Ateliers d’écriture créative, de fictions, animés par Francis Mizio

Catégorie : CatMars2017

Texte de Schiele

« Voici des fleurs, des fruits, des feuilles et des branches »

C’est tout ce que je voudrais t’offrir.

A toi ma première née.

Ma fille.

J’ose à peine écrire ces mots. Je serais certainement incapable de les prononcer à haute voix tant ils me paraissent irréels et magiques.

Mon tout petit bébé.

C’est notre deuxième nuit dans le cocon de la maternité.

Et je réalise. De toute la force de mon coeur. Une vague folle d’amour m’envahit. Venue d’on ne sait où. Un truc ancestral, tribal, tripal. Ca me dépasse, je n’ai aucun contrôle là dessus mais j’aime ça. Je le ressens irradier par vague et imprégner mon corps.

Je me sens louve.

Tu n’as pas encore de prénom.

Avec ton père , on s’était dit qu’en voyant ta trogne on pourrait trancher.

Ca fait 30 heures qu’on alterne entre Penny et Zoé. Ton père ne veut pas assumer Penny à cause des potentiels jeux de mots débiles et moi je veux que tu sortes du lot avec un prénom qui ne figurera pas dans le top 10 dans les années à venir.

Je te souhaite des fleurs pour égayer ta vie et des fruits que tu te régales de leur jus sucré en été. Des feuilles sous lesquelles t’assoupir bercée par la brise de mai.

Et des branches pour y grimper et construire des cabanes.

Je te souhaite de la liberté. Celle d’être qui tu voudras . Celle de voir le vaste monde.

Je te promets d’être cette mère qui y veillera.

Qui deviendras tu?

Me ressembleras tu? Irons nous nous promener le long des plages? Serons nous complices?

T’aurais je transmis le goût des autres, du rire et de la bouteille à moitié pleine? Voudras tu aussi soigner ?

Feras tu mieux que moi?

Seras tu une adulte qui ose?

Réussiras tu à aimer ton corps, savoir en jouer en tant que femme?

Vivras tu près de moi que nous continuions à partager une fois que je t’aurais élevée?

En attendant, je contemple ton visage à la peau si parfaite, tes menottes délicates et me baigne dans le ressac doux et enveloppant de mes hormones de maman en devenir.

« Voici des fleurs, des fruits, des feuilles et des branches »

C’est tout ce que j’ai à lui offrir.

Pauvre de moi.

Elle me rira au nez.

Qui ose encore déclamer de la poésie à une femme ?

Ma voisine.

Enfin celle qui a investit la maison de l’autre côté du lac.

Non pas que ma solitude me pesait, je l’avait embrassée avec fougue et n’ai cessé de l’étreindre depuis. Dénicher cette longère isolée, pour y réparer des vélos et des vieilles motos a été la meilleure idée de ma morne existence.

Ca signifiait ne plus avoir à subir le vacarme incessant des marteaux piqueurs, des grues et cris des collègues sur les chantiers. Vivre à mon rythme et pas celui des ingénieurs qui ne connaissent rien aux réalités des maçons. Mettre mes mains dans le cambouis redonner vie à des bécanes patinées. Ne pas être obligé de porter quotidiennement le masque affable de la sociabilité.

Mais entendre au loin les vieux volets grincer m’a sorti d’une torpeur dans laquelle je ne m’étais pas senti glissé.

Il me semblait bien qu’il y avait à nouveau de la vie dans ce vieux corps de ferme, mes chiens aboyaient plus souvent. L’inconnue, arrivée en pleine explosion de l’été, était restée volets fermés pendant des semaines.

Il lui en a fallu du temps pour sortir son nez dehors.

Pas très calée sur la météo, elle a poussée les battants aux premiers nuages d’octobre.

Je me suis surpris à guetter, intrigué par sa présence et sa silhouette courbée. Je n’ai jamais réussi à distinguer nettement ses traits. J’allais quand même sortir mes jumelles.

Son pas semble trainant et lourd dans les graviers.

Et quelle lenteur pour monter l’échelle , élaguer la glycine et le lierre qui ont sauvagement conquis les murs de sa bâtisse.

Maintenant que les pluies de novembre sont battantes, la voilà qui sort désherber.

