Ateliers d’écriture créative, de fictions, animés par Francis Mizio

Catégorie : CatJuin2015

Texte d’Ariane

« Alice retrouve son frère et sa sœur ».

Sœure. Alors, là, je mets un « e » parce que c’est féminin. Et frèr, c’est masculin, j’en mets pas.

«  Ils marchent dans l’allée. »

Les 3 enfants, 3 : plusieurs, pluriel. Je mets un « s » à « ils » et un à « marches ». « Dent la lait ». On dit le lait, je le sais. Ou dent de lait donc c’est pas ça non plus. Ça doit être un mot que je connais pas. Je l’écris comme ça se prononce et je rajoute un « e » parce que c’est féminin : « Ils marches dent la lée ». Papa ne va pas s’énerver cette fois, j’ai tout fait bien comme il m’a dit. Je vois bien qu’il essaye de rester calme, il serre les dents, soupire, détourne la tête, se lève, tourne autour du bureau, se rassoit. Mais il finit toujours par exploser : « mais Quentin, Bon Dieu, réfléchis ! Ça fait 10 fois que je t’explique, c’est pas possible !! On va pas y passer la nuit !!! »… Et là, c’est mes larmes qui explosent. Ça fait comme le jet de la douche quand on l’allume trop fort. Y’a des petites gouttes qui partent dans tous les sens. Je sais bien qu’il me trouve idiot. Pourtant, je travaille dur. Je préférerais jouer avec mes copains que de rester enfermé avec un Bescherelle.

Au moins, avec Thérèse, on se marre bien. Thérèse, c’est une copine de maman, elle me garde pendant les vacances. Moi, quand je serai grand, je voudrais être comme Thérèse. Parce que Thérèse, elle est pas sérieuse comme les autres adultes. Elle fait des bêtises et raconte des mensonges pour avoir des pizzas gratuites. L’été dernier, maman lui avait demandé de me faire faire des dictées. J’ai bien vu que ça la gonflait autant que moi. Mais elle avait promis alors, elle était bien embêtée… Un soir, elle s’est assise à côté de moi, avec une feuille et un stylo, elle a tiré sur sa cigarette et elle a dit : « allez, Gaminot, faut qu’on s’y mette ! ». Elle a commencé à me dicter plein de gros mots : « cul de vérole verte, purée de pois cassés en boîte, quelle saloperie de topinambours, couillon de la lune,… ». Elle m’expliquait pourquoi il fallait un « l » à « cul », moi je rigolais et du coup, je m’en souviens : c’est parce que ça vient de « culotté ». Je crois que quand on rigole, on apprend mieux. Plus tard, je ferai des études pour le prouver. Je rencontrerai des gens, je ferai des calculs et j’expliquerai à tout le monde qu’il faut faire rire les enfants pour qu’ils deviennent intelligents. Maman m’a dit que ce métier s’appelait chercheur (et Papa a répondu qu’il fallait être très fort en dictée). Mais moi, je veux pas être chercheur, je veux être trouveur. En attendant, ça m’aide pas beaucoup car y’a jamais de mots drôles dans les dictées de Martine.

« C’est fini, je ramasse les copies. Alors, notre Quentin national, qu’est-ce que ça donne ? »

Je sens les gouttes monter mais pleurer, c’est la honte. Alors, je me mords les joues et je fais semblant de trouver ça drôle, comme les copains. Mais cette fois, c’est sûr, je vais avoir une bonne note. Et les copains, ils arrêteront de rigoler quand Martine m’appelle « le Quentin national ».

« Pfff, Quentin, c’est pas possible mais qu’est-ce qu’on va faire de toi ?!… ».

Ce soir, je suis seul à la maison avec Lisa. J’ai fait réchauffer le plat même si j’ai eu du mal à lire ce que papa avait écrit. J’ai aidé Lisa à se laver les dents. Elle voulait que je lui lise une histoire alors j’en ai inventé une, qui parlait d’armoire et de baguette magique. Après, j’ai appelé maman pour lui dire que Lisa dormait. Elle m’a félicité et moi, j’ai pensé : ça ne va pas durer, demain, elle aura ma note de dictée. C’est à ce moment-là que le téléphone a sonné.

« Ben Gaminot, c’est quoi cette voix tristoune ? »

J’ai expliqué à Thérèse que c’était à cause de la dictée des mots tristes.

« Mais Gaminot, on n’a pas besoin d’être un as en dictée pour être heureux et pour réussir ! Regarde ta mère, elle écrit comme un balai à chiotte! »

Et là, j’ai eu l’impression d’avoir fait une pause. J’ai repassé le film de ma vie à toute vitesse et j’ai compris : pourquoi maman me laisse jamais de mots, pourquoi elle est aussi triste de me voir galérer, pourquoi c’est Papa qui m’aide en français… Elle aurait dû me le dire, ça m’aurait fait du bien de savoir qu’elle me comprenait. Je me suis aussi dit que les chiens ne faisaient pas des chats et que c’était peut-être bien de sa faute si j’y arrivais pas. J’étais très en colère.
Les mardis, Martine nous demande d’écrire une phrase. J’ai su ce que j’écrirai le lendemain : « la mer, quelle saloperie ! ».

Par Ariane
Bonjour à tous ! 
Après 10 ans sans prendre la plume, je me lance dans une nouvelle aventure !

Texte de Pierrot

Assis dans un coin du parking, sur une bille d’épicéa, le bonnet enfoncé sur les yeux, la tête dans les mains, il attend son tour.

Le soleil est au zénith et chauffe lourd. La sono diffuse en boucle les derniers tubes de l’été séparés par d’autres déjà anciens. Le son est si fort qu’il met mal à l’aise. Le concurrent voisin le pousse de l’épaule et lui annonce son numéro de bille, le 4.

