Sur une proposition d’écriture difficile (en gros écrire une scène, comportant deux personnages très caractérisés au moins, qui pose des enjeux globaux d’une histoire à venir ou potentielle), le groupe des participantes de mai qui avaient été repérée comme les plus à l’aise en écriture a su relever le défi avec enthousiasme et énergie… et majoritairement réussite. Je pense même que des romancières en puissance se devinent. Il y a des textes avec des personnages forts, des enjeux, du lyrisme parfois, de l’effet « page turner » en fin de texte… Bravo pour vous être frottées à cet expérience complexe…
Catégorie : CatMai2018
Le tintement de la chaîne métallique la tenant captive résonna en elle dès l’aube. Elle s’éveilla avec difficulté, la poisseur de l’air ambiant rendant ardue l’émergence de son âme jadis si légère, à cette dure réalité.
Alvaro s’adressa à elle :
« Jasmine, levez-vous, nous devons quitter au plus vite. Nous avons été repéré ».
« Voici le Printemps, que les oiseaux saluent d’un chant joyeux.
Et les fontaines, au souffle des zéphyrs, jaillissent en un doux murmure.
Ils viennent, couvrant l’air d’un manteau noir, le tonnerre et l’éclair, messagers de l’orage…»
Début d’un poème sans doute appris à l’école qui me revient à l’instant où je monte les larges marches du perron. La mémoire et ses mystères, la suite m’échappe, et ça m’agace.
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Bruxelles, 1er octobre 1961.
Le jour se levait à peine sur l’avenue de Fonsny, le ciel était blanc et bas, tel qu’il est par habitude de l’automne au printemps à Bruxelles. Un tramway ralentit sa cadence et s’arrêta devant l’entrée de la gare.
Parmi les rares badauds qui en descendirent, un couple se détachait. Lui prévenant et calme, une petite valise à la main, se retourna pour accompagner de sa main libre, celle qu’on devinait être sa compagne. Un claquement retentit et le tramway repris bientôt sa route, faisant sonner sa cloche à trois reprises afin de presser un piéton imprudent.
Le couple fit son entrée dans le grand hall de la gare, dont l’architecture métallique massive induisait un sentiment d’austérité autant que de majesté. Les lieux étaient encore vides et froids à cette heure précoce, l’homme s’avançait vers le guichet.
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Le rideau autour de mon lit d’hôpital s’ouvre dans mon dos. Je sors de ma torpeur au son léger du frottement des anneaux de métal sur la tringle. Comme si l’infirmière cherchait à faire le moins de bruit possible. Elle est charmante mais je n’ai pas du tout envie de parler. Je retiens mon souffle, continue à faire semblant de dormir. Elle se penche par-dessus mon large dos qui fait le rond pour s’enfoncer, plus encore, dans ce lit mœlleux. Si vous saviez… J’en ai rêvé si longtemps. Dormir sur un vrai matelas, dans des draps qui sentent le propre. Pourtant, ici, cette vaste salle commune d’hôpital, ça n’est pas vraiment un cinq étoiles. Son souffle ténu chatouille ma joue malgré la barbe qui l’isole. Je me crispe. Cette tranquillité souhaitée, je sens que ça n’est pas gagné. Elle pose une main sur mon épaule, me secoue doucement :
« Monsieur George, il faudrait vous réveiller. Quelqu’un est là, qui souhaiterait vous parler. »
Son quartier, son immeuble, sa chambre sont tombés. En quelques secondes, un vendredi…
Ses yeux écarquillés d’un bleu habituellement soutenu sont presque délavés. Son visage est creusé, cerné. Son regard figé est absent. Dans un large périmètre de sécurité, au loin, la vision des immeubles déjà éventrés lui donne la chair de poule. Son corps apeuré, tremblant s’accroche à celui de sa mère. Ses jambes ne la portent plus. Les immeubles s’écroulent les uns après les autres à quelques minutes d’intervalle. La vision d’apocalypse et de fumée la rend nerveuse. Elle ressent des scintillements aux yeux, elle a chaud, son corps se raidit et s’écroule à son tour en criant : « Non ! Maman !»
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Isabelle ne sait plus si c’est le poivron ou le maïs que Ginès n’aime pas.
« C’est le poivron ou le maïs que Ginès n’aime pas ? hurle-t-elle à René qui se rase dans la salle de bains au son du Kashmir de Led Zeppelin
– Tu vas pas commencer à t’embêter avec leurs manies à tous, ou tu vas devenir dingue ! » lui répond-il sur le même niveau sonore.
– Oui mais la salade de riz est un plat très fragile. »
C’est vrai : elle peut s’apparenter à la purée informe qu’on vous sert à l’hôpital après une opération de l’appendicite ou pétiller façon champagne, et vous envoyer un repas de famille sur une orbite joyeuse et revigorante.
Hubert marchait d’un pas trainant vers le 12 rue de la Boétie, immeuble cossu parisien du 8e arrondissement qui abritait l’agence matrimoniale “Haut les Cœurs ” . Il avait rendez-vous avec Madeleine de Brochard, créatrice, directrice et seule employée de cette agence ; la cinquantaine élégante et élancée, pomponnée, poudrée, brushing parfait, un blond qui approchait de la perfection mais qui avait dû demander des années de décoloration.
Après ce week-end mouvementé, les filles avaient repris le chemin des écoliers. J’appréciais le fait de me retrouver seule quelques heures à ne pas endosser le rôle du gendarme ou de l’arbitre et surtout pas celui de la bande son qui, inlassablement, répète les mêmes consignes…
« Mets tes chaussons, lave toi les dents, parlez-vous gentiment… »
Le bip de mon téléphone, petit sifflement d’oiseau, me prévint de la réception d’un message SMS. Je finis de rincer mon assiette, m’essuyai les mains et attrapai mon téléphone pour découvrir qui était le messager. « Ma fille chérie » apparut sur l’écran avec les premiers mots.
« Maman, stp, stp… ».