On dirait qu’elle a redressé son port de tête. Son pas est plus léger, ses mouvements fluides.

Elle a l’air gracile dans sa salopette en jean.

Après le cloitre et le silence, elle nous fout son ghetto blaster dans la cour à fond de Nirvana.

Ca devient une habitude de fumer ma clope sur le pas de ma porte en la regardant bosser dans le jardin.

Elle qui n’avait jamais semblée intéressée par mon voisinage , se retourne et me gratifie d’un beau majeur saillant, vernis d’un rouge bagarre. Pas commun pour quelqu’un qui fout les mains dans la terre.

Elle n’a jamais de visite, sauf le facteur.

Elle devait être partie faire des courses, ce matin, il m’a laissé un gros paquet pour elle.

Je connais maintenant son prénom.

Comme dans la chanson de Kurt, distill the life that’s inside of me, seat and drink Penny royal tea

 

Par Schiele

Texte de Pilly80

« Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches. Et on va voir ensemble quels souvenirs tout cela va vous évoquer. » Amelie la jeune animatrice de la maison de retraite vida son panier sur la table ronde en mauvaise imitation bois. Une poignée de personnes âgées était installée autour, l’oeil vaguement intéressé. Sauf Marcelle, qui tirait la tronche. On était en plein été et Amélie n’avait pas lésiné sur la quantité : la table étaient maintenant entièrement recouverte d’abricots, de fruits rouges, de tournesols et de nombreux autres végétaux. Des mains tremblotantes, et pas seulement à cause de l’émotion, s’approchèrent timidement. Plusieurs minutes s’écoulèrent en silence pendant que les doigts exploraient, saisissaient, palpaient tout ce qu’Amélie avait amené. Puis chacun ramena ses mains sur le bord de la table. La jeune femme attendit que les souvenirs remontent doucement à la surface. Pierre parla le premier. Il avait tout suite repéré les tournesols. Il y en avait un plein champs derrière sa maison. Il aimait regarder le linge qui séchait et claquait au vent avec les tournesols au second plan pendant qu’il prenait le café à l’ombre avec son épouse. Sa douce Marie qui était partie l’année dernière. Il était toujours ébloui par le tranchant du jaune des pétales sur le bleu du ciel d’août. Quelques sourires commencèrent à rajeunir un peu les visages lorsque Pierre s’arrêta de raconter. Amélie se dit qu’elle avait eu une bonne idée. Sauf pour Marcelle, évidemment. Rose tendit alors le bras et saisit une quetsche qu’elle porta à son nez. Elle ferma les yeux et se mit à évoquer les confitures de sa mère. L’odeur de prune emplissait alors la maison et débordait dans le jardin par les fenêtres ouvertes. Rose fit tournoyer son bras comme lorsqu’elle brassait le mélange enivrant dans la marmite de cuivre. Sa mère lui expliquait qu’on appelait aussi ce fruit la prune de Damas. Et la petite Rose pensait toujours au désert et à Lawrence d’Arabie. Le secret de sa famille, que Rose confia au petit groupe, c’était de rajouter quelques tranches de citron qu’on laissait confire dans le mélange. Et c’était toujours avec une petite pointe d’excitation que Rose se demandait si la cuillerée qu’elle allait ensuite étaler sur sa tartine allait contenir la délicieuse douceur acide d’une tranche de citron confite perdue dans la confiture.

C’est alors que Jeanne prit la parole. Jeanne parlait peu et Jeanne parlait mal. Il n’y en avait pas sur la table mais tout cela lui rappela soudain le vent qui faisait chanter les feuilles des charmes qui bordaient la route près de chez elle. Elle l’empruntait souvent pour aller à la rivière avec son amoureux de l’époque. Elle ne savait plus comment il s’appelait mais elle se souvenait précisément de la chanson du vent quand elle le rejoignait le cœur battant dans la moiteur étouffante des après-midi d’été. Elle raconta avec sa parole bricolée ce qui resterait pour elle le tube de l’été : la musique du vent dans les feuilles des charmes. Mais elle garda pour elle le souvenir ému des caresses et des baisers qui venait juste de remonter. Elle le laissa palpiter dans sa tête comme un petit trésor en fermant les yeux.