Il sort brusquement de sa torpeur, arrache ses deux haches plantées à côté de lui dans le bois, et avance vers le numéro 4. Les négresses vertes entament « Voilà l’été », on entend « la mer, quelle saloperie», il a le sourire et pense à Elno.

Couché sur le sol, l’arbre qui l’attend est un épicéa, de 38 cm de diamètre, écorcé la veille, lisse et humide en surface, perlé de gouttes d’eau et de résine. Les remugles qui se dégagent de tous ces bois, des tronçonneuses et des hommes font remonter des souvenirs d’origines de parents, de famille…mais retour à l’épreuve.

Il évalue la zone imposée pour la coupe, passe la main dessous pour détecter la moindre cheville qui mettrait fin à tout « exploit ». Trace à la craie l’angle idéal à respecter. Après chacun des six bûcherons de la série fait de même avec plus ou moins de sérieux.

Le départ arrive, répéter une énième fois l’ordre des trois premiers coups, déterminants.

Ne pas prendre « plein fer », personne n’est capable de rentrer une hache ainsi.

Faire le vide, respirer, les deux premiers coups sont parfaits, le bois éclate, le troisième dévie un peu ; au cinquième, le bruit n’est pas le même. Des cernes noirs apparaissent dans le bois, sa vue se brouille, le cœur de la bille ne veut pas sortir, le sien voudrait presque.

Une clameur dans la foule annonce le vainqueur de la série, ce qui freine les ardeurs.

Réveil dans un lit tout petit avec un bip-bip inconnu, une infirmière s’affaire, l’équipe médicale va passer avec une panoplie de gros mots « AVC, vacances, repos, chance ».

Par Pierrot

Texte de Sécotine

Bon. La porte est fermée. Et moi je suis du mauvais côté. Enfermée dehors.

Merde.

Saloperies de clés. A moins d’un mètre de moi. La petite table de l’entrée. De l’autre côté de la porte. Fermée.

Re-merde.

Pas moyen de joindre Steph pour qu’il rentre plus tôt. Evidemment. Saloperie de téléphone qui n’a plus de batterie.

Re-re-merde.

Listing n°1 – Je suis dehors. Plus de bus. Steph injoignable. Mille choses à faire.

Conclusion : ça craint.

Re-re-re-merde.

J’ouvre un oeil : y’a pas moyen de dormir tranquille ici. L’humaine d’à côté a décidé de gâcher ma cinquième sieste de la journée, une de mes préférées… Elle est fatigante celle-là. Elle prend son sac, elle le repose, elle le reprend, elle fouille dedans, le pose à nouveau… Rien qu’à la regarder, j’ai envie de piquer un roupillon.

Pfiou… Les humains…

Petite victoire ! Le portillon du jardin est ouvert. Je peux attendre sur la terrasse. Tiens, en profiter pour m’occuper du jardin. Toujours ça de fait. Vais pas rester là à ne rien faire.

Merde. La porte du cabanon est fermée. Genre on va nous piquer un sécateur ? Steph et sa parano… Saloperies d’habitudes d’urbain ! Au moins, les chaises de jardin ne sont pas cadenassées. Super. Une chaise, mon agenda, un stylo. Si seulement j’avais pensé à recharger mon portable au bureau ! Là, à part faire la liste des trucs à faire… Et sans pouvoir rien faire justement. Saloperie de tête de linote !

Listing n°2 – Trucs à faire : 1000. Trucs à faire ne nécessitant ni internet ni téléphone, ni accès au cabanon ou à la maison : 0.

Conclusion : ça craint.

Merde. Merde, merde, et re-merde !

« Tiens, c’est pas la nouvelle voisine, là ? Qu’est-ce qu’elle fait à tourner comme ça dans son jardin ? Et que je te déplace la chaise, et que je me relève, et que je te retourne mon sac part terre… Je vais te dire, elle me fait de la peine cette petite. Regarde ça. Elle est toute palote, la mignonne. A mon avis, elle se repose pas assez. Elle doit pas savoir comment faire. »

  1. Rester zen. Y’a qu’à penser à des trucs cools, tiens, ça va me passer le temps de manière agréable.

Les vacances, c’est bien ça, les vacances.

Faudrait qu’on se décide à réserver pour cet été. Je suis sûre que Steph va encore me dire de choisir toute seule ce qui me ferait plaisir. Et c’est moi qui vais me taper tout le boulot d’organisation. Comme d’habitude.

Tout ça pour payer la peau des fesses une semaine de location hors de prix pour aller faire la crèpe sur la plage et se retrouver rouge écarlate. La mer, quelle saloperie.

Oh et puis merde, j’en ai marre tiens. J’vais dormir, ça fera passer le temps plus vite, et ce soir je serai en forme plus longtemps pour m’occuper de tout ça.

Ras-le-bol de ces réunions qui finissent toujours à pas d’heure ! Je vais encore rentrer en retard. J’espère qu’Agnès ne va pas faire la tronche… Déjà qu’en ce moment elle est tout le temps à cran… Faudrait qu’on se prenne un moment tous les deux. Même juste un week-end, tiens. Sans rien à faire. Juste se reposer, au calme. Ca nous ferait du bien. Ca lui ferait du bien.

Il est joli cet arbre, tiens. J’avais jamais remarqué qu’il faisait des petites fleurs roses. Faudrait que je demande à la voisine ce que c’est, comme arbre, elle doit savoir ça, elle. Elle est tout le temps là le soir, assise sur son banc face à son jardin avec sa tasse de thé.

