite et veille à ce qu’elle ne reste pas sur le bord du chemin. Elle ne comprend pas toujours tout et même souvent rien, mais elle aime qu’il prenne le temps de lui expliquer tous ces appareils modernes. C’est un peu abstrait et finalement, elle ne l’écoute souvent que d’une oreille. Surtout, elle partage du temps avec lui. Elle profite de sa présence et de ses boucles blondes qu’il a conservées de l’enfance.
D’ailleurs, le lendemain, c’est jour de visite. Le mercredi, entre les cours et le basket, il aime bien venir se faire offrir un petit steak chez mamie : ils échangent une bise chaleureuse et les dernières nouvelles.

Comme tous les jeunes de son âge, il prend doucement son envol. Les copains, les copines, les entraînements,… La vie prend de plus en plus de place. Mais son Andrée, c’est sacré ! Ce n’est plus Andrée et René depuis quelques années, mais ça emplit son cœur tout autant. Il aime tout chez elle : son odeur d’eau de Cologne, les langues de chat cachées dans la huche à pain, les niaiseries à la télé qui sont un peu leur secret, les parties endiablées de Uno même si plus personne n’y joue parmi ses copains… Au-delà de ces souvenirs qui l’accompagneront toute sa vie, il sait qu’elle lui apporte cette touche d’attention supplémentaire sont seules les grands-mères ont le secret. Ce qu’il est aujourd’hui, un adolescent plutôt bien dans ses baskets (même pas de marque les baskets d’ailleurs), il le doit beaucoup à Andrée, son Andrée.

Il entre dans l’appartement avec toute sa jeune vitalité avant de balancer sur la table son sac à dos en toile et le quotidien gratuit récupéré dans le tramway. Andrée remarque tout de suite qu’eux aussi ont relayé l’appel de la boîte à biscuits. Quand il la surprend en train de loucher sur le titre un peu ridicule, « Le faux-plafond cache t-il un vrai secret ? », il sourit et lui demande si elle a déjà entendu parler de cette histoire, quand elle travaillait encore dans ces locaux.
Jamais. Et comment aurait-elle pu être au courant puisqu’elle a été mutée à Nice seulement deux ans avant de prendre sa retraite ? Autant dire qu’Ernest et Antoinette devaient déjà avoir quitté ce bas monde depuis belle lurette ! Pourtant, depuis ce matin, elle a repensé à cette petite histoire. Dire que pendant qu’elle s’occupait de trier des tas de lettres, d’autres dormaient peut-être au-dessus de sa tête au milieu de miettes au beurre salé ! C’est alors qu’Alexandre, sans prévenir ni se départir de son sourire qu’elle aime tant, lui lance distraitement mais sûrement: « Et si tu essayais de percer le secret d’Ernest et Antoinette ? »
Il est fou ce gosse ! Elle ? Andrée ?! Se mettre à jouer les enquêtrices à deux sous alors qu’elle ne parle à personne et ne s’aventure guère au-delà du bout de la rue ? Ridicule !
Mais Alexandre sait ce qu’il fait. Il lui propose de l’aider. De nos jours, avec ces histoires de toile et de réseaux sociaux auxquelles elle ne comprend toujours rien, ils devraient y arriver ! Elle a sa mine renfrognée de grand-mère qu’on ne chamboulera pas si facilement, mais il est déjà en train de pianoter frénétiquement avec ses deux pouces sur son écran. « On lance l’opération Biscuit postal ? ». Elle lève les yeux vers Son Grand, comme elle l’appelle depuis qu’il est tout petit. Elle ne dit pas oui, mais on ne l’entend pas vraiment dire « non » non plus…

Oui, c’est chouette, ce petit développement sur Alexandre. Je te dirais juste de faire attention à ne pas « perdre de vue » le fait qu’il est ado, à ne pas trop le faire penser comme un adulte. Mais sinon, c’est tout à fait chouette d’aller dans ce sens-là, clairement. C’est un texte que tu peux aisément reprendre plus tard et développer, il a un chouette potentiel: n’hésite pas!