Amélie les regarda tous. Elle avait réussi à leur rappeler que l’été n’était pas forcément synonyme de « vigilance canicule ». Sauf pour Marcelle, qui ne disait rien, ne regardait personne et semblait s’ennuyer profondément. Marcelle était la seule qui avait toute sa tête mais elle était bloquée sur une chaise roulante. Tout le contraire des trois autres. Elle venait toujours aux animations que proposait Amélie mais ne participait jamais. Enfin si, une fois elle leur avait dit que eux c’était leurs têtes qui étaient en fauteuil roulant. Ca n’avait pas vraiment été bien accueilli. Forcément.

Puis l’animatrice leur signala la fin de l’atelier. Chacun repartit vers sa chambre et Amélie vers son petit bureau du deuxième étage.

Marcelle approcha son poing fermé de son visage tandis qu’une aide soignante la raccompagnait. Elle inspira fort et laissa l’odeur acide et forte du grain de cassis qu’elle avait chipé lui secouer la mémoire. Elle se rappela cet après-midi d’été où sa grand-mère et elle avaient fait tomber une bouteille de liqueur de cassis sur le sol du petit salon. L’odeur forte avait alors envahie la pièce et elles avaient tout nettoyé en rigolant bruyamment car la tête leur tournait un peu avec les vapeurs de l’alcool. Alors Marcelle, en s’assurant bien que personne ne pouvait la voir, se mit à sourire. Imperceptiblement.


Par Pily80

Texte de Groux

Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches.

C’est comme ça qu’on l’avait trouvée. Assise à même le sol, ses bras entourant ses jambes nues. Ses habits étaient déchirés, ses cheveux emmêlés, remplis de feuilles mortes et de brindilles.

Elle se balançait d’avant en arrière, les yeux hagards.

C’est sa voix ténue qui avait attirée les gendarmes vers elle. Après la découverte macabre, au milieu de la nuit, de ces 3 corps mutilés.

Plusieurs équipes avaient été dépêchées sur le terrain. C’était la 5ème fois en moins de 3 mois que le tueur sévissait. Le nombre de ses victimes ne faisait que croitre et aucune piste n’avait été concluante. Aucun témoin, jamais. Aucun indice non plus. Le tueur était méticuleux.

Et là, pour la première fois, cette fille. Elle avait dû pouvoir s’échapper. Quelque chose ou quelqu’un avait dû déranger le tueur, car il ne serait jamais parti sans l’avoir retrouvée et tuée.

Tous les hommes présents ratissaient la zone, espérant trouver un minuscule quelque chose qui aurait fait avancer l’enquête.

C’est en s’approchant d’un bosquet, qu’on avait entendu sa petite voix qui répétait comme une litanie cette phrase.

« Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches. »

On lui avait mis une couverture de survie, on avait essayé de lui parler mais ses yeux ne regardaient personne. Elle psalmodiait ceci comme si sa vie en dépendait.

Les pompiers étaient arrivés et elle avait été emmenée à l’hôpital.

Il allait falloir la protéger. Les médias se jetteraient sur elle si sa survie fuitait.

Aux premières lueurs de l’aube, le capitaine de la brigade attendait à l’hôpital. Il fallait qu’il ait des réponses.

Il entra dans la chambre, les stores laissaient passer un mince filet de jour. Il la retrouva comme dans la forêt, assise sur son lit, les genoux repliés vers elle, entourés de ses bras.

Il avança une chaise vers son lit, sans parler. Il ne savait pas comment l’aborder sans être trop bourru. Il tenta un bonjour, qui resta sans réponse.

Alors il parla. Il expliqua les raisons de sa venue, qu’il savait que cela devait être difficile pour elle de parler, de raconter, mais que ceci était vital pour essayer de sauver d’autres vies, qu’elle était leur seul espoir.

Au fur et à mesure qu’il parlait, elle avait pris sa tête dans ses mains et reprenait son balancement, de plus en plus vite. Puis d’une voix rauque, elle se remit à répéter la phrase de la veille. « Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches. »

Le médecin entra à ce moment. Il expliqua que sa patiente était en état de choc, probablement autiste et que cette phrase était tout ce qu’ils avaient pu en tirer lors de son examen. Mais qu’elle devait avoir un lien avec ce qui s’était passé au vu de la violence qu’elle pouvait mettre lorsqu’elle la répétait.