Elle a mis un système d’arrosage automatique. C’est assez hypnotique ce truc. Pcht, pcht, pcht et tourne. Pcht pcht pcht et tourne. Je ferme les yeux, ça fait un joli bruit, régulier, comme des pulsations. Avec les chants d’oiseaux, c’est parfait. J’avais pas remarqué qu’on les entendait si bien ici. Et le vent qui souffle dans les branches. Il ne manque plus que… Hey, salut toi ! Qu’est-ce que tu fais là, mon minet ? Tu viens d’où ? T’as l’air tout doux… Tu veux une place sur mes genoux ?

– Oh bonsoir Madame… Madame ?

– Appelez-moi Simone mon petit. J’ai fait du thé, je vous en ai préparé une tasse. Tenez. Y’a rien de mieux qu’une bonne boisson chaude au calme dans son jardin. Ah ! Fripouille est avec vous ! C’t’un gentil chat, il est câlin, mais faites attention il perd ses poils !
– Merci … Simone. Moi c’est Agnès.

Simone lui sourit et lui tend la tasse de thé par dessus la haie, avant de retourner s’installer sur son banc.

Steph est rentré, surpris de trouver la porte fermée. Encore plus de découvrir Agnés contemplative sur la terrasse, soufflant sur sa tasse de thé.

« Ah… Le moment est venu de ronronner un coup » pense le chat.

« J’aime beaucoup ce thé » pense Simone.
« Elle est belle quand elle sourit, mon Agnès » pense Steph.
Agnès, elle, ne pense à rien.
Et c’est bien.

par Sécotine 
Sur mon blog (oui, j’ai un blog, ça arrive à des gens bien), je me définis comme « orthophoniste, bidouilliste, écologiste, féministe et autre trucs en -iste, mais pas triste ». Ce n’est pas totalement éloigné de la réalité, être plus honnête aurait été moins vendeur. Ceci dit, je ne suis pas à vendre, sauf à coup de fraises tagada et de tarte au maroilles, mais pas les deux en même temps, faut pas pousser.

Texte de Groux

La mer, quelle saloperie…

Flora avait décidé d’organiser un grand weekend pour que l’on se retrouve. Je passe mon temps au travail ou en réunion, quand je ne suis pas au téléphone avec des clients.

Impossible pour moi de déconnecter, il faut constamment que je vérifie mes mails, que je me tienne au courant des dernières avancées technologiques.

Au début, je prenais l’excuse qu’il fallait que je sois le meilleur dans mon boulot. Puis, petit à petit, c’est devenu une habitude, une addiction. Je ne sais plus faire sans.

Je suis encore en train de parler travail, alors que je voulais parler des vacances.

Bref, la mer. Mais qu’est ce qu’il lui a pris de réserver ce phare perdu au milieu de l’océan ?

Je suis malade en bateau, l’idée même de devoir affronter les flots me donne la nausée.

Elle n’aurait pas pu choisir un hôtel au Maroc ? Elle aurait eu tout le confort, des activités et moi j’aurais pu continuer à gérer à distance.

Je ne sais pas s’il y aura du soleil. Des vacances sans soleil, ce ne sont pas des vraies vacances. Qu’est ce que je vais raconter aux collègues en rentrant ?

Nous voici partis. Flora prend place dans le bateau. Elle s’accroche au bastingage et offre son visage au vent. Je ne vois pas ce qui peut la faire sourire autant, mais je ne veux pas lui gâcher son moment. Je n’avais qu’à m’investir dans la recherche de vacances, ça m’apprendra à lui faire confiance.

Le bateau commence sa traversée. Flora a pris un voilier où nous sommes seuls avec le capitaine. Elle aurait pu prendre un ferry, il y aurait eu un bar, nous aurions pu boire un verre. L’envie de regarder mes mails me démange, cela fait 3h que je n’ai pas regardé, je suis convaincu que je rate des affaires importantes. Mais le capitaine me parle.

La mer, quelle saloperie.. Le bateau se met à tanguer, j’ai la nausée. Je déteste l’odeur de l’iode. J’ai la peau poisseuse à force de me prendre les embruns.

Je ne souris plus, j’en ai déjà marre. Ce weekend promet d’être long. Je pense à tout ce que j’aurai pu faire, aux gens que j’aurai pu voir, aux dossiers que j’aurai pu traiter

Enfin nous accostons sur le phare. C’est encore pire que ce je croyais. Un bout de rocher et un phare jeté dessus. Rien d’autre. Je ne comprends pas ma femme. Je l’ai emmené dans les plus beaux pays, sur les plus belles plage et dans les hôtels les plus luxueux. J’ai tenté chaque fois de lui présenter des gens connus. Nous enchainons les weekends, les voyages, les vacances, les rencontres, les soirées. Et quand elle organise quelque chose, elle prend ce phare perdu au milieu de nulle part?

Je rentre à la suite de Flora et monte l’escalier en colimaçon. L’odeur est caractéristique de ces lieux trop longtemps fermés. Nous arrivons dans une petite pièce, le confort est sommaire. Une cuisinière, 1 table, 2 chaises et 1 buffet. Une petite chambre avec un lit étroit. La salle de bain est à l’image du logement. Rudimentaire. La visite du propriétaire aura été rapide.

Je décide de regarder mon téléphone. Pas de réseau. J’aurai dû m’en douter. Pas de mails, pas de messages, pas d’appels. Rien que l’immensité de la mer. Je me sens mal. La mer, quelle saloperie.

Flora s’approche de moi. Elle m’explique que les phares ont toujours été un rêve de gosse. Et m’annonce que ce weekend, une grosse tempête est annoncée. En disant cela, elle a les yeux qui brillent. La petite fille qu’elle a été transparait dans ses traits. Elle a toujours rêvé de voir d’immenses vagues se fracasser contre les rochers. Nous serons aux premières loges.