Le capitaine retourna à la gendarmerie, pensif et irrité. Cette témoin ne leur apporterait rien, il ne pouvait rien faire de cette phrase. Evidemment que, dans une forêt, il y avait des fleurs, des feuilles et des branches. Il faudrait peut être chercher le lien avec les fruits, car il ne se souvenait pas d’avoir vu des arbres fruitiers dans la zone du crime.

Il mettrait un stagiaire sur cette recherche, de toute façon, il n’avait rien d’autre.

Il s’assit à son bureau, essayant de recouper les différents meurtres et les informations glanées sur chaque victime. Elles n’avaient rien en commun, ne fréquentaient pas les mêmes lieux ni les mêmes personnes. Il devait bien y avoir un magasin où elles étaient allées, une marque de lessive, quelque chose qui devrait leur sauter aux yeux.

La ville était bruyante aujourd’hui, des voitures publicitaires venaient faire leur réclame et l’empêchait de réfléchir en silence.

Il se leva excédé pour fermer la fenêtre. Au moment où sa main touchait la poignée, il marqua un temps d’arrêt. Se pouvait il que ? Il tendit l’oreille, soudain sur le qui-vive.

Il ne rêvait pas, au milieu du bruit ambiant, il entendait bien cette chanson publicitaire : « Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches. Que l’on soit lundi, vendredi ou dimanche, venez donc composer votre panier, vous repartirez ressourcés et enchantés. »

Se pouvait-il que cette fille fasse allusion au conducteur de cette voiture ? Elle aurait pu l’entendre avant qu’il ne vienne enlever ces pauvres gens. Peut-être qu’avant de les tuer, il transportait ses victimes dans sa camionnette professionnelle et elle aurait entendu le slogan.

L’excitation monta en lui. Il sentait que les choses bougeaient enfin.

Il prit son téléphone et convoqua son équipe. Il fallait retrouver cette camionnette.

Par Groux

Texte d’Ann

« Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches. Vous voyez les enfants ? Dans cette petite boule de cristal, dans la vitrine devant vous. Vous apprendrez dans le programme de l’année prochaine que l’on pouvait encore en voir dehors au 22ème siècle, on appelait ça la Nature. Votre institutrice vous apprendra ça et vous montrera des images. On raconte une légende sur cette boule de cristal, on dit qu’elle renferme… » continuait la voix du guide.

– Je n’ai pas réellement écouté la suite. Je me rappelle que nous avons suivi le guide et la maîtresse de Sciences de la Vie vers les vitrines suivantes, remplies de choses bizarres et d’un autre temps, inutilisables, incompréhensibles aujourd’hui pour la plupart. En me retournant j’ai vu l’éclair de lumière rose sortant de la petite boule, un éclat presque imperceptible. Je me suis éclipsée discrètement et suis retournée vers la vitrine. Et c’est à ce moment que ça s’est reproduit, Monsieur. Mais je vous promets que je ne sais pas comment ça se fait. Je ne sais même pas si c’est de ma faute ou si c’est la boule qui choisit. Je voyais bien que je l’avais dans la main, soudainement. Et pourtant la vitrine était intacte ! Je l’ai regardée, j’ai bien vu ce que le guide appelait fruits, fleurs, branches et feuilles, et j’ai bien vu une petite figure, derrière une feuille, avec des yeux couleurs nuit. Et la petite créature me regardait et c’était comme un voyage dans les étoiles, Monsieur. J’ai mis la boule dans ma poche. Non je ne sais pas pourquoi les alarmes n’ont pas fonctionné. Nous avons fini la visite du Musée des Temps Mémorables et nous sommes retournés à l’école. C’était l’heure, nous avons récupéré nos affaires en classe et j’ai pris la navette scolaire pour rentrer chez moi.

Cette nuit-ci, je n’ai pas vraiment dormi. J’ai admiré la petite sphère. J’ai remarqué que quand je la tenais dans mes deux mains, la chaleur de mes paumes faisait se lever comme un petit soleil intérieur et je discernais mieux la vie qui s’y déroulait. C’est ce qu’on appelle une forêt, Monsieur, ce monde qu’on y voit ? J’ai fait quelques recherches sur le net. On y voit les 4 éléments, oui ? La chose bleue qui semble tomber, c’est de l’eau, une cascade il paraît. Qui sont les drôles de créatures toutes fines qui s’y baignent ? Leurs oreilles sont tellement étranges, leurs cheveux longs magnifiques ! La lumière, c’est le feu, j’ai bien compris, le feu du petit soleil. Une autre petite créature aux yeux de nuit a pris une poignée d’une substance marron par terre, et m’a montré d’un peu plus près cette matière. C’est de la terre, à mon avis. Et dans cette terre pousse cette forêt épaisse qui est comme vivante. J’ai aussi vu des fleurs, ou des feuilles tourbillonner comme balayées par un courant. Je suppose que c’est l’action du vent, de l’air. L’air est partout dans la petite boule, pas dans des bouteilles, pas juste dans des pièces pressurisées comme dans nos habitations ou dans nos navettes. La petite boule est l’extérieur ! Comment est-ce possible, Monsieur ? Qu’est ce que signifie ce mystère ? Qui sont ces créatures ?…Je suis désolée d’avoir pris la boule, je ne voulais pas spécialement.

– Nous savons, mon enfant. La petite boule, comme tu l’appelles, t’as choisie. Tu es la nouvelle gardienne, nous t’attendions. Tu as beaucoup de choses à apprendre avant de tenir ton rôle. N’aies aucune inquiétude, tout viendra en son temps et tu n’as rien fais de mal. Il en est ainsi à chaque fois. Cette petite boule de cristal est ce qui nous reste du Monde d’Avant la Grande Amnésie. Elle est infiniment précieuse. Et vivante, comme tu as finement pu le voir. Les petites créatures sont les descendantes de celles qu’on appelait autrefois fées, elfes, nains et ont créé ce monde miniature pour sauvegarder la Beauté du Monde afin de le faire revivre quand le temps sera venu. Tu es une des rares personnes à pouvoir les apercevoir. Cette petite boule est comme une graine. Et tu as appris qu’une graine peut donner des branches, des feuilles, des fleurs puis des fruits, mon enfant. Viens, maintenant, je vais te présenter quelqu’un et te montrer où tu logeras et commenceras ton long apprentissage.

Par Ann

Texte d’Emije

Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches…

Ils sont là, éparpillés, abîmés par le temps qui a passé. Une forte odeur de moisi et d’humidité surgit à mes narines me faisant penser à un état de décomposition et de fermentation avancée. Je me dis “mais comment a-t-elle pu laisser cet endroit dans un tel état d’abandon”. Ce lieu, dont je vous parle, et qui était mon havre de paix n’est autre qu’un petit jardin tropical communément appelé, jardin d’hiver, niché au cœur d’une petite maison en plein milieu des bois et de la forêt.

C’est ici que vivait ma tante. Après la Seconde Guerre mondiale elle avait décidé d’y vivre retirée, dans ce petit bout de forêt qui portait le joli nom de bois de Saint-Aubin. Très souvent je prenais un malin plaisir à lui dire: “hé tantine ! le petit bois de Saint-Aubin, le bois où on y est bien”.

Elle y était heureuse, ma tante, dans cette maison, accompagnée de ses chiens Sashka et Zena. J’aimais lui rendre visite dès que je le pouvais. Et même s’il me fallait travailler tardivement dans la semaine, le week-end je sautais dans mes baskets, je préparais mon sac à tue-tête et me dirigeais vers le moyen de transport qui m’y conduirait : le train Express Régional. Prononcé en entier il me donnait un peu plus l’envie de m’y aventurer …

J’étais tout excitée à l’idée de ressentir la douce sensation de balancement accompagné de l’envie irrésistible de somnoler mais je me forçais à rester éveillée pour apercevoir quelques minutes et kilomètres plus loin … la gare. La gare, elle était toute mignonne et … mais non, c’est ma tante dont je veux parler. Elle était plantée là, avec ses sabots de jardinier. Elle avait quand même un look particulier !

Dès que je l’apercevais je sautais dans ses bras et n’avais qu’une hâte, me retrouver avec elle dans son havre de paix. La porte franchie, vite, vite j’allais chercher dans le petit atelier mes sabots qui, s’ils pouvaient parler me diraient : « hé, ça fait un bail qu’on t’attendait ».