Elle sort des valises une bouteille de vin et de la charcuterie. Allume quelques bougies. Cette pièce spartiate prend d’un coup une atmosphère chaleureuse et intime.

Le tonnerre se met à gronder, le vent à se lever. J’entends le phare qui craque, trop longtemps malmené par ces innombrables tempêtes.

Je suis assis dans le seul fauteuil de la pièce et je regarde les flammes danser devant moi.

Flora se précipite à la fenêtre. Elle se retourne pour me dire de venir profiter du spectacle. Je la regarde. Ma femme est belle, je ne m’en apercevais plus mais toutes ces années sont passées sans la marquer. Une douce nostalgie m’envahit. Qu’est ce que j’ai fait de toutes ces années ? J’ai vécu à côté d’elle, me privant de ces doux moments. Je me lève et l’enserre contre moi, pendant que nous regardons les éléments se déchainer. Elle sent bon. Je voudrais que le temps s’arrête, que nous restions là pour l’éternité. Ce weekend promet d’être le meilleur de toute ma vie.

La mer, quelle magie..

Par Groux

Texte de Colette

« Faire du ciel le plus bel endroit de la Terre »

 Juin 2015.

Aéroport de Roissy Charles de Gaulle. 23h20. Vol AF442. Boeing 777-300.
Après 365 jours derrière ses barreaux. 365 jours « sans vie ». 365 jours sans goût. 365 jours seule. Fleur vient d’embarquer. Sans bagage. Seule, aussi.

La veille, elle avait ouvert la boîte. Elle avait trouvé l’avion. Elle l’avait déplié.

Aujourd’hui, elle était là.

Juin 2014.

Jules lui avait donné une boîte. Un carton. Vaguement scotché. Un peu abîmé. Comme lui.

Fleur ne voulait pas. Mais il lui avait fait promettre de le garder. De l’ouvrir. Un jour. Quand elle se sentirait prête. Quand elle en aurait envie.

Et puis, Jules est parti. Définitivement.

La douleur a été terrible. Fleur ne reconnaissait pas sa vie. Elle assistait à ce qu’il se passait telle une spectatrice discrète et distraite. Elle n’était pas là. Chacun se pressait, l’embrassait, lui assurait son soutien. Elle était étrangère. Elle était seule. Noyée dans le brouillard de sa vie. Déambulant dans une existence inconnue. Elle aurait voulu s’envoler avec Jules.

Ça a duré un an.

Juin 2015.

Aéroport de Rio de Janeiro. 05h30. Atterrissage.

Il y a un an, Jules a pris un billet sans retour. Otage du grand Glio. Anéanti par une tumeur cérébrale.

Jules et Fleur étaient des âmes sœurs. Jamais l’un d’eux n’avait vécu sans l’autre…

Et puis, cette boîte. Un matin de juin, Fleur avait eu envie de l’ouvrir. A l’intérieur, elle avait découvert un avion en papier. L’aéroplane était habillé d’un revêtement manuscrit. Une écriture maladroite et malmenée par les turbulences cérébrales. Cette flèche volante avait sorti Fleur de sa torpeur. Décollage immédiat…

Ma Fleur,

Si me duermo mi amor…

Aujourd’hui tes paupières s’ouvrent péniblement. Je voudrais être là et venir te chuchoter « si me duermo mi amor »…

Hier, après une furieuse bataille, j’ai rendu les armes. Malgré moi. Malgré l’amour dont tu m’inondes. Nombreux ont été à me soutenir. J’ai lutté. Sans haine contre mon adversaire. Avec rage et envie. Je suis allé au bout de moi-même.

Elle est arrivée dans notre vie brusquement. Sans prévenir. Elle a débarqué. Sans bagages. Après un atterrissage périlleux, elle s’est installée. Elle a fait connaissance avec l’ensemble de mes neurones. En cachette.
Quelque chose n’allait pas. Comment savoir? Pourquoi ne voulait-on pas savoir vraiment? Enfermer cette soirée aux urgences dans une valise. L’envoyer loin.
Trop tard. La tempête. La violence avec laquelle nous avons été heurtés venait d’ailleurs. Nous avons rapidement compris qu’il faudrait combattre avec force et envie. Ne jamais s’avouer vaincu. Saisir les courts répits comme des parenthèses enchantées. Lui envoyer notre bonheur en pleine figure. La mettre à terre. A son tour.
Malheureusement, ces phases ne duraient jamais. Il fallait rebondir. Toujours.
Chaque étape était plus ardue. Plus rude. Plus féroce. Je n’ai jamais perdu espoir. Tu étais là. Toujours. Ton amour me portait. Ta volonté et ton courage m’ont amené au bout de moi-même. Pour moi. Pour toi. Pour nous. Ta tendresse et ta folie m’ont animé tout au long de ce voyage.

Aujourd’hui, de mon hublot je t’aperçois. Tes larmes coulent. Ta peine est immense. Ta douleur semble insurmontable.
« Si me duermo mi amor »… Je voudrais faire briller le soleil plus fort que jamais. Te dire combien je t’aime. Te dire que là où je suis, dans cet avion de l’inconnu, j’ai trouvé le calme. Je suis assis. Je te regarde. Je souris.
Je me suis endormi avec ton visage. J’ai vécu un rêve depuis le jour de notre rencontre. Je relis notre vie. Tu es belle. Je suis là. Tout près. Toujours.

Jules

 

Fleur a décidé de continuer à vivre. Ailleurs. Autrement.

Jules aurait dû être muté au Brésil en juillet 2015. Evidemment, elle l’aurait suivi.

Alors elle y est allée. Elle ne sait pas ce qui l’attend. Elle ne sait rien en fait.

Elle n’a plus peur parce qu’elle sait qu’il est là.

Au dessus d’elle.

Là haut. Dans les nuages. Là, où il avait toujours voulu être.

« Et la mer, quelle saloperie ! »

 

Par Colette
Lorsqu’elle écrit Colette n’a pas d’âge…
Les mots s’enfilent comme des perles sur un collier…
Les textes qu’elle écrit ne vivent que sur l’écran de son ordinateur ou sur les pages de ses carnets.
Aujourd’hui, elle décide de se lancer un défi,
Elle a envie,
Elle a peur,
Elle est impatiente,
Elle imagine,
Elle est heureuse d’écrire, là, maintenant, tout de suite ; de penser à ce qui l’attend…

Texte de Nolwenn

Mathilde est hypocondriaque. Sa plus grande peur ? Faire une crise cardiaque. Sa vie s’organise donc autour de son coeur. De ses battements. Elle a réussi à agacer tous les cardiologues de la ville. Aucun ne veut encore la recevoir. Tous ont fait des tests, des mesures et lui ont dit « vous avez un coeur en parfaite santé Madame. » Peut-être aujourd’hui, mais demain ? Dans sa famille il y a des gens qui sont morts de crise cardiaque, ça pourrait être génétique. Le grand-oncle de son cousin Matthieu par exemple. Et le beau-frère de son grand-père aussi. Il faut faire attention aux prédispositions.

La vie de Mathilde n’est pas très excitante. Et pour cause, l’excitation affole le coeur, c’est dangereux. Avant même de se lever, Mathilde attrape son téléphone et grâce à une application qu’elle juge révolutionnaire, mesure son rythme cardiaque. 57, tout va bien. Avant de sortir de chez elle pour se rendre au travail, elle recommence. 75, tout va bien. Dans sa voiture (oui parce que les transports en commun sont beaucoup trop dangereux), arrêtée au 4e feu rouge qu’elle croise elle vérifie. 70, c’est bon. Ainsi de suite, toute la journée. Avant le repas, après le repas, après avoir monté les escaliers, après avoir discuté avec son patron, après sa séance de yoga, après avoir téléphoné à sa mère, avant de se coucher… Mathilde évite bien entendu toute situation stressante et inconnue. Son objectif ? Ne pas dépasser 110 battements par minute.

Ce week-end, Mathilde est invitée à un mariage à Biarritz. Celui de sa soeur, Hélène. Impossible de l’éviter. Rien que d’y penser son rythme cardiaque augmente. Elle ne peut pas y aller en voiture. Tours-Biarritz, trop long, trop fatigant. Donc 5h30 de train, changement à Bordeaux, tout peut arriver. Elle surveille ses battements toutes les 15 minutes. 85, c’est un peu rapide mais elle stresse donc ce n’est pas catastrophique. Finalement, elle arrive à Biarritz sans encombre. Sa mère l’attend à la gare. Et lui saute dessus, enchantée de la voir, comme d’habitude. “Doucement maman, tu me serres trop fort.” Dans la voiture son rythme redescend à 75, elle respire mieux.

Les retrouvailles familiales sont agréables mais Mathilde a besoin de se remettre de ses émotions. Son petit coeur a été bousculé dans ses habitudes, il ne faudrait pas qu’il s’énerve ou pire qu’il se venge. Derrière la maison de ses parents, part un chemin de balade qui mène à la plage. Enfant, Mathilde aimait regarder les surfeurs. Aujourd’hui, le déferlement des vagues l’assourdit, le vent lui fouette le visage et les embruns lui pique la peau. Elle frissonne. Il y a 10 ans, ici, son frère Tom s’est noyé. Il était sorti faire du surf par un temps épouvantable. Il n’est jamais rentré. La mer, quelle saloperie.

“Tout va bien Mathilde ?” Surprise, elle se retourne vers l’inconnu qui lui parle. “Je suis Grégoire, un ami d’Hélène.” Ah oui elle se souvient maintenant. Le gringalet boutonneux avec qui sa soeur partait toujours faire du vélo. Il n’est plus boutonneux. Ni gringalet. La discussion s’engage. Ils se rappellent leur enfance ici. Rigolent à l’évocation des tours qu’ils ont fait à leurs parents. Il est tard. Demain est un grand jour. 92 en rentrant tranquillement, ça va.

A la mairie, Grégoire vient s’asseoir à côté d’elle. Elle sent son coeur battre plus fort dans sa poitrine. Que se passe-t-il ? Elle est assise. Il ne fait pas trop chaud. Le mariage n’a pas encore commencé. Elle n’ose pas sortir son téléphone pour mesurer son rythme cardiaque. Elle respire. Pas d’affolement. Elle a dû être surprise par l’arrivée de Grégoire, c’est tout. Son coeur se calme déjà.

Le mariage est beau. Hélène rayonne. Mathilde a les yeux humides. Ses battements se sont accélérés mais c’est l’émotion. Grégoire lui serre brièvement la main. Elle lui sourit. C’est bien beau tout ça mais il ne faudrait pas que ça dure trop longtemps. Son coeur risque de ne pas le supporter.

Le soleil brille. Les invités trinquent au champagne. Mathilde échange avec Grégoire. Sa soeur la regarde avec un sourire en coin.

La fête bat son plein. Les tables ont disparu pour libérer la piste de danse. Le coeur de Mathilde bat à 110 à cause d’une valse avec Grégoire. Maintenant elle doit faire une pause. Elle marche, pieds nus dans l’herbe, savourant la fraîcheur de la nuit. 95, c’est bien ça redescend.