Ce jardin était mon endroit préféré. Je me suis d’ailleurs longtemps demandé pourquoi et j’ai vite compris qu’il y régnait un air de vacances tout au long de l’année. Ma tante m’a tout appris, les différentes espèces tropicales à faire pousser, leur entretien et surtout deux points essentiels très techniques : la capacité des installations à maintenir une forte hygrométrie de l’air accompagné d’un système de brumisation ultra performant et une bonne régulation du binôme température / hygrométrie. J’ai mis du temps à comprendre les mesures physiques et je n’y voyais pas grande utilité. A vrai dire, je n’avais jamais vraiment été une fusée dans les matières qui combinaient et additionnaient les chiffres.

Une technique maîtrisée, ses petits secrets et les plantes le lui rendaient bien en production de fruits, de fleurs, de feuilles luisantes et verdoyantes, de branches souples et fortes à la fois. Elle faisait ça bien, ma tante. Pour m’y retrouver elle avait eu la bonne idée de planter des étiquettes dans chaque pot, ce qui me permettait de retenir des noms aussi complexes et entortillés que “aloe lineata“, “digitalis canariensis“, “heliconia schiedeana” … parmi des citronniers, frangipaniers et autres subtilités.

Ma tante, venons-en un peu à elle, un instant. Une femme au visage angulaire, au regard doux, profond et bienveillant, de longs cheveux gris relevés avec délicatesse et maintenus avec une pince en bambou. Qu’est-ce qu’elle était belle ma tante ! Elle aimait les matières nobles et naturelles. Elle avait la singularité d’acheter le même modèle de vêtement ou d’accessoire, décliné en deux ou trois couleurs, de grosses chaussettes qui dépassaient de ses bottines à lacets. Les fleurs, elle les portaient sur elle, des tuniques à grosses fleurs. Des couleurs toniques et acidulées qui m’enthousiasmaient. J’aurais aimé lui ressembler mais je ne m’en sentais pas la capacité.

Aujourd’hui, tous ces souvenirs remontent brutalement en moi, provoquant à la fois une douce sensation de bien-être, de gratitude et de force mais aussi de tristesse, un vide immense et quelques larmes.

La maladie générative l’a emporté mais il me reste ces souvenirs à jamais gravé et de nouveaux fruits que j’aimerais à nouveau toucher, de nouvelles fleurs à qui j’aimerais parler, de nouvelles feuilles qui perleront et de nouvelles branches qui s’entortilleront.

À propos, ma tante s’appelait Marie-Rose et mes parents m’ont appelé Églantine… 

 

Par Emije

Texte d’Ademar Creach

« Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches »

Il tressaillit en espérant que personne n’avait remarqué le changement à peine perceptible de son visage. Il jeta un œil à ses parents, à sa sœur… non, personne ne le regardait et chacun continuait à vaquer à ses occupations dans le salon : lire, tricoter, coudre, tout en tendant l’oreille, mine de rien…

Donc, c’était pour ce soir. Il avait peur (il faut dire qu’il était encore jeune, c’est d’ailleurs pour ça qu’il était encore là), mais maintenant, il ne pouvait plus reculer. Il s’était engagé plus au début pour suivre son ami (et épater la sœur de celui-ci autant l’avouer) que pour défendre ses idées. Mais il était désormais convaincu que c’était nécessaire, que c’était une cause juste. Il ne voulait plus rester dans son petit village des Alpes, à attendre, sans rien faire.

Il essaya de ne rien laisser paraître et de continuer à faire comme si de rien n’était. Il visualisait déjà la suite de la soirée : son père allait éteindre la radio, sa mère allait faire réchauffer le peu qu’elle avait pu cuisiner – les temps étaient durs et il fallait se débrouiller – pendant que sa sœur et lui mettraient la table. Ils mangeraient tous les quatre. Même s’ils parleraient peu, ils seraient encore une fois réunis. Mais il était le seul à savoir que ce serait certainement la dernière fois avant…. Avant longtemps. Le repas serait seulement entrecoupé de quelques phrases aussi banales que « tu peux me passer l’eau », « attention c’est chaud »… Comment pouvait-il accepter qu’en ce jour si important, ils n’aient rien d’autre à se dire… sauf que le reste de la famille ne savait pas que c’était un jour si important. Lui-même avait du mal à croire qu’il arrivait à ne rien laisser paraître. Excité par l’action qu’il pressentait… mais tétanisé par l’angoisse qu’il sentait monter.

Et elle, celle qu’il voulait épater, était-elle au courant ? Sinon, à quoi servirait son engagement, sa bravoure (oui, il faut bien dire qu’il le voyait comme ça, même s’il mourrait de peur sans vouloir l’avouer) ? Son ami, et donc son frère à elle, l’avait-il mise au courant ? Savait-elle que les vers de Verlaine (décidément beaucoup utilisé ces temps-ci) étaient

« Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches

Et puis voici mon cœur qui ne bat que pour vous » ?

Même jeune, c’était cela qu’il ressentait. Si elle n’était pas au courant, si elle ne le savait pas, il se promettait de tout lui avouer. Après. Après les opérations. Toutes dangereuses qu’elles soient, il allait devoir s’en sortir pour se déclarer ensuite… et espérer qu’elle partage ses sentiments.

Ils firent la vaisselle. La soirée s’étira longue et insipide. Son père alluma de nouveau la radio, en mettant le volume le plus bas possible pour ne pas se faire repérer. Et la voix répéta les mêmes messages que précédemment « Nancy a le torticolis », « Le chasseur est affamé », « Le chat a neuf vies », « Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches », « Gaby va se coucher dans l’herbe »…..

Une fois qu’ils seraient tous couchés, il se relèverait. Tout doucement il sortirait pour rejoindre son réseau. Certes, il était jeune mais les autres résistants lui avaient déjà confiés des petites missions pour le tester (porter des tracts, faire passer un message…), et ce soir, c’était le grand soir. Ils allaient récupérer des armes (le message était clair, trop lui semblait-il : « Voici de la nourriture (les fruits !), des fusils (la fleur au fusil !), dans la clairière au milieu de la forêt (les feuilles et les branches) »… et prendre le maquis.

La lutte continuait. Et bientôt, la voix de Londres réciterait de nouveaux vers de Verlaine « Les sanglots longs des violons d’automne » puis quelques jours après « Bercent mon cœur d’une langueur monotone ». Annonçant ce qu’ils attendaient tous. Ce pourquoi ils se battaient. Le Débarquement. Et, enfin, la fin de la Guerre.

Par Ademar Creach

Proposition 03/2017

Bonsoir, 

Voilà, comme prévu, nous sommes dimanche soir et l’atelier prend fin. Les commentaires ont été clos sur l’ensemble des textes, mais vous gardez bien entendu la possibilité de les consulter. 

Merci pour votre participation à cet atelier !

Le prochain atelier aura lieu en Avril (lancement le vendredi 7 au soir). Les inscriptions sont d’ores et déjà ouvertes pour ceux qui le souhaitent.

Bonne fin de soirée et bonne continuation à vous tous!

Gaëlle

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Ce mois-ci, c’est le printemps. Ceux qui me connaissent savent à quel point cette perspective me réjouit, pour de vrai. Je ne peux donc pas m’empêcher d’y penser quand je construis les propositions d’écriture des mois de mars, que voulez-vous, on ne se refait pas… !

Qui dit printemps, dit aussi « printemps des poètes ». Et comme pour une toute autre raison, je vis en ce moment pas mal en phase avec la poésie (ce qui n’est pas pour me déplaire, mais qui n’engage que moi… !), je vous propose ce mois-ci de laisser votre imagination vagabonder à partir de ce vers tout à fait « printanier » de Paul Verlaine :

Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches.

Je vous propose d’en faire la première phrase de votre texte, qui en revanche ne sera pas un poème, mais bien un texte en prose. A vous de déterminer un contexte, une intrigue, autour de ces « fruits », ces « fleurs », ces « feuilles » et ces « branches ». Seront-ils anecdotiques, ou essentiels, dans votre texte ? Seront-ils un prétexte à jolies choses, ou source de drame ? Nous raconterez-vous un souvenir ou un épisode actuel ? Tout est possible !

A vous de choisir, imaginer, bâtir une histoire. Prenez-nous par les mots et emmenez-nous voguer autour de ces quatre éléments issus de la nature, mais que peut-être (allez savoir…), vous déplacerez ailleurs.

Bonne écriture à tous !

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