Grégoire apparaît à son côté. “Tu as froid, tu veux ma veste ?” Mathilde ne dit pas non. Il la dépose délicatement sur ses épaules et effleure sa peau. Son coeur s’affole. Il avance tout près d’elle. Il cogne dans sa poitrine. Il caresse lentement sa joue. Il résonne même dans ses oreilles. Il approche son visage. Il va exploser. Il l’embrasse. Oh ! Il bat au moins à 200 ! Mais… tant pis… Elle mourra de plaisir.

Par Nolwenn
Aime lire, raconter et écrire des histoires depuis… (ne s’en rappelle pas c’est trop loin). Devenue journaliste de presse écrite pour en partager. Dans ses rêves les plus fous, serait conteuse et écrivaine. Y travaille…

Texte de Mamzelle

« C’est la course, comme d’habitude ! », c’était devenu son expression du moment. Toutes les journées sur le même rythme, un rythme trépidant où le temps vous file entre doigts… Réveil, petit-déjeuner, courir pour attraper le bus, surtout ne pas le rater ! Une fois dans le bus, 10 minutes pour se plonger dans ses cours… Médecine… Elle a toujours voulu faire ça… un rêve de gosse qu’elle espère réaliser en fin d’année… Ce foutu concours qui l’oblige à courir après le temps… la fac, les amphis, un repas sur le pouce la tête dans les livres, retour dans les amphis, la bibliothèque, courir pour attraper le bus du retour, pas le temps de laisser son esprit vagabonder, chaque minute doit être optimisée ! Ouvrir la porte de sa chambre d’étudiante, jeter un regard sur le lit se dire qu’une pause ne serait pas du luxe et puis non, définitivement non, ce concours, ça doit rester son objectif, alors elle enchaîne sur de nouvelles révisions jusqu’à s’endormir sur ses livres… un nouveau jour se lèvera et comme un bon petit soldat, elle sera sur le pont… pour l’avoir ce foutu concours… Un rythme de fou… mais ça en vaut la peine, elle en est sûre… Elle profitera de la vie plus tard ! elle est jeune, elle aura le temps de vivre. Après.

Elle fonce tête baissée ce matin, deux minutes de retard sur son planning ! Alors elle fonce et quand elle relève la tête, elle la voit… Le temps s’est comme suspendu, quelques millièmes de secondes à peine mais elle a pu observer les détails de ce qui allait définitivement changer sa vie, si jamais sa vie se poursuit d’ailleurs… Quelle sensation étrange de se dire que c’est peut-être sa dernière inspiration… quelques instants et le temps reprendra sa course. Elle lève les yeux pour garder l’image du ciel bleu au fond de son âme… Tout est noir…

Ouvrir les yeux, elle peut ouvrir les yeux mais ce n’est plus le ciel au-dessus d’elle.

Sur ce foutu lit, le temps a arrêté sa course folle ou peut-être est-ce elle qui a arrêté de courir après lui… maintenant la journée semble s’étirer, s’allonger. S’écouter respirer… Drôle de concept, n’est-ce pas ! Mais depuis son lit, il a bien fallu trouver de quoi occuper les interminables heures à attendre. Elle ne peut pas aller vers les autres alors elle doit attendre qu’on vienne jusqu’à elle…

Tout est plus long, plus difficile… Elle doit tout réapprendre, manger, parler… Même sa parole est ralentie… Les idées, les mots ne s’emmêlent plus comme avant, elle a l’impression de franchir l’Everest juste pour pouvoir dire un mot ! Elle apprend à se contenter de toutes petites victoires : voir la cuillère s’approcher timidement, maladroitement de sa bouche et réussir à prendre une bouchée seule… elle doit attendre… « Patience » telle est sa nouvelle devise… va-t-elle marcher de nouveau ? Va-t-elle parler de nouveau ? Attendre, toujours attendre… d’ailleurs elle ne supporte plus le tic tac des montres. Elle qui ne cessait de les regarder avant, maintenant elle n’en a plu besoin… A quoi bon savoir qu’une heure s’est écoulée… Sa vie est rythmée par les repas, les séances de rééducation… Elle n’a plus le sentiment de diriger sa vie, elle la subit… A peine deux mois se sont écoulés selon ses proches, mais elle a du mal à le croire… pour elle c’était une autre vie, il y a une éternité  en somme…

Une seule chose lui redonne le sourire : écouter le groupe préféré de sa maman… Ainsi elle a l’impression de se retrouver en enfance, de sentir l’odeur du goûter du dimanche… Sa mère adorait chanter à tue-tête, ce qui faisait sourire son père…. Les yeux fermés, elle esquisse un sourire…Parfois même, elle semble presque fredonner sur sa chanson préférée, toute son enfance cette chanson… « La mer quelle saloperie »… bon elle changerait volontiers les paroles tiens… La vie quelle saloperie…

Par Mamzelle
Totalement novice dans l’écriture, j’aimerai me lancer et voir ce que je suis capable de produire mais je pense avoir besoin d’une ligne directrice

Texte de Justine

Trois heures du matin. Elle se résigne. Elle s’extrait du lit après de nombreuses contorsions. Trois heures qu’elle tourne en rond à chercher une position confortable. Les pieds nus sur le sol froid, elle frissonne, mais elle renonce à enfiler une paire de chaussettes, trop d’efforts. Elle couvre ses épaules de son châle épais, et se dirige lentement vers la cuisine, les mains posées sur son ventre lourd. On entend le frottement de ses pas sur le parquet. Elle n’allume pas la lumière, préférant la douceur de l’obscurité qui l’entoure. Elle met en marche la bouilloire, se pose sur une chaise, inconfortable, tant-pis la flemme de se relever. Ses yeux sont cernés de jaune et bleu ; des nuits qu’elle ne dort plus. Elle aime ces heures de la nuit qui semblent être distendues. Elle se demande pour la centième fois comment elle va faire quand les bébés seront là. La bouilloire se met à siffler. Elle se lève péniblement. Un liquide chaud lui coule entre les jambes. Non ça ne peut pas être çà. C’est trop tôt. Bien trop tôt. Hier encore la sage-femme lui disait que le col était bien fermé. Elle se rassoit lourdement, sonnée. Le temps semble en suspension, seul le mécanisme de l’horloge rappelle les secondes qui s ‘égrènent. La lumière des phares des rares voitures éclairent son visage, immobile. Le liquide chaud continue à couler lentement le long de ses jambes nues. On pourrait penser qu’elle n’y prête pas attention. Et pourtant, elle songe à tout ce qu’elle n’a pas fait, la valise qui n’est pas prête, la chambre qui est en travaux, les lits qui ne sont pas montés…elle se frotte les yeux. Non c’est trop tôt. Ils ne sont pas prêts. Elle veut les garder en elle. Elle reste sur sa chaise, les yeux dans le vague. Elle ne peut y croire. Encore une satanée fuite urinaire.

Peu après, ou peut être des heures plus tard, on ne sait pas, elle émerge, tremblant de froid. Sa respiration s’accélère, elle réalise qu’elle doit agir. Elle se lève, bien plus rapidement, se hâte vers la chambre à coucher, secoue son mari « réveille toi, réveille toi », elle hurle presque. « Ils sont là, les jumeaux arrivent, j’ai perdu les eaux ». Elle le tire, l’arrache du lit. Il ne comprend rien, grommelle « non ce n’est pas possible, tu as fait un cauchemar ». Elle crie « j’ai perdu les eaux ». « C’est bien trop tôt ». Ils s’engueuleraient presque. Alors, elle se pose, le fixe, respire, plusieurs fois, lentement, « écoute moi, je ne rêve pas,  j’ai perdu les eaux, il faut qu’on aille d’urgence à l’hôpital ».

Et là, tout s’enchaîne, se précipite. Les mêmes mouvements, en même temps. Les vêtements qu’ils attrapent et qu’ils enfilent, la porte qu’il claque, les clés qu’il met dans le contact, la pédale d’accélérateur qu’il enfonce brusquement, les lumières du périphérique parisien qui défilent. Les pensées qu’ils chassent, les semaines d’aménorrhée qu’ils évitent de compter. Temps figé dans cet habitacle où aucun mot n’est prononcé.

Les sages femmes leur posent de nombreuses questions, rapides et efficaces. Aucune place à des fioritures langagières. Temps compté. Le médecin ordonne, lance des injonctions. Ça tourbillonne autour d’eux. Ils sont happés par l’action qui leur permet de ne pas penser. Injection de corticoïdes, touchers vaginaux, battements des cœurs qui peinent à couvrir les paroles et les mouvements précipités du personnel.

Les secondes qu’elle voudrait jours, les minutes semaines. Elle perd pied.

« …. En souffrance…Accoucher….césarienne »

« Nooooooon » elle hurle, « je ne veux pas, je ne veux pas, ils sont trop petits ». Elle pleure, elle se débat, elle s’accroche à son mari. Cette fois tout va trop vite, elle est emportée, happée : écho de pas qui se hâtent, couloirs aux murs grisâtres qui défilent, portes coupe feu qui claquent.

Des lumières l’aveuglent, une main lui prend la sienne, fermement. « Courageuse…ce qu’on peut…calmez… ».

Puis, plus rien.

Au loin, une voix de femme « la mer…..quelle saloperie…trop nul…vraiment déçue », des bruits de machine.

Elle ouvre péniblement les yeux, murs blancs, un visage suspendu au dessus d’elle.

Elle a envie de vomir, mal à la gorge. Elle se sent vide, creuse. Elle articule péniblement « mes bébés. »

La même voix de femme lui répond « chut….va aller… »

Par Justine

Texte d’Aquassiba

Trop, c’est trop !

J’étais à bout. J’avais l’impression d’avoir chopé un méchant virus qui me vidait de mes forces et me conduisait au bord de la déprime. Pourquoi avais-je cédé à l’insistance de ma belle-sœur et laissé partir mes filles à Cannes avec elle ? « Puisque vous ne pouvez pas aller dans la Haute-Loire en juillet, confie-moi les petites. Elles passeront du bon temps avec leurs cousines, et puis franchement la campagne… Toi, tu auras tout le mois d’août pour profiter de tes puces ». Elle n’avait rien ajouté mais j’avais vu pointer la vacherie rituelle au coin de ses lèvres : « Vous, les enseignants, avec vos trois mois de congés ! » Des étoiles s’étaient allumées dans les yeux de Tania et Sarah : la villa grand-luxe dont tante Liz nous rebattait les oreilles, la mer… Comment résister ?

J’avais pourtant l’habitude de passer la seconde semaine de juillet sans mes filles qui séjournaient chez ma mère : c’était l’occasion pour Tom et moi de nous retrouver. Je me reposais, préparais un repas fin pour le soir en attendant son retour. Des soirées en amoureux, une nouvelle lune de miel. Ce que je n‘avais pas prévu, c’est que, les filles à peine envolées, son boss lui proposerait de superviser jusqu’à la fin du mois un chantier à la frontière suisse. Pas question de rentrer tous les soirs, mais les confortables indemnités de déplacement valaient le sacrifice.

J’avais apprécié ma première journée de détente en célibataire, paressant au lit, puis sur le balcon avec un bon livre, me concoctant mentalement un programme de rangement et de shopping pour les jours à venir. Le soir, toutefois, j’avais peiné à trouver le sommeil. Le lendemain, le malaise m’avait cueillie dès le réveil. J’avais zappé mon sacro-saint petit déjeuner. À midi et au dîner, quelques fruits m’avaient suffi. Mes bonnes intentions d’occupations avaient été remises à plus tard. J’avais attribué mon humeur au spleen rituel du début des vacances d’été : un réveil qu’on ne fait plus sonner, du temps devant soi, plus de classe où faire régner le calme et se réjouir des « Maîtresse, j’ai tout juste ? Maîtresse, j’ai pas compris ! »

Puis d’heure en heure, de jour en jour, le calme de l’appartement avait fait monter en moi des bouffées d’anxiété. La vérité m’était apparue. Bien plus que mes chenapans de CE2, c’étaient des rires de Tania et Sarah que je me languissais. C’étaient leurs bras autour de mon cou que je voulais. Chaque soir, je grinçais des dents en passant devant leurs chambres, déçue de ne pas apercevoir leurs têtes brunes, un petit pied ou un bras dépassant du drap. Pire, lorsqu’elles me téléphonaient, leur joie, au lieu de me faire plaisir, m’agaçait : « C’est super, maman, elle est géniale la mer à Cannes ! » Je demandais si je leur manquais mais leur « bien sûr, petite maman » me semblait sonner faux. Et j’enrageais d’en avoir pris pour quinze jours, cette fois !

Me manquaient aussi cruellement, dans le grand lit à deux places, la jambe de Tom contre la mienne, sa main égarée sur ma cuisse ou mon ventre, son souffle près de mon oreille. Je m’agitais dans tous les sens sans trouver le sommeil. Quant à ses coups de fil quotidiens que j’attendais le cœur battant, ils étaient loin de me rassurer. Il pensait à moi, travaillait beaucoup, la région était belle, il me rapporterait du bon chocolat suisse. Une voix s’élevait dans ma tête : « Les femmes, elles sont belles aussi, là-bas ? » Je n’en étais pas fière mais c’est ainsi : douze ans de mariage et je suis toujours aussi folle de lui qu’au soir de notre première rencontre.

J’ai fait un effort, pris la voiture et rendu visite à ma mère. Je l’ai trouvée amaigrie, fatiguée. De son côté, elle s’est inquiétée de ma mine de papier mâché. Je suis repartie honteuse d’avoir ajouté à ses soucis.

Au retour, je me suis traitée d’égoïste, de petite nature, me suis promis de réagir. Je n’ai pas pu. La colère m’a pris, contre Liz, cette snobinarde qui m’avait privée de mes filles, contre mes filles que leur séjour à Cannes aurait pourries – la mer, quelle saloperie ! – et qui à coup sûr me reprocheraient le mois d’août à la montagne, contre Tom qui avait eu le culot de m’abandonner. À cause d’eux je crevais de solitude. Ce débordement de mauvaise foi m’a fait du bien. Je savais pertinemment que c’était le seul remède qui me permettrait de tenir bon jusqu’à ce que retentissent les voix aimées :  « C’est nous maman chérie ! On t’aime. Salut mes femmes, votre homme est rentré à la maison ! »

Par Aquassiba
J’écris depuis mal d’années. J’anime un forum de passionnés de lecture et d’écriture et participe régulièrement à des jeux d’écriture. J’ai eu l’occasion de publier quelques ouvrages.

proposition 06/2015

Bonsoir, 

Voilà, comme prévu, nous sommes dimanche soir et l’atelier prend fin. Les commentaires ont été clos sur l’ensemble des textes, mais vous gardez bien entendu la possibilité de les consulter. 

Merci à tous pour votre participation à cet atelier qui accompagne l’arrivée de l’été!

Ecrire-en-ligne prend désormais ses quartiers d’été (justement). Rendez-vous en septembre pour ceux qui le souhaitent. 

Bonne fin de soirée et bonne continuation à vous tous!

Gaëlle

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Nous voici en juin. La fin de l’année scolaire approche, et avec elle : les vacances (pour ceux qui en prennent), la torpeur estivale, ce temps un peu suspendu où tant de choses s’arrêtent ou au moins ralentissent. Pour autant, j’ignore ce qu’il en est pour vous, mais en ce qui me concerne, avant d’atteindre les congés, au contraire, tout s’accélère. Il faut en quelque sorte mettre les bouchées doubles avant d’appuyer sur pause.

Alors je vous propose ce mois-ci de mettre en scène, justement, un « changement de rythme » dans la vie du personnage que vous créerez. Vous le confronterez à un de ces instants imprévus, que l’on ne voit pas forcément venir, où le rythme habituel du quotidien perd ses droits. Une situation où tout s’accélère, ou bien au contraire, où tout ralentit, voire s’arrête. Une sorte de « distorsion » temporelle, ou en tout cas, l’impression de vivre ce phénomène.

Envisagez une période de surchauffe au travail, ou bien un congé maladie qui contraint au repos. Une semaine en ermite loin de tout, ou bien un périple hyperactif dans un pays étranger à l’assaut du plus de monuments possible… Racontez-nous les causes et les conséquences de cette situation. Décidez si cette « distorsion » est voulue, ou imposée, si elle est heureuse ou douloureuse, si le personnage perd pied ou si au contraire il savoure, etc…

Et pour terminer, je vous propose d’introduire dans votre texte l’expression « la mer, quelle saloperie ! » (ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les négresses vertes dans « voilà l’été », c’est de circonstance, il paraît – Et cet avis n’engage qu’eux!)

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